Aquaforte - K.J. Bishop

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DuncanI
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Aquaforte - K.J. Bishop

Message par DuncanI » jeu. oct. 26, 2006 11:28 pm

K. J. Bishop est australienne. Née dans les années 70, elle est l’auteur d’une douzaine de nouvelles, et, à l’heure actuelle, d’un roman, Aquaforte, publié en 2003 et traduit cette année en France par L’Atalante.
Après une courte première partie aux allures de western, et servant à introduire le personnage principal, Gwynn, l’essentiel de l’action d’Aquaforte se situe à Escorionte, une cité qui ressemble au Londres surpeuplé et pollué de Charles Dickens qui aurait poussé sur les berges escarpées d’un fleuve coulant en plein milieu d’une jungle thaïlandaise ou indienne. Karen Bishop prend beaucoup de soin à faire vivre cette cité, à rendre palpable son âge, sa décrépitude, les conditions de vie atroces du bas peuple, les modes qui anime ses nantis. Elle parvient à livrer au fil du roman un portrait naturaliste très immersif de cette ville.
Quant à l’histoire, elle est simple : Gwynn a quitté tout jeune son pays nordique très reculé et a depuis parcouru le monde sans but précis en occupant les fonctions de soldat, de mercenaire, de chef de bande, d’homme de main. Dans la cité d’Escorionte, tandis qu’il est au service d’un puissant clan mafieux local, il va être attiré dans les filets de Beth Constanzin, une artiste mystérieuse avec laquelle il va vivre une histoire d’amour des plus étrange.
Plus que la vie de Gwynn, que le roman balaye dans son intégralité, c’est bien cette relation éphémère qui constitue le cœur d’Aquaforte. C’est une relation complexe, subtile, structurée par l’identification des deux personnages à deux créatures fantastiques. Gwynn est un basilic, et Beth un sphinx. Ces deux étrangetés se cherchent, elles s’attirent et se repoussent, se fécondent mutuellement. Gwynn, que l’on pourrait décrire comme un frère du Maldoror de Lautréamont gagne une certaine humanité en finissant par éprouver un réel amour pour Beth, tandis que celle-ci puise dans Gwynn l’inspiration pour son art décadent et morbide, et l’élan pour sa métamorphose.
L’éditeur français a choisi d’apposer l’étiquette « Fantasy » sur Aquaforte, faute de mieux. Car la seule caractéristique d’Aquaforte qui l’apparente à la Fantasy, c’est que l’histoire se déroule dans un monde imaginaire qui accuse un certain retard technologique par rapport au notre et dans lequel se produit un certain nombre d’évènements que l’on pourrait qualifier de magiques ou de fantastiques.
Dans une interview donnée en 2004 sur un site australien, Karen Bishop avoue que les deux influences majeures d’Aquaforte sont le western et le courant littéraire symboliste/décadent de la fin du XIXe siècle en France. Ca peut apparaître comme l’alliance de la carpe et du lapin, et pourtant l’auteur réussit parfaitement cette hybridation. Car parallèlement à ses amours, l’on suit aussi Gwynn dans les péripéties de son métier d’homme de main, qui nous réserve de nombreux morceaux de bravoure, des duels, des fusillades, des traîtrises, de savoureux portraits de crapules. Tout ceci effectivement tiré de l’imagerie western cristallisée, notamment, par Sergio Leone.
Karen Bishop nous a donné un roman étonnant de maîtrise pour une première œuvre. C’est un hymne au mélange, à la mutation, aux associations improbables, servi par une écriture dense, saturée de symboles et de monstres, aux ambiances lourdes et fantastiques, un texte qui parvient à fondre en un tout original, homogène et fascinant des influences disparates, à placer aux côtés de Gloriana (Moorcock) et de Perdido Street Station (Miéville).
Beth Constanzin déclare à Gwynn vers la fin de leur relation : « L’art est la création consciente de phénomènes mystérieux et sacrés ». C’est sans doute ce credo qui l'a guidée lorsqu’elle a écrit Aquaforte.
Et c'est visiblement la phrase emblématique du roman, celle qui saute aux yeux : après avoir rédigé cette notule, j'ai été lire la critique d'Ubik sur Aquaforte (chez Jules-de-chez-Smith-en-face :wink: ) en conclusion de laquelle j'ai trouvé cette même citation.

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