La censure et la littérature jeunesse.

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Le_navire
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La censure et la littérature jeunesse.

Message par Le_navire » ven. déc. 07, 2007 9:56 am

On le sait peu en France parce que depuis une trentaine d'années, on avait eut la chance de ne pas en entendre parler, mais il existe bel et bien une commission de censure pour la littérature jeunesse, censée appliquer les limites de la loi de 1949 sur le protection de la jeunesse (il ne faut pas désespérer la dite, vous vous souvenez ?)
On l'appelle "commission de surveillance", mais elle a bel et bien des pouvoirs de censure équivalents à ceux qu'on applique au cinéma.

Or Anastasie vient de réveiller ses grands ciseaux. Thierry Magnier, qui par ailleurs devient un incontournable de la littérature jeunesse en prenant la responsabilité du pôle jeunesse Actes Sud (Editions Thierry Magnier, Actes Sud Junior, Le Rouergue) et qui a gagné sa réputation sur un roman social parfois très noir et d'une qualité littéraire irréprochable, est en train d'en faire les frais.

Pour être honnête, y a du lynchage dans l'air, c'est du moins l'avis de la plupart des professionnels de la littérature jeunesse.

Deux de ses titres sont sous le coup d'une menace d'interdiction aux moins de 15 ans, sous le prétexte qu'ils parlent de viol d'une manière extrêmement réaliste. Vous aurez peut être envie de me dire que cela pourrait être justifié.

Il n'y a aucune justification à ça, non. Parce que la littérature jeunesse est une littérature de prescripteurs, et que ces derniers sont là pour guider les lecteurs trop jeunes pour être confrontés à tel ou tel texte. Parce qu'à 12 ans, certains lecteurs sont à même de lire de la littérature adulte et que je ne vois pas au nom de quoi on leur interdirait de lire des textes jeunesse sous prétexte qu'ils n'ont pas l'âge.

Lorsque les instances offficielles décident qui peut lire quoi à quel âge, c'est l'ensemble de la littérature qu'on remet en cause, et le principe fondamental qui veut que la culture littéraire soit accessible à n'importe quel lecteur qui décide qu'il a les moyens de se nourrir de comme bon lui semble. Le coup de canif dans le contrat, c'est l'acceptation d'une possible déchirure dans la toile de la liberté de lire ce qu'on veut quand on veut, et c'est, de mon point de vue, aussi innacceptable que dangereux.

Il se passe beaucoup de choses dans le milieu du livre jeunesse depuis un an, l'affaire Autres Mondes, des articles qui dénoncent de manière fortement partisanne le choix d'une littérature sociale réaliste (je ne suis moi-même pas adepte de ce genre de littérature, c'est même une des raisons qui a présidé à mon choix éditorial de faire dans le genre et l'aventure, mais c'est une question de goût, pas une dénonciation d'une littérature souvent de grande qualité et qui a le grand mérite d'exister et de dire...), l'attribution du Prix de la Presse Jeunesse pour les moins de 10 ans à une collection de propagande ministérielle (voire Medefiste !), et j'en passe, qui laisse deviner qu'il se joue là des enjeux qui dépassent de loin la littérature et ont tout à voir avec la politique, et une certaine conception réactionnaire de la protection pour la jeunesse.

Soyez vigilants, donc, parce qu'à force de minimiser, on va finir par ne plus maîtriser...
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fabrice
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Message par fabrice » ven. déc. 07, 2007 10:12 am

Chère Madame,

Votre remarque a bien été prise en compte par nos services. Elle sera rendue publique - et éventuellement amendée - après l'examen qualitatif et idéologique réglementaire. Nous vous rappelons que nos procédures de surveillance obéissent aux dispositions prévues par l'article 35B de la Charte Morale et Civique pour une Meilleure Protection de la Jeunesse. Ne vous méprenez pas : votre avis nous importe.
Par ailleurs, nous sommes au regret de vous informer que, pour des raisons essentiellement administratives, votre récente demande de subvention ne pourra être satisfaite.

Bien cordialement,

Le Burö.

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Charlotte
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Re: La censure et la littérature jeunesse.

Message par Charlotte » ven. déc. 07, 2007 11:37 am

Le_navire a écrit : l'attribution du Prix de la Presse Jeunesse pour les moins de 10 ans à une collection de propagande ministérielle (voire Medefiste !).
Juste une petite précision, Le_Navire procède par allusions mais je ne suis pas certaine que tout le monde suive, et il se peut bien que moi aussi je dise des bêtises, le Prix de la Presse Jeunesse a été attribué à un volume du" Monde d'aujourd'hui expliqué aux enfants" consacré à l'argent et publié par Gallimard.

C'est bien ça ?

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Message par Le_navire » ven. déc. 07, 2007 11:41 am

C'est bien ça, Charlotte, merci d'avoir précisé. Vous pouvez Googlelisez à Sophie de Menthon et rire un bon coup (jaune).


Fabrice, moi aussi je t'aime, na !
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fabrice
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Message par fabrice » ven. déc. 07, 2007 12:20 pm

Le_navire a écrit :Vous pouvez Googlelisez à Sophie de Menthon et rire un bon coup (jaune).
Ah, ne dis pas du mal de Sophie de Menthon ! Cette femme fait ma joie, elle est absolument merveilleuse. Si je me souviens bien, c'est elle qui, entre autres facéties, est à l'origine de la journée "j'aime ma boîte" (et, non, ce n'est pas une blague genre message à caractère informatif. Cette femme y croit. Elle pense que la croissance va sauver le monde et tout ça.).
Sophie tient un blog : http://sophiedementhon.rmc.fr/. On y apprend plein de choses. Le résumé de son bouquin sur la pub, lui, dégage un parfum quasi orwellien : La publicité fait partie de notre environnement. Elle nous informe, nous amuse, nous influence et, parfois, nous agace un peu... Qui l'a inventée ? Comment nous donne-t-elle envie d'acheter ? Comment tourne-t-on un clip publicitaire ? Qui travaille dans la publicité ? Et si elle n'existait pas ? Découvrons la réponse à mille questions sur la publicité ainsi que des conseils et des jeux.
Si vous ne saviez pas quoi offrir pour Noël...

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Message par Le_navire » ven. déc. 07, 2007 4:25 pm

:lol: :lol: :lol:

Voilà.
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rmd
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Message par rmd » ven. déc. 07, 2007 4:34 pm

Le_navire a écrit :Vous pouvez Googlelisez à Sophie de Menthon et rire un bon coup (jaune).
C'est malin, j'ai suivi les premiers liens, je suis tombé sur ça et j'ai vomi.
Après des années de cérémonie du Thé, il n’y a rien de meilleur que de vomir de la Bière.

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Gui
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Message par Gui » sam. déc. 08, 2007 1:27 pm

Et moi, je suis tombé sur une interview vidéo qui m'a fait perdre 10 000 points de SAN... :?
I've imagined many things... For example, what kind of dreams would you have in a spaceship flying at the speed of light...? With time drawn out infinitely, it might be a terrifying, unending dream...
Yukinobu Hoshino - 2001 Nights

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Message par Le_navire » lun. déc. 10, 2007 2:57 pm

En réponse à un article paru dans le supplément du Monde des Livres consacré à Montreui, ce beau playdoyer en faveur de la littérature jeunesse. Vous pouvez copier coller et diffuser l'info :
En réponse à l'article “Un âge vraiment pas tendre” paru dans Le Monde des livres daté du vendredi 30 novembre 2007


Il n'y a pas d'âge pour la littérature. Une bonne fois. Cycliquement se pose cette question rebattue de l'âge. Nous le savons, personne ne bronche plus lorsque l'habitude a été prise de considérer un texte comme étant “pour la jeunesse”. Qui s'interrogerait aujourd'hui sur la légitimité de Molière ou de Victor Hugo à être lus dans les collèges ? Pourtant, Mme Rimbaud s'offusquait que le professeur d'Arthur lui ait donné à lire Les Misérables ! Rions.
Et ça continue.
Aujourd'hui on voudrait rabaisser la littérature contemporaine à “un travail de reporters en âges troubles, tentant de se mettre dans la tête d'un ado”.
Non. Les œuvres incriminées ne sont pas ce qu'on voudrait nous faire passer pour du fait divers aguicheur.
Petite mise au point. Il ne s'agit pas dans la collection “D'une seule voix” de récits mais de monologues intérieurs, d'une parole, n'en déplaise à Marion Faure. Et c'est une différence d'importance. Encore faut-il prendre le temps de lire vraiment.
Et surtout, ces monologues sont des textes d'auteurs.
Cela veut dire que chaque mot en a été pesé, qu'un écrivain a passé du temps de sa vie à faire advenir ce qui peut être partageable, universel, quel que soit l'âge. Ce sont ces voix que nous voulons faire entendre dans cette collection. Des voix d'auteurs comme Wajdi Mouawad, Catherine Zambon, Malin Lindroth, et nous ne laisserons pas dire qu'ils entraînent le lecteur dans des univers “malsains”… Parce que nous estimons qu'ils ont fait œuvre.
L'adolescence, pas plus que l'enfance, n'a d'âge. C'est bien là la difficulté.
Il y a des lecteurs qui seront toujours arrêtés par certains textes et cela n'est pas une question de date de naissance. D'autres ont lu à un “âge” supposé précoce des œuvres qu'on ne leur réservait pas.
Les êtres humains ne sont pas réductibles à leur carte d'identité. Décidément.
La vigilance extrême qui est la nôtre porte sur le texte. Toute souffrance se réfléchit dans la littérature qui permet de prendre le recul nécessaire pour l'envisager, voire la dévisager. Les émotions les plus intenses, nous pouvons les éprouver sans craindre qu'elles ne broient notre réalité si, et seulement si, elles ont été travaillées par la création. Lorsque des spectateurs vont voir couler le Titanic, ils paient leur place pour pleurer et non pas se noyer (ne serait-ce que dans leurs larmes… !). Claude Simon a très justement écrit dans Orion aveugle que jamais aucun incendie allumé dans un livre n'avait mis le feu à une maison.
Nous le croyons.
Nous croyons aussi que les jeunes filles et les jeunes gens sont intelligents et qu'ils ont droit à la littérature.
Ils savent faire la différence entre la place de voyeur qui leur est largement offerte dans les médias et celle de lecteur.
Lire permet d'être sujet, visionnaire et non spectateur. Libre. C'est peut-être pour cela que les livres sont toujours les premiers attaqués lorsqu'une société installe la peur comme moteur des relations humaines.
Un article tel que celui paru dans Le Monde ne peut que légitimer les discours obscurantistes qui visent à entraver et réduire le travail de tous les passeurs de livres : libraires, bibliothécaires, enseignants.
Lire est un risque.
Editer est un risque. Nous sommes fiers de l'assumer.
Vient ensuite le temps de l'échange, autre pari, vital, que Dolto entre autres a rappelé.

Les livres ne sont pas obligatoires.
Ils sont nécessaires à toute pensée qui se construit.


Jeanne Benameur, Claire David, directrices de la collection “D'une seule
voix”.
François Martin, éditeur.
Thierry Magnier, directeur d'Actes Sud Junior.









l
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CPA
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Message par CPA » mar. déc. 11, 2007 8:27 pm

EDIT
Modifié en dernier par CPA le ven. déc. 14, 2007 5:50 pm, modifié 1 fois.
http://panieralix.free.fr/index.htm
Citation du jour : "cafards alors sortent en place, cagots tiennent leurs grands jours, forces sessions, stations, perdonnances, syntereses, confessions, fouettemens, anathematizations" [ t. v, p. 146, dans LACURNE ]

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. déc. 11, 2007 10:10 pm

Ça me donne envie de me mettre à la littérature jeunesse, tout ça. :lol:
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

&#1575;&#1604;&#1603;&#1575;&#1578;&#1576; &#1610;&#1603;&#1578;&#1576;

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Patrice
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Message par Patrice » mer. déc. 12, 2007 11:08 am

Salut,
Ça me donne envie de me mettre à la littérature jeunesse, tout ça
Mine de rien tu ne peux pas savoir le nombre d'instit qui sont relativement proches de ton univers, je veux dire de gauche / punkisants / imaginatifs sans restriction / etc. etc..

Si tu écrivais un livre pour la jeunesse, il a des chances d'être lu!

A+

Patrice

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Message par gutboy » mer. déc. 12, 2007 1:32 pm

Deux de ses titres sont sous le coup d'une menace d'interdiction aux moins de 15 ans, sous le prétexte qu'ils parlent de viol d'une manière extrêmement réaliste. Vous aurez peut être envie de me dire que cela pourrait être justifié.
Ahah, ca c'est drôle. Ca montre à quel point les vieux sont vieux. Et les censeurs encore plus. Ahaha, j'en ris encore. Vouloir interdire un bouquin qui parle de viol de façon réaliste à des gamins de moins de 15ans.
Ahahahahahaha j'en ai encore les larmes au yeux. J'en pisse de rire.
Alors qu'à 15 ans, ça fait déjà trois ans qu'ils se refilent sur les téléphones portables les films des viols organisés par les copains.
Ahahahaha, ils sont cons ces vieux.
Listen now. Whoever you are, with these eyes of yours that move themselves along this line of text; whoever, wherever, whenever. If you can read this sentence, this one fragile sentence, it means you're alive. (Jeff Noon - Falling out of cars)

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Message par Lensman » mer. déc. 12, 2007 2:31 pm

Cela va paraître bizarre à certains, mais je me demande si, parfois, un texte ne peut pas être beaucoup plus traumatisant qu'une image (les jeunes sont peut-êtere beaucoup plus habitués à voir des scènes d'horreur à la télé qu'à en lire...).
Ceci n'est pas un appel à la censure (!) mais une tentative de comprendre...
Oncle Joe

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Charlotte
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Message par Charlotte » mer. déc. 12, 2007 6:26 pm

Lensman a écrit :Cela va paraître bizarre à certains, mais je me demande si, parfois, un texte ne peut pas être beaucoup plus traumatisant qu'une image (les jeunes sont peut-êtere beaucoup plus habitués à voir des scènes d'horreur à la télé qu'à en lire...).
Ceci n'est pas un appel à la censure (!) mais une tentative de comprendre...
Oncle Joe
Je ne sais pas si un texte est plus traumatisant mais une chose me paraît à peu près sûre, l'écrit est plus considéré que l'image par les censeurs. Je m'explique, les livres ont été plus souvent censurés que les films. Je crois que cela tient d'une part au fait que les intervenants sont en nombre beaucoup plus réduits (au cinéma, il y a le scénariste, le réalisateur, le voire les producteur(s), la grosse machine derrière...) d'où la censure en amont, qui est moindre dans l'édition.

Et d'autre part, il y a une tradition, en France, voire en Europe, qui veut que l'écrit soit plus "grave" que l'image (ce n 'est pas le bon terme, mais je n'en trouve pas d'autres).. Vous faire passer tous les soirs pour un con aux Guignols est une chose admise, le faire par écrit c'est déjà une autre paire de manches. Je me demande si ce n'est pas parce que le livre garde, malgré tout, un statut extrêmement particulier dans la conscience / l'imaginaire / l'inconscient collectifs.

Ceci dit à la réflexion, je ne pense pas que l'image soit plus traumatisante que le texte, ni l'inverse. Ce sont les idées véhiculées derrière elles qui le sont ou pas, la mise en scène de ces concepts.

Les Contes de Perrault par exemple sont quand même d'une rare violence (des enfants que leurs parents abandonnent en pleine forêt par deux fois peut être une image assez traumatisante) et toutes les générations de gamins les ont lus sans qu'il n'y ait d'appel à la censure.

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