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par Jean-Claude Dunyach » mer. déc. 08, 2010 8:47 am
L'article de Joëlle est passionnant parce qu'il présente plusieurs angles de vue.
Statistiquement, les filles écrivent (et lisent) moins de SF que les garçons, du moins en France, et la différence est significative. Or, celles qui le font sont aussi bonnes que leurs équivalents masculins - je renvoie aux exemples que cite Joëlle. Donc, s'il y a moins d'auteurs de SF féminins que masculins en France, ce n'est pas une question de capacité, ou de compétence, de talent, etc. C'est autre chose.
Là, les pistes sont nombreuses. Peut-être trop. En voici quelques-unes:
- le rapport à la science. C'est la première chose à laquelle on pense. Les classes scientifiques, dans les grandes écoles ou à l'université, sont elles aussi déséquilibrées en terme de proportion homme/femme. Cela n'est pas non plus une question de capacité (les études tendraient même à prouver le contraire), mais peut-être de choix, ou plus probablement de contrainte sociétale. Ca en est au point où l'Europe essaie de développer des politiques d'incitation à aller vers les carrières scientifiques pour les femmes afin de lutter contre l'idée ambiante de "ingénieur/chercheur/scientifique, c'est un métier d'homme, ce n'est pas pour toi ma fille". Si on ne s'intéresse pas à la science, si on est rebuté ou paralysé par elle, si on garde des souvenirs atroces des cours de physique de ses seize ans, la SF n'est pas nécessairement un champ que l'on a envie de cultiver.
- le cliché de l'écriture dite "féminine", ou des thèmes du même métal. Joëlle souligne à raison qu'il s'agit d'une vaste connerie, néanmoins véhiculée par l'inconscient collectif depuis longtemps. Or, la SF n'est pas une littérature "gentille", par essence (même si certains livres peuvent l'être). Elle n'est pas non plus rassurante. Elle possède, intrinsèquement, la capacité de déranger, d'être déstabilisante, voire cruelle. Elle n'est pas non plus tendre pour l'image de soi. Est-ce que cela peut contribuer à discriminer ? Je me pose la question.
- La SF est une littérature codée, au sens où la plupart de ses livres s'appuient sur un ensemble de présupposés que le lecteur est censé connaître. C'est un des reproches qu'on lui fait : il est difficile de trouver de la SF pour débutant. Or, un grand nombre de ces présupposés sont machistes - parce qu'ils sont nés à une époque où le domaine était essentiellement masculin. Or, quand on lit plein de "classiques" de la SF ouvertement masculinistes (non pas qu'ils revendiquent explicitement une quelconque supériorité de l'homme sur la femme, mais tout simplement parce qu'ils nient la place de celle-ci, en dehors des rôles de potiche ou de récompense du héros à la fin, ce qui revient au même), on se dit "ceci n'est pas pour moi". Ou alors, on explose et on dit "je vais leur montrer, moi !", mais ce n'est pas si courant que ça.
Je parlais récemment avec Resnick des héros de notre jeunesse dans lesquels on avait envie de s'incarner (il lisait ER Burrough étant gamin et tenait les bras vers Mars afin d'être emporté là-bas, comme John Carter). Quand on est un garçon, les héros de SF à qui on peut s'identifier durant son enfance abondent. Là, le déséquilibre est patent.
A titre personnel, j'aimerais bien que plus de femmes écrivent de la SF. Non pas parce que je pense que la SF féminine est intrinsèquement différente, mais tout simplement parce que ça ferait plus de bouquins de SF à lire.