Beau gosse, compositeur lumineux au génie mélodique certain,
Roger Keith Barrett voit le jour le 6 janvier 46. Fils du médecin légiste de Cambridge, il n'est pas le garçon doux et rêveur qu'on imagine facilement en regardant ses rares clichés de jeunesse. Intelligent, bon élève, il est aussi
"le mec cool du lycée". Il drague les filles (qui ne se font pas trop prier), s'adonne aux fameux
mother little helpers chantés par les
Stones, il fume de l'herbe pour être dans le coup et s'intéresse au rock. Il monte ou intègre divers groupes parmi lesquels
Geoff Mott & the Mottoes ou les
Architectural Abdabs, dont le bassiste rageur et autoritaire - lui aussi originaire de la bonne société de Cambridge est un certain
Roger Waters. A la batterie et au clavier, deux fils à papa plutôt branleurs, Nick Mason et Rick Wright.
Après avoir viré leur guitariste originel, ils décident de se rebaptiser. C'est Barrett qui à l'idée de mixer les noms de deux bluesmen assez obscurs - donc forcément classes - :
Pink Anderson et
Floyd Council. Bonne idée, le nom est ambigu, et colle bien au psychédélisme ambiant qui est en train de conduire le
Swinging London vers la bonde de la drogue dure. Nous sommes en 1966, et rapidement, Syd Barrett va signer deux singles qui vont se hisser en haut des charts :
Arnold Layne, qui raconte l'histoire d'un travesti piquant des fringues de filles sur des cordes à linge, et surtout le fabuleux
See Emily Play. Le public adhère, et c'est le succès, même si, sur scène c'est la douche froide, Barrett refusant de jouer les deux morceaux pour privilégier des compo s plus barrées (comme le sidérant
Interstellar Overdrive) qui peut alors durer jusqu'à 45 minutes.
Pour Barrett, c'est le rêve, et il se glisse avec délice dans le
rock n'roll way of life. Ses prises massives de drogue - essentiellement de LSD - vont rapidement aggraver un syndrôme de dissociation latent qui va évoluer vers une schizophrénie dévastatrice. Lorsqu'en 1967 sort
Pipers at The Gates Of Danw, le premier album du Floyd, Barrett est déjà dangereusement près du gouffre. Il ne vient plus aux répétitions, ne jouent pratiquement plus sur scène, est défoncé en permanence. Un état de fait qui culmine lors d'un enregistrement pour la BBC, où il apparaît avec, renversé sur le cheveux, des comprimés de somnifères pilés melangés avec du shampoing. Dès les premières minutes du morceau, il arrête de jouer, pour regarder la caméra avec un oeil de truite morte la veille.
La situation est inextricable pour le reste du groupe, qui décide alors de faire appel à une doublure qui va d'abord oeuvrer dans l'ombre, puis sur scène. Il font appel à un jeune guitariste virtuose, ami de Syd Barrett : David Gilmour. Cet état de fait va se prolonger jusqu'à ce que, un jour, alors qu'ils sont en route pour passer le prendre pour un concert, ils vont simplement décider de ne pas s'arrêter devant chez lui.
Depuis 1968, Syd Barrett n'a fait que s'enfoncer dans une spirale hallucinée. Il vivait dans une chambre qu'il s'était aménagée dans la cave de la maison de sa mère, jusqu'à la mort de celle-ci en 1997, et s'occupait en faisant du jardinage. Reclus, scotché, il avait tout de même publié deux albums (
Madcap Laughs et
Barrett) qui, s'ils comportent quelques pathétiques naufrages, contiennent surtout plusieurs chansons bouleversantes qui, puent la confession de junkie, mais qui vous amènent avec une désarmante facilité sur le seuil de sa folie. Les deux albums ont été produits par Gilmour, qui a toujours culpabilisé d'avoir pris sa place. Cette rupture baveuse avait d'ailleurs un temps consumé le groupe au point que tout l'album
Wish You Were Here lui était dédié.
On peut s'étonner de l'impact que Syd Barrett a eu sur le monde du rock alors que sa carrière n'a guère durée qu'un an, mais il était l'un de ces météores qui illuminent parfois les cieux des Arts. Il était une icône de la culture pop, sorte de parangon du génie moderne maudit. Titre qu'il avait enlevé de haute lutte à Brian Wilson.
Aujourd'hui mardi 11 juillet 2006, le diamant fou a fini de briller.
Roger Keith Barrett (1946 - 2006)
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.