[Journaliste] Jean-Claude Vantroyen du Soir
Posté : dim. oct. 22, 2017 9:40 pm
Jean-Claude Vantroyen est journaliste littéraire dans le quotidien belge Le Soir. Il parle souvent d'imaginaire.
Y a-t-il des freins spécifiques aux littératures de l'imaginaire vis à vis des journalistes ?
Il n’y a pas vraiment de freins. Je veux dire : d’ukase, d’imposition de la part des rédactions en chef. Cela dépend surtout de la personne qui gère l’espace livres du média. En Belgique, on parle beaucoup d’imaginaire dans l’émission de télé « Livrés à domicile » sur la RTBF 2. Parce qu’il y a un journaliste porteur, Michel Dufranne qui aime tous les mauvais genres, et parle donc régulièrement de polar, de SF, de fantasy, de fantastique. Au Soir, on a parlé régulièrement de SF dans les pages littéraires : depuis 1981, un article tous les quinze jours, ce qui n’est pas mal. Mais je l’avoue, depuis qu’on m’a bombardé responsable des Livres du Soir, le supplément littéraire du journal, je lis beaucoup moins d’imaginaire parce que mon boulot est aussi de parler de littérature générale et de gérer l’ensemble. Il ne tient cependant qu’à moi de reprendre une chronique tous les quinze jours : si je le décide, si je lis au moins un bouquin toutes les deux semaines, je peux l’imposer. Comme Dufranne à la RTBF. Cela tient à notre personnalité et à notre position dans le média : Dufranne est totalement soutenu par le responsable de l’émission Thierry Bellefroid (qui, lui, est un spécialiste de BD) et je suis totalement soutenu par mon chef de service et par mon rédacteur en chef.
Il y a cependant des freins internes, en tout cas pour moi. Mon supplément fait quatre pages par semaine. Dans laquelle il y a de la BD chaque semaine, du polar quasiment aussi, de la jeunesse (plutôt enfants) une semaine sur deux. Je pourrais ajouter de l’imaginaire une semaine sur deux aussi. Mais j’ai préféré en parler quand ça se présentait, comme toute autre littérature. Et là c’est moi et seulement moi qui coince : je ne lis plus assez, j’ai trop de lectures en dehors, on me propose trop d’entretiens avec des auteurs mainstream, si bien que je délaisse un peu le reste, cad l’imaginaire.
Mais cela ne concerne que moi. Dans les autres médias belges, la littérature d’abord est plus ou moins mal logée. Mes confrères ont peu de place pour s’exprimer, doivent faire des choix draconiens, etc. Donc la place réduite de la littérature réduit encore davantage la place de l’imaginaire. La Libre sweule consacre aussi un supplément hebdomadaire à la littérature. Mais personne à la Libre ne porte l’imaginaire, si bien que c’est une littérature totalement oubliée.
C’est là que je veux en venir depuis le début. Pour que les médias parlent imaginaire, il faut que des journalistes s’en emparent et portent le sujet dans les pages ou émissions consacrées à la littérature. Comme Jacques Baudou l’a fait au Monde, comme Frédérique Roussel l’a fait à Libé. Ailleurs, rien ! Il faudrait chez Busnel, au Figaro, ailleurs, des journalistes passionnés par l’imaginaire. Mais même, je l’avoue, quand il y en a, ces médias les étouffent souvent. Ce fut le cas de Jacques Baudou, que le Monde a réduit puis découragé. Et l’on peut voir maintenant que François Angelier peut intervenir au Monde mais pas trop souvent. Et que Frédérique Roussel a été submergée d’autres tâches.
En France, il semble que l’esprit cartésien l’emporte aujourd’hui dans les esprits, alors que Jules Verne, Robida, Rosny Aîné, Carsac, Barjavel, etc et même des mainstreamers comme Maurois ont fait les beaux jours de l’imaginaire. En Belgique, on ne dédaigne pas le côté imaginaire des choses, c’est notre pulsion surréaliste, fantastique, magritienne, rayenne, mais, alors que le Musée Magritte fait venir des admirateurs du monde entier, les Belges eux-mêmes ne semblent pas si concernés…
Comment faire selon vous pour que l'imaginaire soit mieux représenté dans les médias, notamment les grandes émissions et journaux littéraires ?
S’il y a de la paresse du côté des journalistes et critiques vis-à-vis des littératures de l’imaginaire, il y a aussi un manque de vrai travail du côté des relations publiques des éditeurs concernés. Je ne veux pas que ces derniers bombardent les journalistes de propositions. Mais que, de temps à autre, ils ciblent l’un ou l’autre écrivain pour le proposer à Busnel, au Figaro, ailleurs, en interview. Pour parler de mon expérience personnelle, je reçois chaque semaine de la part des éditeurs mainstream français plusieurs propositions de rencontre, avec des écrivains étrangers de passage à Paris ou même à Bruxelles, avec des écrivains français. D’où, comme je le disais plus haut, la somme d’interviews qui me sont proposées. De la part des éditeurs de l’imaginaire ? Peu, très peu, trop peu. Un éditeur qui a du fric comme Bragelonne m’a proposé Peter F. Hamilton, une fois, et je l’ai fait avec grand plaisir, je suis même allé à Paris (sans d’ailleurs que Bragelonne offre le train au Soir). Pour l’Arkane de Bordage, que j’ai trouvé formidable, c’est moi qui ai pris contact avec lui. Tristram m’a proposé de rencontrer Nina Allan, je l’ai fait il y a deux ans, l’éditeur me le repropose mais je n’ai pas encore lu son dernier bouquin. De l’Atalante, de Scrinéo, d’Actes Sud, des autres, pas grand-chose sinon rien. A part des rencontres lors de festivals évidemment : c’est plus facile et ça coûte moins cher. Mais pourquoi ne pas propose à Busnel ou au Figaro de recevoir George RR Martin, Neil Gaiman, Jo Walton, Kim Stanley Robinson, Stefan Platteau, Pierre Bordage, etc. ? Je crois que les éditeurs doivent être davantage pro-actifs, se faire entendre. Je sais, c’est d’autant plus difficile que ces éditeurs ont une structure fragile et petite. Mais je crois que c’est le monde d’aujourd’hui. Si je recevais plus souvent des propositions de rencontre de la part de ces éditeurs, sans doute en ferais-je davantage sur l’imaginaire dans les Livres du Soir. Et c’est peut-être/sans doute vrai pour d’autres médias. Il faut attirer les journalistes, leur proposer des rencontres, des bouquins, des choses auxquelles l’éditeur croit fermement.