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Dossier Traduction : Olivier Girard
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Dossier Traduction : Olivier Girard

Actusf : D'abord comment choisis-tu les romans que tu souhaites traduire ?
Olivier Girard : Je lis les critiques VO et parle de l’actualité aux collaborateurs et amis. C’est un dialogue constant. Ça permet d’écrémer. Après, il faut lire les livres. Si je n’ai pas reçu directement le bouquin autour duquel je tourne, je le demande à l’agent ou à un ami éditeur qui lui, l’a reçu. Naturellement, la politique éditoriale du Bélial’ permet d’éliminer d’emblée beaucoup de nouveautés dans la mesure où, par exemple, la fantasy ne m’intéresse globalement pas. Je suis tout spécialement les auteurs que nous avons déjà publiés et le genre d’écrivains pratiquant la littérature que j’aime. L’autre cas de figure, c’est qu’un collaborateur m’incite vivement à publier tel ou tel bouquin, tel ou tel cycle. Par « collaborateur », je veux dire Pierre-Paul Durastanti ou Jean-Daniel Brèque. Ce sont des personnes dans lesquelles j’ai tellement confiance que j’ai tendance à les suivre les yeux fermés, littéralement. Dans ces cas-là, ce sont bien souvent les « porteurs du projet » qui se chargent de la traduction dudit projet. Ils se font pour l’occasion traducteur ET éditeur… C’est par exemple le cas du recueil de Clifford D. Simak que nous allons publier fin mai. Pierre-Paul a fait la sélection des textes et en assume la traduction.

Actusf : Comment choisis-tu ensuite les traducteurs ? Les choisis-tu en fonction des auteurs ? (untel ayant par exemple plus de facilité avec tel auteur)
Olivier Girard : L’idéal, c’est effectivement de choisir les traducteurs en fonction des auteurs ; certains « couples » s’imposent comme des évidences. Mais ce n’est pas simple dans la mesure ou les traducteurs (les bons !) sont extrêmement sollicités et les tarifs de rémunération du Bélial’ très (trop) bas.

Actusf : Quels sont en gros les délais que tu as pour faire faire la traduction d'un roman ?
Olivier Girard : Ça dépend. Mais en général, je fais en sorte qu’ils soient le plus court possible. Il faut bien comprendre le système de rémunération au Bélial’. Un tiers de la traduction est payé à signature avec le traducteur. Le second tiers à remise de la traduction. Le solde à parution de l’ouvrage. De fait, plus la traduction prend de temps, et plus nous devons immobiliser de l’argent longtemps. Mon rôle est de trouver un équilibre au plus juste tout en faisant en sorte que chacun puisse travailler dans les meilleures conditions possibles.

Actusf : Que demandes-tu à tes traducteurs ? D'être fidèle le plus possible au roman ?
Olivier Girard : Si « être fidèle au roman » signifie être fidèle à l’esprit du roman, alors c’est oui. Pour ma part, je suis convaincu que certains textes VO nécessitent de prendre un recul important. Un roman intéressant peut-être mal écrit. Ça arrive. Ou écrit dans une forme qui convient mal à une transposition en français. Il convient alors au traducteur de traduire, bien sûr, mais aussi d’adapter sans trahir. Peu de traducteurs sont capables de faire ça, et certains s’y refusent totalement. En ce qui me concerne, je ne peux pas travailler avec eux, même s’ils sont très bons. J’ai essayé. Ça ne fonctionne pas. Il y a un écrivain chez tout bon traducteur, à mon sens. Le premier ne doit pas prendre le pas sur le second, évidemment, mais il doit tout de même être là, en embuscade. Je ne dirais jamais rien à un traducteur qui « bonifie » un roman en français par rapport à sa VO, et ce même si, pour ce faire, il prend ses distances avec l’original. Mais c’est une question de point de vue. Tout le monde n’est pas d’accord avec ça…

Actusf : Quelles relations as-tu d'ailleurs avec eux ? Vous discutez beaucoup ensemble ou au contraire sont-ils totalement libres jusqu'au moment de rendre le manuscrit ?
Olivier Girard : Ils sont libres. Généralement, je discute avant, j’avertis sur tel ou tel truc. Après, je laisse faire jusqu’à réception du manuscrit – sauf sollicitation, évidemment. Le travail éditorial sur les traductions, qu’il soit effectué par moi ou Pierre-Paul Durastanti, commence vraiment après réception de cette dernière.

Actusf : Y'a-t-il des trucs qui sont révélateurs de la qualité d'une traduction ? Comment se rendre compte si une traduction est bonne ou pas ?
Olivier Girard : Comment se rend-on compte qu’un roman est bon ou pas ? C’est la même chose. Plus ou moins. La différence avec une traduction c’est qu’il faut aussi pister les contre-sens par rapport à la langue d’origine. Une traduction peut se révéler juste, ce n’est pas pour ça qu’elle sera bonne. Je connais certains traducteurs qui, manifestement, comprennent l’anglais d’une manière remarquable mais n’ont aucun sens de l’écriture en français. Et c’est catastrophique. L’exemple de l’anglais est spécialement crucial dans la mesure où c’est bien sûr la langue depuis laquelle on travaille le plus, mais aussi parce qu’elle nécessite une vraie distance pour sa transposition en français (de par sa structure grammaticale, notamment). Ce qui sous-entend une réelle confiance en soi, une vraie maturité de la part du traducteur.

Actusf : Parlons sous :-). Combien sont payés les traducteurs au Bélial’ (en moyenne) ?
Olivier Girard : 10 euros le feuillet de 1500 signes réels pour le Bélial’ ; 7,5 euros le feuillet pour Bifrost.

Actusf : Est-ce qu'un jeune traducteur a ses chances s'il postule au Bélial’,ou faut-il qu'il fasse ses preuves d'abord ailleurs ?
Olivier Girard : Oui, bien sûr qu’il a ses chances. D’autant qu’avec nos tarifs, le Bélial’ est très peu attractif pour les traducteurs confirmés. Il faut bien comprendre que les bons traducteurs sont rares. Et que la qualité s’acquiert sur la durée. Je pense que tous les bons traducteurs d’aujourd’hui ont fait des débuts médiocres. C’est un métier qui s’acquiert par force de travail, de remise en question et d’assurance gagnée par l’expérience. Le rôle des éditeurs est aussi de former de bons traducteurs. Mais ça prend beaucoup de temps ; chose qui nous manque le plus, naturellement.

Actusf : Révises-tu ou fais-tu réviser certaines traductions ? Et si oui pourquoi ? Est-ce que c'est parce qu'elles ne sont pas bonnes ? Ou est-ce qu'elles ne correspondent plus à notre époque ? Cela veut-il dire qu'il y a une notion de « modernité » dans la traduction ?
Olivier Girard : Oui, nous révisons les traductions anciennes. D’abord parce que certaines sont coupées. Ensuite, surtout, pour les raisons évoquées plus haut quant à ma manière de juger ce qui fait une bonne traduction et une mauvaise. Enfin parce qu’il y a effectivement une certaine notion de « modernité » dans la traduction, et tout spécialement dans les domaines techniques et les sciences.

Actusf : Quels sont les romans étrangers que tu comptes éditer dans les mois qui viennent ?
Olivier Girard : Il n’y a pas que les romans ! En mai, nous publions un recueil de neuf nouvelles de Clifford D. Simak : Voisins d’ailleurs (traduction de Pierre-Paul Durastanti). Puis en juin le gros roman Le Bouclier du temps, quatrième et ultime volet du cycle de La Patrouille du temps de Poul Anderson (traduction de Jean-Daniel Brèque et imposante postface de Xavier Mauméjean). Après, d’ici la fin d’année, il y aura le roman Singularité de Stephen Baxter, puis Océanique, un gros recueil de Greg Egan.

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