Actusf : Sur quoi travailles-tu ? Quelles sont tes prochaines publications ?
Après la parution à la fin de l’été dernier du tome 2 des enquêtes préhistoriques de N’a-Qu’un-Œil (La Mère des ondes et des crues, Les Moutons électriques), j’ai momentanément laissé de côté mon chamane-détective pour, ces temps-ci, travailler sur un roman de fantasy où la typographie (hin hin hin) (1), la détestation des légumes, les marées, les bibliothèques et les plumes (d’oiseau ou de calmar) jouent un grand rôle. Je devrais l’avoir terminé d’ici... disons, quelques mois, et ça sortira normalement en 2017.
Derrière, j’enchaînerai sur le planet opera qu’il va bien me falloir finir un jour ! Et, entre-temps, j’écris une nouvelle de temps à autre, quand le sujet de l’appel à texte – ou de l’antho pour laquelle on me sollicite – me parle.
Cette année, j’aimerais aussi rédiger un ou plusieurs articles autour du concept de « géografiction », une lecture géographique des œuvres SFFF. Si j’ai le temps (vu que, pour le coup, il faudra d’abord que je relise pas mal de bouquins).
(1) Ce ricanement parce que, soi-disant, mes fantaisies typographiques seraient le pire cauchemar des maquettistes. C’est vrai que j’ai déjà essayé des formes diverses pour écrire de la SFFF : poésie, théâtre, cut-up à la Arno Schmidt (ou, si on veut, à la William Burroughs, auteur que je ne prise guère), dispositions inhabituelles sur la page (genre scénar de film avec texte en colonnes) voire calligrammes ou texte en miroir (dans la dernière nouvelle du Tibbar, par exemple), mais de là à pousser les hauts cris quand il faut mettre en page un de mes récits, quand même... Voilà quarante ans, Claude Ollier dans Fuzzy Set (1975) ou Philippe Goy dans Le Livre/machine (même année) faisaient des choses bien « pires », en termes de souffrances infligées aux maquettistes !
Côté parutions, un roman jeunesse doit sortir à l’automne dans une nouvelle collection lancée par un éditeur SFFF bien connu. On y trouvera chat, canari, cochon d’Inde ou silure mutants, une jeune fille goth jusqu’au bout des Rangers, un vétérinaire fou et un têtard immortel. Il y a aussi un chien à trois pattes qui prend cher.
Quelques nouvelles doivent sortir ici ou là, cette année, mais je ne sais pas exactement quand. Notamment : une histoire d’horreur dans les ruines de Pompéi ; la chronique d’un voyage en train-de-dirigeables au-dessus d’un désert de sable carnivore ; une tranche de la vie d’une routière femme-renarde qui conduit un semi-remorque, dans un monde de fantasy bordélique.
Quelles sont tes prochaines dédicaces ?
Je réside toujours à Mayotte, jusqu’à mi-juillet, avant de rentrer en métropole. Je ne sais pas encore où j’habiterai alors. Plus à Nice, je l’espère – fort belle ville, mais j’y ai déjà vécu bien longtemps et j’aimerais voir autre chose. Ça dépend de la réponse que mon administration bien-aimée, aka l’Éducation nationale, donnera à ma demande de mutation. Donc c’est assez flou au point de vue dédicaces, peut-être à La Procure d’Annecy l’été prochain – j’y avais été très bien accueilli en août 2015. Quant aux salons... peut-être à l’automne, si on m’y invite ;-)
Y’a-t-il un livre d’Imaginaire que tu as lu récemment et que tu nous conseillerais en ce début d’année, et pourquoi ?
Eh bien, oui, j’aimerais parler de trois auteurs d’imaginaire... le genre entendu ici au sens large.
En tête de liste, Tom Sharpe, mort en 2013, et que j’ai découvert l’automne dernier. C’est anglais, absolument délirant, prétendument en « littérature blanche » mais, j’y reviens plus loin, pas plus que ça au fond. Et ce type accumule des situations ahurissantes, méchantes, drôles, jusqu’à un premier paroxysme, puis il enchaîne paroxysme sur paroxysme jusqu’à ce que l’on repose le livre, la dernière page lue, en se disant : « Ouf, je suis crevé... et j’en veux un autre ! » Rien ne l’arrête, cet homme. Tom Sharpe, ou « quand l’humour british devient une charge thermonucléaire » (et « charge » aussi dans le sens de satire féroce, tout le monde y a droit, tous les milieux, toutes les classes sociales).
J’ai lu récemment les trois premiers de la série « Wilt » (lequel est un prof de littérature en lycée pro... eh eh, mais c’est précisément mon boulot, ça !), à qui il arrive des aventures effarantes, puis ai enchaîné sur cinq autres romans. Deux, d’abord, bien gratinés, qui ont pour cadre un collège imaginaire de Cambridge nommé Porterhouse, et trois autres ensuite, tout aussi démentiels : Quelle famille ! (Ancestral Vices en VO, le titre français est à mon sens plutôt faiblard), évoquant les sordides machinations de Lord Putrefact ; Fumiers & C° (The Midden), thriller apocalyptique dans lequel les protagonistes se déguisent en mouton pour attaquer un château, fument du venin de crapaud avant de monter sur une énorme moto ou encore se suicident au dentifrice ; Le Cru de la comtesse (Vintage Stuff), alliance brindezingue du Prisonnier de Zenda, de Don Quichotte et de l’univers des Monty Python.
On ne m’enlèvera pas de l’idée que les professeurs de l’Université Invisible des romans de Pratchett doivent beaucoup à ceux de Porterhouse. Quant aux lieux imaginaires, le collège fictif de Cambridge, mais aussi la monstruosité architecturale de The Midden et, dans une moindre mesure, le château perché de Vintage Stuff, me semblent tout aussi mémorables que Hogwarts (Poudlard en VF) chez JK Rowling ou Gormenghast dans la trilogie de Mervin Peake.
En deuxième place, les nouvelles de Jørn Riel, auteur danois. Quand je suis à Mayotte, je lis un maximum de livres qui se passent en milieu polaire (récits d’explorateurs, romans ou nouvelles SFFF, polars islandais, grands classiques de la littérature nordique, etc.). En effet, quand j’en ai vraiment _marre_ de la chaleur de four – 2015 a été l’année la plus chaude qu’ait connue Mayotte depuis 1880, et c’est bien parti apparemment en 2016 pour être encore pire, avec le très fort El Niño qui sévit actuellement dans le S-E du Pacifique et que nous ressentons partout sur Terre –, je me colle sous la clim’ de ma chambre réglée au plus froid, et ouvre un de ces bouquins.
Dont la série des « racontars arctiques » de Jørn Riel, recueils de nouvelles narrant la vie des (quelques) truculents habitants de la côte est du Groenland vers le milieu du XXe siècle. C’est vivant, décalé, très drôle... et l’étrangeté absolue du décor, plus l’extravagance des récits, fait que je le range sans hésiter dans les littératures de l’imaginaire.
En troisième, là encore pour l’étrangeté des paysages, un polar ethnologique d’Arthur Upfield. Pas récent récent (l’auteur est né en 1880, mort en 1964, ses premiers romans datent du tout début des années 1930, et ils ont abondamment été traduits en français depuis plus de vingt ans). J’en avais lu plusieurs, mais pas L’Homme des deux tribus (The Man of Two Tribes, 1956), que j’ai terminé voilà peu. Les récits d’Upfield mettent en scène un policier, l’inspecteur Napoléon Bonaparte, métis de blanc et d’aborigène, dans les paysages de l’Australie des années 30 à 50 du siècle dernier. Et ce roman-ci a pour cadre une région, la plaine de Nullarbor (dans le sud de l’île-continent), si vaste et si plate que les notions de distance et de perspective en sont abolies (on s’y perd, on y erre des semaines entières, on peut facilement y mourir de faim, soif, épuisement et, oui, terreur cosmique). Les mouvements de nuages, dans le ciel, y donnent le vertige : ainsi, un personnage se trouve contraint de ramper longuement.
Vers 1840, le premier Européen à l'avoir traversée, l’explorateur Edward Eyre, la décrit comme une « anomalie hideuse, une erreur de la Nature, un paysage de cauchemar ».
Toutes proportions gardées, j’ai par moment songé au _Monde inverti_ de C. Priest, tant ce décor proche de l’abstraction mathématique, et ses interactions avec les personnages, jouent un rôle clé dans l’économie du récit.
Enfin, un petit mot pour trois récentes découvertes de nouvellistes SFFF (j’aime tout particulièrement les textes courts, de la micronouvelle à la novella). Le recueil de Paolo Bacigalupi titré en français _La fille-flûte_ (aux USA : Pump six and other stories) est, je trouve, une belle réussite. Et, côté auteurs francophones, deux nouvelles m’ont emballé dans l’anthologie de Jeanne-A Debats titrée 42 : l’appel de la SF (chez Parchemins & Traverses) : les textes de Sylvain Chambon et Magali Couzigou. Deux noms à suivre, à mon avis.
Bigre, je me suis une nouvelle fois montré un chouillas bavard !