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Au-delà de la planète silencieuse

Clive Stape Lewis ( Auteur), Maurice Le Péchoux (Traducteur), Emmanuel Malin (Illustrateur de couverture)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/03/2008  -  livre
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Au-delà de la planète silencieuse

Membre lui aussi des Inklings, ce club d'éminents professeurs d'Oxford que fréquentait Tolkien – dont il était d'ailleurs un ami très proche –  la mémoire de Clive Staples Lewis a longtemps pâti, chez nous, de ce voisinage. C'est l'adaptation par les studios Disney de ses Chroniques de Narnia qui l'a opportunément remis au goût du jour. Sans doute est-ce aussi ce qui a donné à Folio SF l'idée de se pencher à nouveau sur sa Trilogie cosmique, écrite en 1938. Une première traduction de 1952 existe, mais c'est dans la version plus récente de Maurice Le Péchoux, que Folio SF a choisi de nous présenter cet insolite classique.

Insolite, car il répond à un cahier des charge précis. Ce premier tome est écrit à la suite d'une conversation que Lewis a avec Tolkien sur les tendances déshumanisantes de la science fiction d'alors. L'allusion aux pulps et à leurs insouciants récits d'aventures stellaires est claire. Il est convenu que chacun s'essaiera au genre, Tolkien par le biais d'une histoire de voyage temporel et Lewis par celui d'un space opera. Mais au final, seul Lewis rempliera sa part du marché, et se faisant, il laissera infuser dans Au-delà de la planète silencieuse, nombre de ses propres obsessions, et notamment sa philosophie théiste, qu'il considère comme constitutive de l'Humain.

Destination incertaine

Professeur de philologie,  Elwin Ransom est en vacances bien loin de Cambridge,  lorsque, suite à un concours de circonstances aussi improbable que malencontreux, il retrouve Devine, l'un de ses anciens condisciples. À l'époque de leurs frasques étudiantes, il ne l'appréciait guère, et les circonstances de leurs retrouvailles ne font que confirmer cette ancienne impression. Quand il le revoit pour la première fois, le jeune homme est en train d'obliger son valet, simple d'esprit, à rentrer dans une étrange sphère de métal qui se découpe sur le ciel crépusculaire. Il est aidé à la manœuvre par Weston, un homme brutal et colérique que Devine lui présente néanmoins comme un physicien de renom.

Convié malgré tout à prendre un verre en leur compagnie, Ransom est drogué. Il ne reprend conscience que plusieurs heures plus tard à bord de la sphère de métal qu'il avait aperçue plus tôt. Il y règne une chaleur infernale, et c'est un Weston nu comme un ver qui entre dans sa cabine pour lui expliquer qu'il est désormais à bord d'un vaisseau spatial de sa conception qui fait route vers Malacandra. Devine et lui-même vont l'y livrer aux mystérieux sorns. Partagé entre l'horreur et la résignation, rejetant la tentation de mettre fin à ses jours, il attend la fin du périple et l'arrivée sur Malacandra pour fausser compagnie à ses ravisseurs.

C'est le début de l'exploration de cette étrange planète, toute de canyons encaissés, d'herbe rose, et peuplée de créatures à la rencontre desquelles, le philologue Ransom, va partir.

Les Voies du ciel

On ne démentira certainement pas  Guy Lardeau, qui, dans son Fictions philosophiques et science fiction, voit dans La Trilogie cosmique une brillante métaphore du gnosticisme. La référence est réservée aux plus pointus des exégètes du christianisme (une espèce pas si courante chez les lecteurs d'un genre plutôt réputé pour son athéisme), et les allusions seraient de toute façon trop crytptiques pour qu'elles puissent parler à tout à chacun.

En revanche, ce qui est certain, et évident, c'est la teneur éminemment religieuse de l'œuvre de Lewis. Déjà perceptible dans Les Chroniques de Narnia, cette dimension est l'unique raison d'être de La Tirlogie cosmique. Car sans doute plus même que pour ses fictions, C.S Lewis est connu, et reconnu, pour sa réflexion sur la religion, et notamment le principe de « mere christianism », qui au cœur de sa théologie. Cet apostat, issu d'une famille protestante et qui s'est converti au christianisme à l'âge de 33 ans ( ! ), s'est voulu le chantre d'un œucuménisme moderne, qui se trouve tout entier résumé dans cette idée de simple christianisme, sorte de tronc commun à toutes les religions monothéistes.

Ces valeurs communes procèdent selon lui de la morale, de la raison et du désir.

La morale tout d'abord, au sens d'une obligation qui s'imposerait par nature à tout être humain, le conduisant nécessairement vers le bien. Un principe qu'il va explorer, notamment par le biais des motivations de ses personnages. De ce point de vue, le pâlot Ransom ne nous sera de guère de secours, mais il va conduire une mise à l'épreuve plus satisfaisante avec les deux "méchants" d'Au-delà de la planète silencieuse, dont les motivations les plus troubles se résolvent tout de même dans la rédemption, même si celle-ci prend parfois une forme singulière.

L'argument de la raison, est plus ténu. Pour Lewis, notre capacité à juger du vrai et du faux ne peux être, seule, la résultante de nos réflexes et de notre apprentissage par l'erreur. Elle implique la convergence de la réalité et de l'intelligence. Ce qui revient à admettre qu'elle est la reconnaissance d'une harmonie raisonnée. Raisonnée par un esprit créateur, qui nous fît à son image. Et c'est cette fois Ransom, qu'il propulse sur cette planète inconnue, qui va, grâce aux ressources de la philologie, trouver le schéma constitutif du réel, et le reconnaître dans son universalité.

Le désir enfin, c'est celui de l'union avec dieu. Il résulte toujours d'un parcours personnel, qui débouche sur la découverte d'un besoin de se ressourcer au sein d'un principe supérieur. Pour Lewis, il ne peut, évidemment être que divin. Et de fait, lorsque Ransom s'abandonne à la parole d'Oyarsa, figure tutellaire  des Malacandriens mais émanation d'un créateur supérieur, la métaphore chrétienne est transparente. Le scientifique sceptique (qui emprunte un peu à Tolkien d'ailleurs, lui aussi philologue), trouve la foi et le réconfort d'une communion dans l'immanence.

Le propos est donc clair, mais qu'en est-il des simples qualités littéraires d'Au-delà de la planète silencieuse  ?

Épreuve de foi

S'il y a beaucoup à dire sur cette trilogie, il faut bien admettre qu'il y a, en revanche, assez peu de chose à se mettre sous la dent à la lecture de ce premier volume.

Nous sommes en 1938, la science fiction telle que nous la pratiquons (ou dont nous sommes peu ou prou les héritiers) est encore à inventer, et C.S Lewis n'a à sa disposition qu'un arsenal réduit, qu'il va mettre, on l'a vu, au service exclusif de son propos. Ainsi, outre la pénible impression qu'il n'est pas à son aise dans cet univers stellaire – bien moins en tout cas que sur les continents de Narnia –, il va falloir au lecteur d'aujourd'hui un amour sincère du genre et une curiosité qui frise la profession de foi pour surmonter le relatif ennui qui se dégage de l'ensemble.

Passé le propos, dont la pertinence sera laissée à la seule appréciation du lecteur éventuel, reste un style – limpide mais sans flamboyance – qui ne se remet que douloureusement du passage des ans. Quant à l'exotisme en technicolor avec lequel Lewis assaisonne son intrigue est touchant de candeur, il nous rapproche plus de Rice Burroughs que de Ray Bradbury. Souffrant ainsi d'un entre-deux involontaire, il peine à trouver pas sa place. Pas assez vieux pour être kitch, trop peu aventureux pour être moderne et alourdi par un message trop présent, Au-delà de la planète silencieuse se lira aux fins de documentation. Et à cet égard, on regrette que Folio SF n'ait pu mener à bien son projet de préface. Pari risqué que de lâcher dans la nature un tel roman, sans prendre la précaution de le remettre tant soit peu dans son jus. C'est préjuger avec optimisme de la curiosité des lecteurs, si avertis et curieux soient-ils.

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