Mélanie Fazi online

Mélanie Fazi répond à toutes vos questions du lundi 7 au mercredi 9 avril

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Message par Invité » lun. avr. 07, 2008 1:23 pm

Ce qui me permet de rebondir, et après je laisse la parole aux autres : tu as traduit Hellraiser, de Cliver Barker, dont le style est assez... comment dire... sensuel et extrême. As-tu éprouvé quelque difficulté à retranscrire cette atmosphère très angoissante, éprouvante, mais aussi quelque part excitante qu'il parvient si bien à distiller, ou bien te suffisait-il de traduire "simplement" son texte en te contentant de coller au plus près de ses mots pour rendre fidèlement son univers ? Et as-tu été en contact avec lui, également ?

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Florent
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Message par Florent » lun. avr. 07, 2008 1:25 pm

(L'andouille qui oublie de se connecter, c'était moi).
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Mélanie
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Message par Mélanie » lun. avr. 07, 2008 1:26 pm

jlavadou a écrit :tu as évoqué le "côté ado" que certaines personnes trouvent dans tes nouvelles, ainsi que le passage à la trentaine. Il y a en effet dans tes textes un thème récurrent : l'enfance et le passage à l'âge adulte. Ca m'a beaucoup marqué dans Arlis des forains, par exemple.

En quoi cette thématique te touche-t-elle ?
Je me suis interrogée moi-même sur la fréquence à laquelle ces thèmes réapparaissent quand j'écris et je n'ai pas vraiment de réponse. De manière assez évidente, ça tient au rapport que j'entretiens avec mon enfance et mon adolescence, mais pourquoi au juste, mystère... Avec le passage à la trentaine, je constate que j'ai beaucoup de mal à devenir adulte, tout comme j'ai eu du mal à accepter le passage à l'adolescence. J'imagine qu'une partie de la réponse se trouve là. L'adolescence, je m'en souviens comme d'un point de rupture, comme si plein de choses avaient basculé l'année de mes dix ans, l'année de mon entrée au collège, des choses qui auraient dû être anodines mais ne l'ont pas été, sans que je comprenne pourquoi. De l'enfance, je garde le souvenir d'un décalage avec le monde des adultes, qu'on observe sans en comprendre les règles, et je crois que ça ressort dans ce que j'écris. Et de l'adolescence, la mienne en tout cas, le souvenir d'un grand passage à vide. C'est de là qu'est né Trois pépins du fruit des morts. Le souvenir de ce moment où le corps change, où le regard des autres se modifie, sans qu'on ait souhaité ni vu venir ces changements. Je crois que j'aurais souhaité rester enfant, je ne faisais pas partie de ces gamins qui ont hâte de grandir pour voler de leurs propres ailes.
Après, l'adulte qu'on devient étant conditionné par l'enfant qu'on a été, ça paraît logique qu'il en ressorte quelque chose dans l'écriture. Mais je ne sais pas pourquoi ça ressort de manière tellement plus nette chez moi que chez d'autres auteurs.

Pascal
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Message par Pascal » lun. avr. 07, 2008 1:28 pm

Salut Mélanie,

Est-ce que lorsqu'on reçoit le numéro du Magazine of Fantasy and Science Fiction avec une de ses nouvelles dedans, on n'a pas un peu envie de danser toute nue dans la rue en glougloutant pendant des heures ? Enfin, tu vois ce que je veux dire, en gros ?

Bises,

P.

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Fred Combo
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Message par Fred Combo » lun. avr. 07, 2008 1:36 pm

Bonjour Mélanie,
Pendant qu'on en est aux questions sur la traduction, je me demandais un truc. Encore une question bête...
Est-ce que, comme pour les auteurs qui sont relus, corrigés et (parfois) conseillés par leur éditeur, les traductions sont relues (voire comparées à l'original) par une tierce personne qui donne son avis, demande des modifications, signale des erreurs, etc... Ou alors est-ce que la traduction est un boulot dans lequel on se retrouve plus ou moins livré à soi-même ? Plus que dans le cas d'un auteur par exemple...
Si tu ne fais pas une histoire de ta vie, un jour tu seras dans l'histoire de quelqu'un d'autre.
Sir Terry Pratchett

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Message par Invité » lun. avr. 07, 2008 1:37 pm

Salut Mélanie,
fan de tes nouvelles depuis un bout de temps, j'ai également constaté que tu as abandonné le coté sombre limite gothique (je sais que tu ne te revendiques pas de cette mouvance) pour une face plus musicale et une écriture plus atmosphérique si j'ose m'exprimer ainsi. Est-ce que cette évolution va continuer, va tu l'encourager consciemment ou non ?
je constate que non seulement il n'y a pas eu d'écart flagrant entre les chiffres de vente de Serpentine et ceux de mes deux romans
Si ce n'est pas trop indiscret, quels sont ces chiffres de vente ? Et pour Notre Dame-aux-Ecailles, tu as déjà des infos sur la mise en place, les ventes effectives et les retours éventuels ?

J'ai vu également que tu traduis maintenant pour J'ai Lu (dans la nouvelle collection en grand format sauf erreur) alors que tu faisais beaucoup de traductions pour Bragelonne. Est-ce que tu choisis les traductions que tu fais ou bien tu prends un peu ce qu'on veut bien te donner ? Est-ce un choix de ta part de voir un peu comment ça se passe ailleurs - pour la traduction - chez un autre éditeur ?

Bon courage pour ces 3 jours "on-line".

NicK.

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Message par Mélanie » lun. avr. 07, 2008 1:38 pm

Florent a écrit :Ce qui me permet de rebondir, et après je laisse la parole aux autres : tu as traduit Hellraiser, de Cliver Barker, dont le style est assez... comment dire... sensuel et extrême. As-tu éprouvé quelque difficulté à retranscrire cette atmosphère très angoissante, éprouvante, mais aussi quelque part excitante qu'il parvient si bien à distiller, ou bien te suffisait-il de traduire "simplement" son texte en te contentant de coller au plus près de ses mots pour rendre fidèlement son univers ? Et as-tu été en contact avec lui, également ?
Barker fait partie des exceptions, je n'ai pas été en contact avec lui et je n'ai même pas cherché à l'être. Je peux me tromper, mais je crois que même l'équipe de Bragelonne a eu assez peu de contacts avec lui. Il me fait l'effet de quelqu'un d'inaccessible.
Hellraiser est à ce jour le texte le plus difficile que j'ai eu à traduire, et j'en garde le sentiment très net de ne pas avoir été à la hauteur (mais comme d'hab, je suis mal placée pour juger du résultat). Je me suis arraché des poignées de cheveux sur le premier chapitre, qui est d'une beauté stylistique à couper le souffle (enfin je dis "des poignées de cheveux", mais je les avais encore très courts à l'époque). Pour restituer l'élégance et la bizarrerie du style, il aurait fallu passer des heures sur chaque phrase - et ce temps-là, je ne l'avais pas. Je pense aussi que je n'avais pas l'expérience nécessaire. Je disais en blaguant à l'époque "quand Barker peut faire simple, il ne le fait pas". Dans ce texte-là, dans certains passages en tout cas, il emploie constamment des tournures et des structures inhabituelles, des termes archaïques, ça donne un cachet extrêmement curieux. Pas évident de trouver un équilibre pour que le texte garde cette bizarrerie en français tout en restant compréhensible. En anglais, le premier chapitre se lit comme un poème, c'est assez sidérant.

J'avoue que j'ai été déçue par l'accueil plutôt tiède qui a été réservé au livre. J'ai lu ici et là que c'était "le brouillon du film", à lire "par curiosité". Alors que je trouve le texte cent fois supérieur à ce que Barker en a fait à l'écran. J'ai tenté de revoir le film quand je traduisais le livre et je ne suis pas allée au bout tellement ça a mal vieilli. Je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que c'était peut-être moi qui n'avais pas rendu justice au texte original.

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Nick_Holmes
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Message par Nick_Holmes » lun. avr. 07, 2008 1:39 pm

Grrrr. C'était moi au dessus. Timeout sur la connexion. Je suis trop lent à écrire :p
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Message par Mélanie » lun. avr. 07, 2008 2:00 pm

Salut Mélanie,
fan de tes nouvelles depuis un bout de temps, j'ai également constaté que tu as abandonné le coté sombre limite gothique (je sais que tu ne te revendiques pas de cette mouvance) pour une face plus musicale et une écriture plus atmosphérique si j'ose m'exprimer ainsi. Est-ce que cette évolution va continuer, va tu l'encourager consciemment ou non ?


Ça s'est imposé progressivement et ça m'a prise au dépourvu. Je crois que je garde en tête ce qui est arrivé à Poppy Z. Brite, dont le style a changé radicalement et qui a perdu pas mal de lecteurs en cours de route. J'admire sa démarche, mais ce rejet des lecteurs est assez inquiétant. Je parlais tout à l'heure de la peur de se répéter ; à l'inverse, il y a celle aussi de changer de voie et de ne pas être suivi. (Entre parenthèses, depuis ce matin, j'ai l'impression de dresser un catalogue de toutes les trouilles liées à l'écriture - on va dire que c'est le fantastique qui veut ça).

Donc, ma première réaction a été la peur d'écrire des choses moins intenses qu'avant - impression renforcée par le phénomène dont je parlais plus tôt, le fait que les avis divergent de plus en plus sur mes nouvelles. Ensuite, j'ai laissé les choses se faire naturellement. Il y avait l'envie d'essayer autre chose et de grandir un peu - j'en reviens toujours à ça, finalement. Il y a quelque chose de très ado dans la noirceur de mes premiers textes, et je considère ces textes plus apaisés comme plus adultes, d'une certaine manière. Et j'ai de plus en plus l'impression que la noirceur peut être une facilité : réussir à marquer un lecteur avec un texte en demi-teinte, c'est autrement plus casse-gueule. Mais curieusement, cette noirceur me rattrape par moments. Par exemple dans "Le train de nuit", il me manquait un élément pour débloquer le texte. Cet élément, sans spoiler, c'est le motif qui pousse Raphaëlle à partir à la recherche du train. Je ne voulais pas partir dans quelque chose d'aussi sombre, ça me paraissait cliché, mais ça s'est imposé comme le seul élément qui donnait une cohérence au texte. A l'inverse, "Villa Rosalie" devait être une histoire de maison hantée un peu inquiétante et c'est devenu quelque chose de plus léger. J'imagine que c'est mon état d'esprit du moment qui dicte l'ambiance d'un texte. Je suppose que l'évolution que tu soulignes va se poursuivre, mais je n'ai pas forcément de prise dessus. Et c'est très bien comme ça.

Pour le côté plus musical, tu n'es pas le premier à m'en faire la remarque et ça m'étonne un peu : j'ai toujours beaucoup parlé de musique dans mes textes, d'ailleurs un de ceux dont on me reparle le plus souvent à propos de Serpentine, c'est "Matilda" qui décrit un concert de rock. Peut-être que c'est simplement plus transparent maintenant.
Si ce n'est pas trop indiscret, quels sont ces chiffres de vente ? Et pour Notre Dame-aux-Ecailles, tu as déjà des infos sur la mise en place, les ventes effectives et les retours éventuels ?


Grosso modo, les chiffres de mes trois livres se situent dans une fourchette entre 1000 et 1500 exemplaires. Pour Notre-Dame-aux-Ecailles, c'est encore trop tôt pour avoir des chiffres. Surtout que ce n'est pas le genre de livre qui cartonne dès sa sortie (voire qui cartonne tout court), je pense que ça se jouera beaucoup au niveau des salons, du bouche-à-oreille, etc.
J'ai vu également que tu traduis maintenant pour J'ai Lu (dans la nouvelle collection en grand format sauf erreur) alors que tu faisais beaucoup de traductions pour Bragelonne. Est-ce que tu choisis les traductions que tu fais ou bien tu prends un peu ce qu'on veut bien te donner ? Est-ce un choix de ta part de voir un peu comment ça se passe ailleurs - pour la traduction - chez un autre éditeur ?


Je choisis mes traductions et je prends ce qu'on me donne : il peut m'arriver de traduire un livre que je n'aime pas plus que ça parce qu'on ne me propose rien de mieux à ce moment-là. Tout comme il peut m'arriver de devoir choisir entre plusieurs. J'ai déjà refusé des traductions qui ne me motivaient vraiment pas, ce n'est jamais un problème en soi. Pour cette traduction chez J'ai Lu, il y a un ensemble de circonstances, mais effectivement, j'ai trouvé intéressant de voir comment fonctionnent différentes maisons d'édition.

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Florent
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Message par Florent » lun. avr. 07, 2008 2:05 pm

Je trouve aussi que cette longue nouvelle, ou ce court roman, est sous-estimé à cause de l'impact visuel et la notoriété du film. Barker, en plus d'être un styliste remarquable, a en quelque sorte redonné à l'Enfer et à ses diables son caractère terrifiant, pour nous le faire percevoir avec la même angoisse qu'on le percevait au Moyen-Âge.

Le seul reproche que je lui fais, c'est que dans ses histoires, ses personnages acceptent l'horreur trop facilement. Ils devraient s'évanouir, devenir fou, baver et couiner face à de tels spectacles, mais ils admettent l'inconcevable assez rapidement (comme quoi, Lovecraft reste le maître, et il est parfois bon d'en faire des tonnes :-) ).

Je termine cet aparté pour revenir au sujet : il m'est impossible de comparer la traduction avec le livre original, mais j'ai plongé assez facilement dans l'ambiance voulue par Barker. Il me semble avoir lu une critique négative sur la traduction de Hellraiser, dans Mad Movies peut-être, mais cela relevait sûrement plus du coït anal avec des mouches qu'autre chose. S'il faut choisir entre le style et l'ambiance, à mon avis, le traducteur doit privilégier l'ambiance et, comme tu l'as dit, éviter les lourdeurs (lisez la première page du Trône de Fer, c'est pas mal dans le genre).
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Message par Mélanie » lun. avr. 07, 2008 2:15 pm

Florent a écrit :Je trouve aussi que cette longue nouvelle, ou ce court roman, est sous-estimé à cause de l'impact visuel et la notoriété du film. Barker, en plus d'être un styliste remarquable, a en quelque sorte redonné à l'Enfer et à ses diables son caractère terrifiant, pour nous le faire percevoir avec la même angoisse qu'on le percevait au Moyen-Âge.
Mais ce qui est frappant, quand on revoit le film, c'est que les Cénobites y apparaissent finalement très peu. Idem dans le texte, d'ailleurs. Je me demande si ce sont les suites (que je n'ai pas vues) qui ont imposé l'image de Pinhead. En tout cas, il est quasiment inexistant dans le premier film. Le design des Cénobites est grandiose, mais l'imagerie du film a méchamment vieilli, et pas seulement parce qu'elle est très marquée années 80 (et je ne parlerai pas de cette gourde de Kirsty qui devient dans le film une tête à claques typique du ciné hollywoodien des années 80 - je hais profondément ce que Barker en a fait dans son film).
Le seul reproche que je lui fais, c'est que dans ses histoires, ses personnages acceptent l'horreur trop facilement. Ils devraient s'évanouir, devenir fou, baver et couiner face à de tels spectacles, mais ils admettent l'inconcevable assez rapidement (comme quoi, Lovecraft reste le maître, et il est parfois bon d'en faire des tonnes :-) ).
Mais c'est ce que j'aime, justement. On en a tellement soupé des histoires où le personnage commence par refuser de croire à ce qu'il voit, finit par l'accepter, n'arrive pas à le faire comprendre à un monde incrédule, etc... A force, ça devient presque un cliché. Je trouve ça rafraîchissant, les livres où les personnages acceptent immédiatement le surnaturel. Et puis ça peut être beaucoup plus dérangeant. J'essaie de faire ça dans certains de mes textes, mais ce n'est pas toujours évident à gérer.

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Message par Florent » lun. avr. 07, 2008 2:30 pm

C'est curieux parce que dans mon roman (et là je calme tout le monde : il n'est pas édité, donc je ne suis personne :-) ) j'accorde quant à moi beaucoup d'importance au choc ressenti face à l'Horreur. En tant que lecteur, je ne peux pas accepter l'idée qu'une femme soit à peine choquée à la vue d'un homme-paon (je faire référence à Coldheart Canyon, du même Barker), comme si elle en croisait tous les jours.

Après, il faut tenir compte du fait que personne ne réagit de la même façon face à un évènement incroyable. Personnellement, je ne me pose pas la question de savoir si c'est un cliché, mais plutôt : comment réagirais-je moi-même, qui ne suis pas spécialement un gros dur tatoué, dans la même situation ? Si je suppose que je me ferais dessus, et bien le personnage aussi, et là c'est la foire aux superlatifs chers à Lovecraft et aux "Oh mon Dieu c'est pas possible un truc pareil !", sans bien sûr verser dans la caricature.

J'espère ne pas être trop HS, puisque cela nous permet de nous éclairer sur ton approche d'écrivain(e) de cet art délicat du "clash émotionnel". Sans vouloir abuser et empiéter sur le sujet, mais simplement pour faire comprendre comment, personnellement, je ressens ce genre de scène, je me permets de mettre un extrait de mon roman où le narrateur rencontre, pour la première fois de sa vie, un zombi, alors qu'il ignore leur existence.

(Si les modos trouvent ça déplacé j'efface aussitôt).

Je n’ai jamais pu m’expliquer comment il est parvenu à s’approcher si près de nous sans éveiller le moindre soupçon. En fait, je ne m’attendais tout simplement pas à une telle rencontre, même après avoir tout imaginé, y compris les hypothèses les plus saugrenues. Une telle aberration ne pouvait pas exister. Pourtant, un quart de seconde me suffit pour réaliser et accepter l’idée que toutes les rumeurs s’avéraient fondées.

Les Morts existaient.

Le zombi attaqua David à la carotide. J’éprouvai un choc terrible en voyant mon ami, qui s’était si souvent battu avec efficacité dans la cour de notre collège, se débattre d’une façon pathétique dans les bras cadavériques de ce mort-vivant. Invité pour dîner, en tant que hors-d’œuvre. A la vue de ce spectacle sanguinolent, ma gorge se noua et le sang me monta à la tête avec une telle intensité que je la crus un moment sur le point d’exploser. Mes jambes étaient en coton. Je crois que mon cœur a cessé de battre pendant une ou deux secondes. Je devenais fou. Un cri inhumain me glaça le sang quand le Mort se mit à mâcher le bout de chair qu’il venait d’arracher au cou de David. Personne ne m’avait prévenu. Des cadavres se relevant de la mort pour se nourrir des vivants, on ne trouvait ça que dans les vieux films d’horreur, pas dans la réalité ! Et pourtant, un macchabée se tenait là, devant moi, et mordait à pleines dents mon camarade. J’aimerais pouvoir dire que j’ai aidé David, que j’ai volé à son secours en m’agrippant à lui mais le fait est que je suis resté là, terrifié, sans trop bien savoir que faire. Semblable à ces petites bêtes nocturnes prises dans le faisceau des phares quand elles traversent l’autoroute. Comme pétrifié.
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Message par Mélanie » lun. avr. 07, 2008 2:50 pm

Florent a écrit :C'est curieux parce que dans mon roman (et là je calme tout le monde : il n'est pas édité, donc je ne suis personne :-) ) j'accorde quant à moi beaucoup d'importance au choc ressenti face à l'Horreur. En tant que lecteur, je ne peux pas accepter l'idée qu'une femme soit à peine choquée à la vue d'un homme-paon (je faire référence à Coldheart Canyon, du même Barker), comme si elle en croisait tous les jours.

Après, il faut tenir compte du fait que personne ne réagit de la même façon face à un évènement incroyable. Personnellement, je ne me pose pas la question de savoir si c'est un cliché, mais plutôt : comment réagirais-je moi-même, qui ne suis pas spécialement un gros dur tatoué, dans la même situation ? Si je suppose que je me ferais dessus, et bien le personnage aussi, et là c'est la foire aux superlatifs chers à Lovecraft et aux "Oh mon Dieu c'est pas possible un truc pareil !", sans bien sûr verser dans la caricature.
Ça pose la question de l'effet de réel en fantastique, et en littérature en général. Dans des textes où j'essayais de transposer littéralement des éléments vécus, je me suis heurtée à un problème assez curieux : il y a des choses véridiques qui ne passent tout simplement pas en fiction. Pas si on les transpose telles quelles en tout cas. Il faut trouver une manière de les présenter au lecteur, de réarranger la réalité en quelque sorte. Je ne sais pas à quoi ça tient, peut-être à des attentes de la part des lecteurs, même les plus ouverts. On oublie parfois le côté totalement irrationnel de certaines de nos réactions. Si ça se trouve, une personne réelle placée dans une situation comme celle que tu décris perdrait les pédales sous l'effet du choc et réagirait en niant totalement la bizarrerie de ce qu'elle voit - mais si on met en scène ce genre de réaction dans une fiction, on se retrouve obligé de la justifier. Ou alors, il faut que le texte soit assez décalé pour que ça passe. J'admire de plus en plus les auteurs qui arrivent à faire passer des incongruités comme si c'était normal - hors fantastique, je pense à Kelly Link par exemple. Ses personnages sont totalement barrés, il leur arrive des trucs parfaitement improbables, mais c'est raconté de manière très neutre, comme si tout était normal. Je trouve ça plus passionnant que la classique réaction d'horreur face au surnaturel. Ça, j'en ai trop lu pour ne pas être agacée quand l'auteur insiste lourdement dessus. Et puis les personnages les plus riches sont souvent ceux qui prennent le contre-pied de ces attentes.

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Message par jerome » lun. avr. 07, 2008 3:10 pm

Et euh, pourquoi le fantastique et pas la SF ou la poésie, ou le polar ?
Jérôme
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Message par Florent » lun. avr. 07, 2008 3:17 pm

C'est la fameuse suspension d'incrédulité. Pour moi, ça ne fonctionne que dans 2 cas précis :

1. Le personnage est dans le feu de l'action et n'a pas le temps de prendre du recul.
2. Des évènements récents, suivant un rythme crescendo, l'ont progressivement amené à accepter quelque chose qui, en temps normal, l'aurait assomé.

Mais le type qui, en sortant du supermarché, croise un lézard géant et se dit "Tiens, un lézard géant, c'est le printemps", sauf s'il s'agit d'un texte humoristique, ça m'empêche d'éprouver de l'empathie, ou de m'identifier. Ca soulève un autre problème, aussi : quel est l'intérêt de faire vivre quelque chose d'incroyable à un personnage si cela n'a pas de répercussion, si cela ne le fait pas "traverser le miroir" ?

Mais tout dépend de la démarche de l'auteur. Là, je parle de récits horrifiques où le but est de surprendre, de choquer, de franchir des tabous, mais je suis bien conscient que dans le cadre d'une histoire fantastique, l'acceptation du surnaturel comme quelque chose de normal par les personnages peut être intéressant. Il y a une BD qui s'appelle Hellboy où c'est très bien fait.
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