Extrait :
Après Vélum et Encre, vous voyez ce roman comme un simple divertissement ?
Hal Duncan : En partie. Je me suis dit qu’après un truc aussi complexe et prenant que Le Livre des heures perdues, ce serait sans doute une petite pause agréable. Mais la vie est ironique ; le bouquin s’est révélé assez infernal à écrire, au final. L’intrigue m’est venue si rapidement que j’avais déjà en tête des parties très détaillées. Des éléments de scènes, des dialogues entiers, des descriptions. Et quand il a fallu mettre de la chair autour, l’enthousiasme initial avait eu le temps de se dissiper. C’est un truc assez commun chez les écrivains. Trop de détails d’entrée de jeu et ça finit par donner l’impression que l’histoire est déjà écrite. Et puis est venu un moment où je me suis complètement bloqué — jusqu’à ce que je fasse… eh bien, un petit changement de point de vue, disons. Si vous lisez le livre, vous verrez tout de suite de quoi je parle. Mieux vaut ne pas en dire plus. En tout cas, j’espère que les lecteurs prendront leur pied avant tout. En plus de cette histoire de comptoir dont je vous parlais tout à l’heure, le roman vient aussi d’une discussion avec Chris Roberson et quelques autres lors d’une worldcon, quelques années plus tôt. On était arrivés à la conclusion que les bouquins de 150 pages maxi nous manquaient. On ne pouvait même plus aller dans une librairie choisir un bouquin qu’on terminerait dans la soirée. Pensez aux vieux poches d’antan, aux Dick, aux Zelazny. La SF qui m’a vu grandir ne faisait pas 500 pages, non. Il y avait quoi, soixante mille mots maximum ? Évadés de l’enfer ! vient en partie de ce constat. Je voulais virer la démesure, revenir à l’expérience qui m’avait fait adorer la SF au tout début.
Et j’avoue que j’ai beaucoup apprécié passer d’un projet comme Le Livre des heures perdues à son opposé. Un truc court, linéaire, rythmé. Cela dit, ce n’est pas si éloigné, par certains aspects, en tout cas. Essentiellement parce que Vélum et Encre sont aussi conçus comme des manèges de foire, de ceux qui vous refilent des sensations, des bouquins à la fois viscéraux et intellos, en quelque sorte. Il y a aussi un côté un peu malicieux, dans tout ça : refuser toutes les attentes suscitées par ces deux premiers livres. Évadés de l’enfer ! est comme un gant que je jette au visage de ceux qui n’ont pas accroché à Vélum et Encre, qui les ont justement détestés pour leur complexité. Essayez-ça, les gars... ah vous vouliez quelque chose de marrant ? Et pour ceux qui ont adoré Vélum et Encre, eh bien il faut voir ça comme le refus de toute tentation élitiste. Je ne crois pas à la notion d’art mineur. Dans une certaine mesure, j’assume mon allégeance au pulp et au modernisme expérimental snob. Oui, j’ai écrit deux énormes pavés cubistes où j’ai mis Joyce en mille morceaux, mais ne croyez surtout pas que j’écris désormais pour les « classes supérieures »... le lectorat intello. En l’occurrence, c’est le but qui compte. Évadés de l’enfer ! a pour but de vous mettre une bonne claque.