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CoCyclics : bêta-lecture et conseils d’écriture - mars 2017 partie 1
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CoCyclics : bêta-lecture et conseils d’écriture - mars 2017 partie 1

Pour cette 13ème chronique, CoCyclics a voulu décortiquer les séries littéraires ; quoi de mieux que deux auteurs prolifiques sur ce format pour en parler comme il se doit ? Le Collectif s’est donc adressé à Stéphane Desienne (Toxic, Exil) d’un côté et Cécile Duquenne (Les Nécrophiles anonymes, Les Foulards Rouges) de l’autre, pour une interview croisée en deux parties, dont voici le premier volet.
 
Merci à eux de s’être prêtés au jeu !
 
Qu'est-ce qui différencie une série littéraire d'une saga en plusieurs volumes ? 
 
Cécile Duquenne : Le découpage et le rythme.
 
Le découpage d'une série est basé sur le format sériel au sein même de l'unité qui, pour une saga de romans, équivaut à ce que l'on appelle un tome.
 
En série, on parlera d'épisodes et de saisons, tandis qu'en saga romanesque, ce seront des chapitres et des tomes. Ce changement de vocabulaire n'est pas qu'un emprunt au monde des séries télévisées, et loin d'être superficiel. Déjà, alors qu'une saga peut avoir des romans différents dans leur découpage d'un volume à l'autre, ce n'est pas le cas dans une série : si on a prévu sept épisodes qui représentent environ 1h à 1h30 de lecture chacun, alors, on doit s'y tenir pour les saisons suivantes. Le découpage doit aussi s'envisager dans la temporalité de la lecture, et c'est ça, aussi, qui différencie la série du roman. Dans un roman, on découpe par rapport aux événements du scénario, et on évalue la longueur des chapitres en les calibrant à peu près de taille égale, mais au final, ça n'a pas une importance majeure : à moins d'un gros déséquilibre d'un chapitre à l'autre, ça passe. Dans une série, il faut prendre en compte le fait que le lecteur achète chaque épisode seul, et que par cet acte d'achat, à prix identique chaque fois, il entend obtenir un temps de lecture chaque fois égal lui aussi. Et je parle bien de temps de lecture. Si l'on fait plus court, un lecteur se sentira floué...
 
De par cette structure et cette économie, la série est aussi soumise à une obligation de rythme : il ne peut pas y avoir de "chapitre" de transition. Pas de temps mort. Pourquoi ? Parce que si c'est le cas, comme le lecteur achète les épisodes un par un, pour peu qu'il soit déçu par le précédent aussi pour une raison X ou Y, eh bien... il pourra abandonner la série en cours de route. Dans le cas d'un roman, cela signifie qu'il referme le livre ; dans une série, il n'achètera pas la suite et cela peut marquer la fin de l'existence de cette série si la majorité des lecteurs font de même.
 
 
Attention, ce rythme n'a pas besoin d'être bourré d'action, le contenu peut varier (et il le doit, pour éviter l'ennui) ; il faut le baser sur le suspens surtout, d'où l'importance de l'outil du cliffhanger : il s'agit de donner au lecteur une bonne raison de revenir le plus vite possible. Quelque chose qui reste ancré dans sa tête jusqu'à parution du prochain épisode, pour qu'il se dise : "Chouette, le voilà !"
 
Dit comme ça, ça fait très économico-centré. Cependant, la vérité, ce n'est pas tant celle des euros que du lecteur : la création d'une série est un dialogue constant avec le lecteur, c'est lui qui a le pouvoir de décider s'il continue ou pas. Ce dialogue n'est pas mené en direct, mais il est déterminant : pour qu'une série vive, elle doit rester à l'écoute des attentes. Un épisode doit créer un horizon d'attente autant que l'on doit y répondre, et ce dialogue constant peut vite être épuisant. Quelque part, une série ne s'écrit jamais porte fermée : c'est un format où, dès le départ, il faut connaître son lecteur et lui laisser une place dans l’œuvre.
 
Néanmoins, ce sont ces contraintes qui font de la série un type d’œuvre aussi passionnant à écrire : il faut sans cesse se renouveler, chaque épisode doit être à la fois le même que les précédents et différent des autres, bref, on est dans une logique d'originalité et de suspens. On l'est aussi dans un roman, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit… ! Mais dans le cas d'une série, pour les raisons évoquées ci-dessus, c'est exacerbé et, même, primordial. 
 
Stéphane Desienne : L’unité de base de la série, c’est l’épisode et au final, tout gravite autour. En lui-même, l’épisode est un format (dans les feuilletons, il possède même son propre arc narratif, comme par exemple la résolution d’une enquête) ; un format avec sa dynamique interne : placer le cliffhanger, une révélation en fin d’épisode pour donner envie de lire le suivant, donner la parole à tous les protagonistes dans un épisode ou bien le centrer sur l’histoire d’un seul en particulier (avec un flashback qui explique ce qu’il est et pourquoi il agit d’une manière et pas d’une autre), le centrer sur une unité de temps ou de lieu, etc…
 
Souvent, comme le rappelle Cécile, l’épisode possède un découpage fixe. Par exemple, tous les épisodes de Toxic, à l’exception des épisodes de fin de saison (double), sont calibrés à 180 000 signes environ. C’est une convention liée au prix unique par épisode, mais en l’espèce, rien n’empêche d’avoir des épisodes plus longs, plus chers et certains plus courts, moins chers. Cela dit, les épisodes doubles des fins de saison de Toxic et Exil sont vendues au même prix que les normaux…
 
 
Ensuite, les épisodes ont chacun leur place dans une saison dotée de sa propre dynamique : on a des épisodes de début et de fin de saison (laquelle clôture souvent un cycle avec les germes du suivant). En cela, je nuancerais le propos de Cécile quand elle dit « il ne peut pas y avoir de "chapitre" de transition ». Je pense que la saison a aussi besoin de respiration, qu’il peut y avoir des épisodes transitoires et cela fonctionne d’autant mieux lorsqu’un épisode transitoire laisse percevoir au lecteur la richesse de la suite (par exemple, avec l’introduction d’un nouveau lieu ou de nouveaux personnages).
Je suis aussi d’accord pour dire que la série repose sur une économie différente de la saga (souvent le premier épisode d’une série est gratuit) et qu’en général, on conserve aussi une unité de prix par épisode, le pari est plus élevé. Il existe par ailleurs les intégrales, phénomène plus courant pour les séries que pour les sagas (ou alors, c’est une intégrale en plusieurs volumes où c’est plutôt l’édition qui est uniformisée, comme dans le cas des collectors).
 
Quels sont, selon toi, les éléments indispensables pour un bon épisode de série ? 
 
SD : Un bon épisode de série, c'est celui donne envie de lire le suivant !
C'est délicat de dire : "il y a des ingrédients, voilà la recette et voilà ce que tu dois obtenir pour que ça fonctionne". Si la série séduit (par son thème, son univers, ses personnages, l'ambiance, etc.), alors les épisodes seront lus les uns derrière les autres selon le schéma mis en place par l'auteur. Dans la dynamique interne à la série, les épisodes seront, la plupart du temps, différemment perçus (certains seront jugés meilleurs que d'autres) et ce en fonction de leurs objectifs, de leur position (si par exemple c'est un épisode qui marque une rupture, son impact sera plus fort). Il n'existe pas de "lissage" possible, les épisodes ne seront – de mon expérience – jamais égaux.
Ensuite, je dirais que les "ingrédients" sont fonction des objectifs de l'épisode (s'il est introductif, d'action, de transition, de rupture ou encore une boucle narrative) et de la place qu'il occupe dans le schéma général. Un épisode bien placé, par exemple une pause entre deux événements majeurs, offrira de la profondeur (à un ou plusieurs personnages par exemple, ou encore un lieu, un fait historique qui va nourrir la trame principale).
 
Au final, c'est très difficile de qualifier un bon épisode, mais il est en revanche très probable qu'on en apprécie certains plus que d'autres.
 
CD : J’ai tendance à être assez d’accord avec Stéphane ici : un épisode doit avant tout donner envie de lire la suite, indépendamment de son contenu, de son rythme, de sa forme… c’est donc extrêmement relatif d’une série à l’autre, voire d’un épisode à l’autre. Evidemment, il y a des ingrédients à manipuler pour obtenir ce résultat, mais ils varient d’une recette à l’autre. C’est un peu comme dire ce qui fait un « bon plat »… Est-ce le goût ? La texture ? La qualité des ingrédients ? Tout à la fois ? Mais un plat avec un excellent goût et une excellente texture peut être très lourd à digérer, et ne pas donner envie d’en reprendre… tout est une question de dosage. Il ne faut pas vouloir trop en faire non plus : cela peut faire fuir le lecteur.
Ce qui fait un bon épisode, indépendamment des efforts que l’auteur peut y mettre, c’est le lecteur : si les thèmes sont en résonance avec son vécu, ses attentes, etc., alors l’épisode marchera. Mais là, ce n’est pas spécifique au format sériel. C’est valable pour toutes les formes de littérature.
 
Quels sont les éléments indispensables d'une bonne série, dans sa globalité ? 
 
CD : Suspens et rythme, donc. On y revient encore.
 
Mais je crois que plus encore que dans un roman, il faut des personnages forts et/ou un univers original. Pourquoi ? Parce que dans un roman, le lecteur va lire une unité de texte qui a une fin. Dans une série, non, au sens où l'engagement pris est perçu et vécu dans un temps long : un roman, s'il ne nous plaît pas, on le lit, on le referme, et voilà, ça aura duré... deux semaines à un mois selon sa longueur et notre rythme de lecture. Pour une série, disons de sept épisodes comme la mienne, au rythme d'un épisode par mois, ça s'étale sur sept mois complets ! Il faut donc vraiment, selon moi, tout miser sur les personnages ou l'univers, ou bien les deux, pour que l'identité de la série permette un maintien de la curiosité sur plusieurs mois. Un excellent style peut évidemment faire revenir votre lecteur, mais à mes yeux, c'est un plus qui va vous différencier des autres séries, pas le cœur du format sériel.
 
Mis à part ça, j'ai envie de dire que TOUT EST POSSIBLE ! Et c'est pour ça que j'adore le format sériel. On peut tout mélanger, tout faire, tout tenter ou presque (et j'ai hâte de voir quelqu'un qui me prouvera que j'ai eu tort et que tout ne repose pas sur le suspens, les personnages ou l'univers !).
 
SD : Aux propos de Cécile auxquels j’adhère sans réserve, j’ajouterais : le sense of wonder. À mon sens, c’est la portée de la question sur laquelle repose la série : Harry Potter va-t-il transcender son destin et vaincre le mal absolu ? Le Second Empire Galactique va-t-il émerger et la Psycho-histoire triompher ? Comment Paul Atréides va-t-il transformer Dune, son univers ? Comment va évoluer le très futé « nabot » Miles Vorkosigan dans une société impitoyable ? On le retrouve également dans Silo de Hugh Howey avec une extraordinaire première partie.
 
Plus la question posée est énorme en termes d’implication, des ramifications, humaine, sociétal, technique, plus la gravité de la série attire, plus elle libère de potentiel.
Je pense qu’il ne faut pas hésiter à voir grand quand on se lance dans ce format. Voire très grand, pour justement profiter du format sériel très bien adapté pour ça.
 
Pour Toxic, je pose une question : l’Humanité va-t-elle survive à une invasion alien et un virus zombie ? Après, je construis l’univers, les personnages, les destins, mais le sense of wonder est présent dès les premières lignes. Si l’auteur parvient à frapper les esprits d’entrée de jeu, j’aurais tendance à dire que le reste suit, s’il met habilement les éléments en musique : rythme, tempo, twists.
 
Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire des séries littéraires ? 
 
SD : J'y suis venu lors de mon challenge 2012 (N.D.L.R. : le « challenge 1er jet » est une section sur le forum d’écriture CoCyclics dédiée à l’écriture d’un premier jet de texte long) qui portait sur Toxic. À cette époque, le livre numérique se trouvait au centre de toutes les attentions et le format série, en particulier, commençait à faire des émules. Nous discutions beaucoup de "webséries littéraires", du renouveau du format novella porté par les séries. Ça a agi comme un déclic, une occasion idéale de se lancer sur ce terrain de jeu avec des zombies et des aliens. Depuis, j'ai récidivé avec Exil dont j'écris la seconde saison en ce moment. Zoulag est également une mini-série avec quelques épisodes à publier.
 
Toxic m'a donné le goût de la série car elle autorise beaucoup de liberté en termes d'histoire, de personnages, de points de vue. Le format standard classique du roman (dans les 300 à 400 000 signes) n'est plus une limite aux multiples développements. Si la série est exigeante (durée, organisation, énergie) et qu'elle représente un gros investissement, le plaisir et le fun qu'elle procure sont incomparables. À mon sens, le format est jouissif. Je ne m'arrêterai d'ailleurs pas à ces trois-là.
 
CD : Les séries télévisées. Je trouvais ce format formidable, car il permettait de raconter des événements et d’explorer du vécu de manière approfondie, par la variation, ce que le format film ne permettait pas. À certains égards, la même logique s’applique aux romans et aux formats sériels : on peut davantage approfondir en une saison d’épisodes qu’en un seul roman de taille moyenne. Cela étant, cela ne signifie pas que les romans manquent de profondeur, juste qu’il ne s’agit pas de la même manière d’explorer l’univers mis en récit.
 
C’est cette potentialité du format sériel qui m’a tout de suite attirée : j’aimais déjà raconter au format roman, mais le format série a ceci d’extraordinaire qu’il permet, si on le souhaite, d’aller encore plus loin. Cela ne signifie pas que je hiérarchise l’un par rapport à l’autre, pas du tout. Le roman possède des forces que la série n’a pas, et vice versa. C’est simplement une question de goût, je crois.
 
La suite et fin de l’interview croisée ici. (Note : elle mise en ligne le jeudi 30 mars à 9h00)
 

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