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Comic Trip
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Comic Trip

Sorti du luxe discret d’un club pour gentlemen – extraordinaires ou pas –, de la bruissante suractivité d’une prospérité retrouvée et abstraction faite du délicieux charme poussiéreux de l’aristocratie, l’Angleterre, c’est surtout la promiscuité mousseuse et transpirante des pubs et la condition abjecte d’un sous-prolétariat marnant dans le fond de brouet d’une industrie exclue du miracle économique de la gauche droitisante. C'est là haut, dans le Nord, que se concentre la faune industrieuse. Un  Nord qui commence très au Sud, en fait. À peine passées les limites de l'Orbital, l'anneau routier labyrinthique qui entoure Londres.

Ici débute une province dure, où l’on a la main calleuse et l’accent épais comme de la mélasse. À peine à cent kilomètres de Londres, dans les Midlands, en plein centre du pays, se trouve Northampton. Ville industrielle, jadis paradis de la chaussure, ravagée par le chômage et la crise des années 80, qui tente aujourd’hui l’embellie à l’ombre du post-blairisme. L'un des taux de criminalité les plus élevés de Grande-Bretagne, et une condition ouvrière si crasse, qu'elle est devenue le maître-étalon sociologique de la fracture sociale made in U.K. Entre autres rigolards fameux, Northampton a vu naître Thom Yorke de Radiohead, et les quatre membres de Bauhaus. Vous dire si l’on s’y marre.

C’est aussi là que vît le jour, le 18 novembre 1953, Alan Moore. Cinquante cinq ans plus tard il y traîne toujours sa grande carcasse de Raspoutine britton. Drapé dans son immense manteau noir, une main outrancièrement baguée appuyée sur une lourde canne de marche, il ressemble à un négatif d’aristo dandy. Grand seigneur version prolo. Génie de l’écriture en défroque de métalleux. Finalement, Alan Moore est raccord avec le décor.

No Black, No Irish... No Drugs

Fils d’Ernest, ouvrier à la brasserie locale, et de Sylvia, typographe, Alan Moore garde surtout de son enfance le souvenir de la terrible condition ouvrière au lendemain de la guerre. Car à Northampton, quinze ans après, c’est encore le lendemain de la guerre. Ici pas de swinging sixties, pas de Carnaby Street, pas de Ready, Steady, Go !. Northampton est encore au début des années 60 le genre d’endroit où l’on peut lire à l’entrée de certains magasins des pancartes annonçant "No Black, No Irish, No Dog". C’est là qu’Alan Moore a grandi, et comme beaucoup à l’époque, il y suit une scolarité erratique. Le fait qu’il soit aveugle de l’œil gauche et sourd de l’oreille droite (ce qui lui fait dire – fataliste – que "au moins comme ça, ça s’équilibre") n’arrange certes rien. Mais plus encore, c’est son origine sociale qui le handicape lorsque à 11 ans, il entre à la Nortampton Grammar School. Issu d’un milieu plus que modeste, c’est la première fois qu’il se trouve confronté aux valeurs de la classe moyenne. Il découvre alors les strates du pouvoir, qui découpent la société anglaise en fines tranches de privilèges jalousement gardés de générations en générations. Et se faisant, il découvre que ses origines ne lui en accordent aucune. Ainsi, lorsqu’à 17 ans, il se fera surprendre en train de vendre du LSD dans l’enceinte de l’école, il sera exclu sans autre forme de procès, en dépit de ses six années de scolarité sans histoire. Pour faire bonne mesure, le directeur s’assurera qu’il ne puisse être repris dans aucun autre établissement de la ville.

Sale jeune !

Sans diplôme, sans formation particulière, Alan Moore gagne sa vie en étant tour à tour, tondeur de mouton, porteur, monsieur pipi au Grand Hotel de Northampton, et manutentionnaire aux entrepôts WH Smith, où il a au moins la satisfaction de mettre en carton les chers comics qu’il dévore depuis toujours. C’est là une passion qui s’est éveillée très tôt chez lui. Ses parents qui travaillent beaucoup ne voient guère d’inconvénient à ce que leur fils dévore les comics anglais de l’époque, qui ne sont souvent que de pâles copies de ceux produits aux Etats-Unis. Mais lorsque par erreur, sa mère lui ramène à la maison un numéro des 4 Fantastiques, c’est la révélation.

Créé par Stan Lee, le quatuor rompt pour de bon avec les canons en vigueur à l’époque. Au lieu de se contenter de héros monolithiques, infatigables et unidimensionnels pourfendeurs du Mal, Lee choisi d’en faire, avant tout des hommes et des femmes. Tout cela, bien-sûr, manque encore d’un peu de chair, mais dés lors, les super-héros auront, eux-aussi, le droit d’avoir des états d’âme. Une révolution !

Si les comics tiennent toujours une grande place dans l’imaginaire de jeune Alan Moore, il profite aussi largement du peu d’implication intellectuelle que requièrent ses nombreux boulots alimentaires pour s’éveiller aux idées de l’époque. Nous sommes à la toute fin des années 60, et Moore s’investit de plus en plus dans les milieux artistiques, spécialement par le biais du Northampton Art Lab. Il se laisse pousser les cheveux, découvre Moorcock, Burroughs ou Pynchon, et goûtant pleinement le psychédélisme ambiant s’essaie à différentes formes d’expressions artistiques. C’est aussi à cette époque qu’il décide de fonder avec quelques amis sa première revue, Embryo, dans laquelle il écrit, mais surtout, dessine.

Le début des années 70 voit émerger aux Etats-Unis une BD plus en phase avec l’ère du temps, ainsi les Freak Brothers ou les planches, plus radicales encore, de Crumb. En France aussi les choses bougent. Pilote et Metal Hurlant hébergent des dessinateurs comme Moebius et surtout Druillet qui vont influencer Moore par leur maîtrise et l’ambition qu’ils affichent, tant dans leurs sujets que dans leur art.

Confort moderne

En 1974 il épouse Phyllis, sa première femme, rencontrée au cours d’une lecture de poèmes au cimetière de Northampton. Il subvient au besoin du ménage en travaillant pour la compagnie du gaz, mais en 1977, la naissance de sa première fille lui fait craindre de se retrouver prit au piège du quotidien. La simple idée de finir enchaîné à l’un de ces cauchemardesques emplois de bureaux suffit à le décider à tenter sa chance. Il envoie ses dessins à tous les journaux possibles et imaginables, des plus obscurs fanzines aux quotidiens régionaux, en passant par le NME. C’est d’ailleurs dans les colonnes de l’hebdo musical que paraîtra son premier dessin payé, une illustration pour un article consacré à Elvis Costello and the Attractions. Quelques autres journaux sont assez intéressés pour lui passer commande, et il parvient même à se placer auprès du Northants Post avec un ersatz de Garfield, qui lui assure un revenu régulier et presque confortable.

Très vite toutefois il s’aperçoit qu’il n’est ni assez bon dessinateur, ni surtout assez rapide pour faire véritablement carrière. Il abandonne le crayon pour ne plus se consacrer qu’à l’écriture. Steve Moore, un vieil ami de l’époque d'Embryo, lui met le pied à l’étrier en lui offrant la possibilité de travailler sur Star Wars et Dr Who Weekly, deux hebdomadaires édités par Marvel UK.

La filiale de la compagnie américaine qui s’est implantée de longue date sur le marché anglais fait profiter plusieurs éditeurs indépendants de son réseau de distribution. C’est le cas de Warrior, lancé en 1982 par Dez Skinn, un vieux de la vieille, créateur précisément de Dr Who Weekly. Tout naturellement Skinn engage Alan Moore, qui va scénariser pas moins de trois séries pour le tout jeune magazine. The Bojeffries Saga, tout d’abord qui est à ce jour inédite en France, et sans doute pour longtemps encore, raconte les mésaventures d’une sorte de famille Adams dans la banlieue de Londres. Moore s’attaque ensuite à Marvelman, carbone fadasse de Captain Marvel, créé dans les années 50, et auquel il est chargé de redonner une seconde jeunesse. Enfin, et surtout, Warrior accueille les premières planches de V pour Vendetta. Premier vrai coup d’éclat d’Alan Moore, ce brûlot vengeur est bien en phase avec son époque. Le régime de Margaret Thatcher stimule une certaine forme de contestation, portée par la vague punk. V pour Vendetta en est une parfaite illustration. Dystopie très "No Future", il y fustige aussi bien l’establishment que ses compatriotes, qu’il juge sévèrement pour avoir porté la ligne la plus dure des Tories au pouvoir.

B pour Britain

Le succès de V pour Vendetta, attire une notoriété certaine à Moore, et entraînera dans son sillage d’autres séries sur lesquelles il travaille alors, comme The Ballad Of Halo Jones, un space-opera punk-rock, qui influencera en retour l’imaginaire de plusieurs groupes de l’époque, comme les très dispensables Transvision Vamp.

C’est là que Marvel UK, sent qu’est venu le moment de surfer la vague. Si elle est installée au Royaume-Uni depuis le milieu des années 60, elle a attendu la fin des années 70 pour créer un super-héros typiquement anglais, et destiné à ce seul marché : Captain Britain. C’est puissamment trouvé. Personnage sans grand intérêt, elle décide d’en confier le relookage à Moore et au dessinateur Alan Davis. Les deux compères vont faire mieux que ça, ils vont littéralement mettre la série en orbite. Ils vont tout oser, et même tuer le pauvre Cap’ dès le deuxième épisode, pour bien-sûr mieux le faire renaître dès le troisième.

Le culot, la vision et la qualité d’écriture d’Alan Moore vont lui valoir deux Eagle Awards du meilleur scénariste d’affilée. C’est sans doute assez pour attirer l’attention de Len Wein, le patron de DC Comics. La vénérable institution est alors bien malmenée. Son écurie de super-héros fait un peu trop old school dans le paysage ambiant, et même Batman et Superman, les piliers de la maison ne font plus vraiment recette. Presque comme un test de compatibilité, Wein propose à Moore de reprendre un de ses vieux chevaux de retour : The Saga of the Swamp Thing, La Créature des Marais pour la VF parue entre 77 et 79.

Seuls sans doute les plus érudits en la matière se souviendront qu’alors La Créature des Marais était une série frôlant le grotesque, où un... truc, hybride improbable de la Créature du Lac Noir et d’un tas de boue, chouinait dans les bayous de Louisiane que personne ne l’aimait. La proposition de Len Wein tombe à point. Mal géré, Warrior dépose définitivement les armes à l’été 1984, laissant en plan V pour Vendetta. Parallèlement, estimant que son dessinateur et son coloriste n’ont pas été traités équitablement, Moore informe Marvel UK qu’il n’écrira plus les aventures de Captain Britain.

Tas de boue

Lorsqu’il reprend The Saga of the Swamp Thing, le titre est mourrant, ne tirant qu’à 17 000 exemplaires par semaine. DC lui adjoint les services de Steve Bissette et John Totleben. Ensemble ils vont transformer un personnage geignard et inutile en redoutable éco-warrior. D’une manière tout à fait inédite, Moore va utiliser son héros pour faire passer des problématiques très contemporaines sur l’environnement, la législation sur le port d’armes, la tolérance ou l’avenir de l’humanité. Lorsque, quatre ans et deux cents numéros plus tard, il rendra son tablier, The Swamp Thing annonce 100 000 exemplaires hebdomadaires.

Tant qu’ils l’ont sous la main, la DC en profite pour lui confier d’autres personnages de son catalogue. Parfois très épisodiquement il se retrouve à présider aux destinée de Green Lantern, Wonder Woman, Green Arrow, ou bien encore Batman, qu’il chipe à Frank Miller pour un épisode devenu culte depuis : Killing Joke. Moore semble capable de transformer en or tout ce qu’il touche, aussi Len Wein lui propose, consécration suprême, de créer sa propre série inédite. Il embarque avec lui Dave Gibbons, et amène un projet pharaonique de "graphic novel" de 400 pages – concept qu’il invente au passage – découpé en 12 chapitres (déjà) : The Watchmen.

Who’s watching the watchmen ?

La direction de la DC était sans doute très loin de s’attendre à ce qu’il assemble une équipe de super-héros décatis et névrosés dans une atmosphère de fin du monde. Tout à été dit sur les Watchmen, le plus pertinent comme le plus débile, mais une chose est certaine, la série va définitivement révolutionner le monde du comics. Son ton, grave et sombre, son enracinement dans un réel rhabillé par l’imaginaire très personnel de Moore, en font une œuvre majeure des années 80. L’académie des Hugo Award créé même en 1988 une catégorie spéciale – Other Form – afin de pouvoir lui décerner un prix. Commercialement, le succès est fulgurant, et Wein ne peut que se féliciter de son choix. D’autant que les termes du contrat favorisent grandement la DC au détriment des deux auteurs, qui s’estiment floués. La fructueuse collaboration tourne au vinaigre, et après quelques dernières péripéties, Moore rompra son contrat. Pour solde de tout compte, il achèvera pour eux V pour Vendetta, dont la parution s’achèvera enfin en 1990.
 
Si The Watchmen n’ont pas fait de lui un homme riche, ils en ont fait un homme célèbre. Incontournable même. Plateaux télé, conventions, magazines, Moore se prête au jeu, en se faisant  violence. Il a de plus en plus l’impression que son image lui échappe. Ce soudain élan de popularité est aux antipodes et de sa personnalité, et de ses aspirations. Pour briser son status tout neuf d’icône, il se retire dans sa maison de Northampton, où il va se faire très, très discret pendant presque dix ans. 

Sollicité par le cinéma, il décline l’offre d’écrire le scénario de Robocop 2 (dont, du coup, héritera Franck Miller son ex-collègue de la DC. Au vu du médiocre résultat final, on ne peut que s’en féliciter). Un projet d’adaptation pour la BBC de La Belle et la Bête, écrit à quatre mains avec Malcolm McLaren (l’ancien manager escroc des New York Dolls et surtout des Sex Pistols) l’occupe un temps, mais n’aboutira pas faute de crédits.

 Retour aux affaires

Bien entendu, impossible pour quelqu’un comme Alan Moore de rester trop longtemps sans rien faire. Il s’essaie à d’autres univers de la BD. A Small Killing par exemple, sorti en 91 désarçonnera les fans, et ne rencontrera pas son public, mais lorsque Stephen Bissette lui annonce l’année suivante, qu’il lance son propre journal Taboo, Moore le suit et s’attelle pour l’occasion à deux nouvelles séries. Il propose à Melinda Gebbie, une artiste originaire de Sausalito, totalement inconnue, d’illustrer Lost Girls, un conte érotique. Le style ethéré de la jeune femme – proche de l’aquarelle – convient à merveille à l’histoire. Pour son second projet, il se tourne vers un autre dessinateur, écossais celui-ci, et guère plus connu : Eddie Campbell. Son crayonné âpre, brutal et anguleux siéra parfaitement à son From Hell.

Cette fois encore, Moore frappe fort. En revisitant l’affaire Jack l’éventreur, il livre une grandiose parabole sur le pouvoir, et la société. La complexité de l’écriture, la maîtrise qu’elle aura nécessité en font un chef d’œuvre indispensable. From Hell est incontestablement l’opus magnus d’Alan Moore. Une alchimie subtile entre l’horreur et le divin. Il faudra dix ans à Eddie Campbell pour en venir à bout.

Ménage à trois

Au début des années 90 un projet de loi du gouvernement Thatcher visant à interdire aux homosexuels l’accès à toute fonction représentative, va avoir sur le marché du comic un impact singulier et tout à fait inattendu. Moore vit alors une histoire d’amour à trois avec Phyllis, sa femme, et Deborah Delano, leur maîtresse à tous les deux. Outré du projet des conservateurs, il décide de fonder sa propre maison d’édition – Mad Love – à seule fin de publier un livre de soutien intitulé Aargh – Artists Against Rampant Government Homophobia – et auquel participent nombres de ses vieux amis. Mirror Of Love sa propre contribution raconte une histoire d’amour entre deux personnes du même sexe. Puisque Mad Love existe il en profite pour lancer un périodique haut de gamme qui sera un échec cuisant, et le conduira au dépôt de bilan. C’est aussi à cette époque que Phyllis le quitte pour vivre avec Deborah. "Ce n’est pas la période la plus heureuse de ma vie" admet-il sans peine, mais il va de l’avant. Il accepte la proposition d’un éditeur londonien et publie son seul roman à ce jour Voice of the Fire, La Voix du feu qui sort aujourd’hui chez Calmann-Lévy. Il monte aussi un groupe avec Tim Perkins, un musicien originaire de Northampton, Emperor Of Ice Cream, et revient de manière inattendue à ces premières amours, le comic book de super-héros. Tout d’abord en scénarisant quelques épisodes de Spawn, pour Todd McFarlane, puis en s’attelant à de nouvelles séries. Lassé de voir l’univers des super-héros se muer en sous-produit des Watchmen, et navré de voir quelle sorte d’influence il a eu sur la nouvelle génération de dessinateur, avec 1963, il s’oriente délibérément vers une écriture plus légère dans le style de Jack Kirby.

Abracadabra

Moore a désormais 40 ans. Il a refait sa vie avec Melinda Gebbie et il annonce publiquement son intention de devenir un mage. La Magie est pour lui une continuation de son travail d’auteur, puisqu’elle consiste, elle aussi, à créer à partir du néant. Il initie un cercle occulte, Le Grand Théâtre Merveilleux de la Lune et du Serpent, qui compte parmi ses membres outre Moore et sa seconde femme, Tim Perkins, le dessinateur John Coulthart et son voisin David J, l’ex-bassiste de Bauhaus. Ils vont ensemble donner plusieurs performances artistiques où se mêlent musique, textes et dessins, toujours dans des lieux chargés profondément d’Histoire. Chaque pièce est unique, et, à en croire Moore, inspirée par l’essence magique du lieu, invoquée par de longs rituels préparatoires. Deux de ces pièces ont été mises en images par Eddie Campbell : The Birth Caul, et Snakes and Ladders. Parallèlement, Moore continue de revisiter l’univers des super-héros avec des séries moins noires, comme Supreme ou WildC.A.T.S, qu’il créé pour Image, une jeune maison dédition fondée par un collectif de dessinateurs et scénaristes.

Finalement, après une brève collaboration avec Awesome Comics, Jim Lee, fondateur des éditions Wildstorm et dessinateur de grand talent avec qui il a déjà travaillé sur WildC.AT.S, lui offre la possibilité de créer sa propre gamme de super-héros sur laquelle il aurait le contrôle artistique absolu. L’idée est terriblement séduisante, à tel point que la légende veut que l’idée de American Best Comics, soit venue à Moore en un week-end.

ABC - One, two, three

Parmi les nombreuses séries dont il accouche pour l’occasion, quelques-unes emportent l’adhésion immédiate du public. Tom Strong, porte drapeau de A.B.C met en scène un héros absolu dans le style de Supreme ou de Marvelman, mais servi cette fois par la ligne claire de Chris Sprouse. Top Ten ensuite, sorte de N.Y.P.D Blues dans un monde uniquement peuplé de super-héros et Promethea, inspiré par ses recherches occultes rassemblent un lectorat fidèle. Mais c’est surtout La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, qui cette fois touche le jackpot. L’idée de réunir en une super team certains des héros les plus emblématiques de la culture populaire victorienne est astucieuse, et rencontre le succès que l’on connaît, jusqu’à à aboutir à la triste adaptation cinématographique de 2003.

Il a entraîné dans cette boulimie scripturale nombre de ses vieux amis dessinateurs, de sorte que lorsque Jim Lee lui annonce qu’il vient de vendre Wildstorm à la DC, il se retrouve pieds et poings liés. Lui qui, au lendemain de la querelle entourant les droits d’auteurs des Watchmen, avait juré de ne plus jamais travailler pour DC Comics, se voit, par fidélité, obligé de trouver un modus vivendi. Et bon an mal an, malgré d’inévitables petits accrocs, l’aventure A.B.C continue pour Moore, jusqu’à ce qu’en 2004, pour son 50ème anniversaire il annonce, comme à chaque fois que lui tombe une dizaine, son intention de se retirer du comic book pour devenir magicien à temps complet.

L’aventure A.B.C est tout de même arrivée à son terme en 2005. Comme il l'avait annoncé, c'est avec le numéro 32 de Promethea qu'il a fermé le bal. Tout l'univers d'ABC Comics s'y est confronté à l'Apocalypse. Wildstrom a tenté la résurrection  de Tom Strong, mais sans succès.


Depuis lors, Alan Moore semble s'en être tenu à sa décision de devenir mage à plein temps. Quelques ressorties, et la série Lost Girls qu'il vient d'achever avec sa femme Melinda Gebbie, le maintiennent sur le devant de la scène. Les procès qu'il a eu avec les différentes productions cinématographiques l'ont occupé, avant qu'il n'arrive au pénible constat de la nécessité absolue d'un divorce total d'avec Hollywood. Il a annoncé qu'il ne cèderait désormais plus aucun droits d'adaptation sur une œuvre dont il aurait le copyright complet. Dans le cas où les droits seraient partagés, il demande à ne pas être cité au générique, et en retour, renonce à ses droits, ceux-ci étant redistribués à ses collaborateurs.

Il se murmure aussi que Jerusalem, son deuxième roman serait enfin prêt. Il en a longtemps retenu la livraison pour protester contre le renvoi de son éditrice pendant son congé de maternité. L'homme est ainsi, fidèle à ses principes, droit et d'une honnêteté intellectuelle à toute épreuve. Il est surtout un créateur de mondes à nulle autre pareil. Un excaveur de rêve, bâtisseur d'imaginaire. Infatigable, urgent, nécessaire. Obligatoire.

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