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Dans la dèche au Royaume Enchanté

Gilles Goullet (Traducteur), Cory Doctorow ( Auteur), Michael Kutsche (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2008  -  livre
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Dans la dèche au Royaume Enchanté

Co-animateur avec le dessinateur Mark Frauenfelder et la journaliste Xeni Jardin de bOing bOing, l'un des blogs les plus fréquentés au monde avec deux millions et demi de visiteurs uniques et près de vingt-six millions de pages vues annoncés chaque mois, intervenant ultra-tendance de toutes les Word Conf tournant autour du net, Cory Doctorow est aussi éditorialiste pour Locus. Chaque mois, il y défend sa vision des nouveaux médias, basée sur l'Open Source, le Copyleft, le Creative Commons et le principe de gratuité. Proche de groupes de pression comme l'Electronic Frontier Fondation ou d'hacktivistes comme Cult of the Dead Cow, autant dire que ce Canadien qui chemine doucement vers la quarantaine est une megastar de la planète geek. Au point que la publication par Folio SF de son premier roman, publié en 2003 aux États-Unis, fait figure de petit évènement éditorial.

Lourd privilège, même avec un tel capital sympathie.

8 :-- )

Bienvenue donc au Royaume Enchanté, le vrai, le seul. Celui de ce vieil Oncle Walt, à Orlando, Floride. Bienvenue dans un monde où, par un étrange phénomène de capillarité, les valeurs mièvrement irréelles du Monde Merveilleux de Disney, sont devenues la norme sociale dominante. C'est la société Bitchun. Un avenir pas si éloigné où l'on ne meurt plus, où le travail est devenu un loisir, une méritocratie ultra-connectée où l'argent a disparu au profit du tout-puissant whuffie, sorte de points de respect qu'on gagne ou qu'on perd en fonction de son civisme.

C'est précisément parce que Disney World est l'endroit où la société Bitchun se matérialise avec le plus de vivacité que Julius a décidé d'y vivre. Il y a rejoint l'adhocratie de Liberty Square, dont il est chargé de réguler les flux de visiteurs à la Haunted Mansion, fleuron légendaire du Parc. Ingrate, mais cruciale contribution, qui suffit à lui procurer tout le whuffie nécessaire pour vivre en paix dans le monde de Mickey.

En paix jusqu'au jour où on l'assassine devant des milliers de visiteurs. Lorsqu'il revient parmi les vivants, c'est pour découvrir qu'une autre adhocratie – l'un de ses groupes d'actionnaires habitants qui se partagent le Parc – a pris pied sur son territoire. Alors, le vieux tropismes vont ressurgir.

( p_- )

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Cory Doctorow n'usurpe pas sa réputation. Dans la dèche au Royaume Enchanté est bel et bien un roman de geek. Sans l'ombre d'un doute. De ce fantasme régressif d'habiter à Disney World, à la précision maniaque avec laquelle Julius entretient la mécanique bien huilée de cet absolu enfantin, sans même parler de ce réflexe de repli presque amniotique au cœur d'un univers factice, ultra-normé et sous contrôle. "J'ai toujours rêvé de travailler et de vivre à Disney World. Particulièrement d'y prendre part à la conception et à l'amélioration de la Haunted Mansion, et de mes autres attractions favorites. Ma réaction artistique a été de démonter tout ça, de voir comment c'était fait et comment ça marchait, pour le refaire par moi-même. Au fond, je suis devenu écrivain parce que j'aimais les livres." nous confie-t-il dans une micro-interview qu'il nous consent entre deux mises à jour et trois séances de signatures.

Et cela pourrait s'arrêter là, sans l'ironie ravageuse de Doctorow et la distance sur lui-même dont il se révèle capable. C'est tout ce qui va faire la différence entre l'anecdotique et l'intelligemment subtil. Lorgnant indubitablement du côté des cyberpunks – on pense obligatoirement au très bordélique Papa, Maman l'atome et moi de Marc Laidlaw – Cory Doctorow va jouer habilement de sa fausse candeur et de la légèreté assumée de son intrigue, pour mettre en perspective l'utopie nerd gentiment techno-baba où l'on aurait pu l'attendre. Sa société Bitchun, sur la génèse de laquelle il reste singulièrement elliptique, est un paradis bricolé sur les ruines d'un monde dysfonctionnel, qui n'a pas eu le temps de se purger de son histoire. Et lorsqu'on lui demande s'il y voit une utopie ou une dystopie, il répond sans ambage : "C'est les deux. Mais l'élément le plus clairement dystopique est qu'une économie basée sur la réputation sanctionne injustement les idées les moins populaires et n'a pas de système de redistribution des richesses entre les plus favorisés et les plus pauvres. Dans le cadre d'une économie fondée sur la réputation, vos chances d'acquérir encore plus de whuffie, dépendent aussi du whuffie que vous avez déjà, de sorte que les puissants le deviennent toujours plus." L'argent va à l'argent, et le whuffie itou, rien de bien révolutionnaire là-dedans allez vous me dire, pas plus que dans cette démonstration gentiment caustique que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Sauf...

d=(°o°)=b

Sauf que ce Pleasantville réincarné, est aussi une habile projection du monde merveilleux du net. Ce village global, cet eden de gratuité, régit par la stricte netiquette et peuplé de gens qui ne travaillent forcément pas (la preuve, vous êtes en train de me lire). Par le biais d'une technique littéraire classique, mais utilisée avec talent, Cory Doctorow s'interroge, et nous interroge, sur les limites d'un système qu'il connaît bien. Sans jouer les cassandres, il s'interdit néanmoins la candeur béate. Sa vision prospective est lucide, maligne et Doctorow la sert avec assez de brio pour que son premier effort tienne des promesses que sa trop flatteuse réputation nous faisait craindre de voir déçues. Référencé, agréablement jubilatoire et résolument übergeek, Dans la dèche au Royaume Enchanté offre un première aperçu du talent de Cory Doctorow, même si, il est vrai, tous ses romans sont disponibles sur son site. La perspective, toutefois, de se voir épargner la peine d'une lecture en anglais, ne serait pas, loin de là, pour nous déplaire. et cet avant-goût aiguise notre curiosité, et nous donne envie d'en voir plus.

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