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Gordo

Fabrice Colin (Scénariste), Fred Boot (Dessinateur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 26/06/2008  -  bd
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Gordo

Gordo, de Fabrice Colin (au scénario) et Fred Boot (au dessin), est sorti en juin 2008. C'est donc avec un peu de retard que nous en parlons ici, mais il serait dommage de ne pas évoquer cette BD originale et réussie.

Fabrice Colin est loin d'être un inconnu pour les amateurs de littératures de l'imaginaire. Il a également à son actif plusieurs scénarios de BD, dont la série Tir Nan Og chez les Humanoïdes Associés (avec Elvire De Cock), Tous les matelots n'aiment pas l'eau chez Treize étrange (avec Lorenzo),  World Trade Angels chez Denoël Graphic (avec Laurent Cilluffo) ou, après Gordo, Nowhere Island chez L'Atalante avec Boris Beuzelin.

Fred Boot a commencé par une carrière de graphiste indépendant, avant de migrer vers Hong Kong et de se lancer dans la BD. Gordo est son premier album. Selon son blog, un autre album est en préparation avec Léo Henry, toujours pour Flambant 9.

Gordo, un singe contre l'Amérique

Dans les années 50, Gordo est une star. C'est aussi, et avant tout, un singe devenu intelligent et presque humain. Alors que le succès et les femmes lui tombent dans les bras, il découvre, dans le journal intime de sa petite amie – qui le trompe – une information qui pourrait faire trembler le gouvernement américain. À la fois par vengeance envers sa dulcinée et par égard envers ses propres origines, il décide de subtiliser le journal et de le cacher en lieu sûr, avant de décider quoi en faire. Mais très vite, la CIA et le KGB se mettent à ses trousses, les premiers pour étouffer l'affaire et les seconds pour l'exploiter. Embarqué dans une histoire qui le dépasse, Gordo trouve refuge auprès de son ami Frank Sinatra.

Au temps pour le rêve américain

Gordo est avant tout une histoire comme seul le cinéma américain des années 50 savait en produire : un polar qui voit un homme plongé malgré lui dans une affaire dont les conséquences le dépassent, et qui croisera, durant sa fuite, le chemin inévitable d'une femme fatale. On pense à La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock, même si le propos ici est différent. Colin et Boot ajoutent une dose d'humour noir dans les paroles de ce singe étonnamment humain qui, comme tout bon héros de polar qui se respecte, cède bien volontiers aux charmes de l'alcool. Entre flashbacks et déroulement de l'intrigue, on suit avec plaisir ses pérégrinations dans un scénario efficace et cohérent. Les auteurs ne négligent pas les détails pour rendre Gordo crédible, comme la démonstration de son agilité à grimper aux arbres.

Mais Gordo, c'est aussi le symbole du rêve américain déchu. Ce singe qui voulait tant nous ressembler finit, de façon assez ironique, par subir la nature manipulatrice de cette chère humanité. Accueilli par un pays où tout semble possible, il découvrira que le mensonge se cache toujours derrière les apparences avenantes. Héros encensé mais bien vite sacrifié sur l'autel du bien commun : tel est le sort de ceux qui croient naïvement à la bonté de l'Oncle Sam. Ce discours critique sur le rêve américain montre un pays pétri de contradictions et peu regardant sur la moralité – et qui s'en accommode fort bien. Finalement, Gordo atteindra bien le statut d'humain puisqu'il ressentira ce qui en fait l'essence : souffrance, frustration, désespoir.

Entre fiction et réalité

Fabrice Colin introduit une dimension supplémentaire en choisissant, pour cadre à son histoire, les paillettes d'Hollywood – comme dans son album suivant, Nowhere Island. Encore une fois, il s'agit de montrer que les apparences sont trompeuses, et que le glamour des stars hollywoodiennes cachent des désillusions profondes. Comme le dit Gordo en parlant des étoiles qui brillent dans le ciel : « J’ai toujours eu un faible pour les étoiles d’Hollywood. Un adage tiré de la sagesse populaire voudrait que ces chéries soient déjà mortes au moment où leur lumière nous parvient ». La métaphore n'échappera à personne... La déchéance succède irrémédiablement au succès, et Gordo en fait les frais.

Colin convoque ainsi, pour sa démonstration, des figures bien réelles comme Frank Sinatra, Lauren Bacall ou Elvis Presley. Comme s'il voulait faire du drame de Gordo une histoire vraie. Car Colin aime jouer avec la réalité et les liens qui l'unissent à la fiction. Avec habilité, il intégre son histoire dans l'Histoire, introduisant du vrai dans le faux, et réciproquement. Son scénario est particulièrement bien documenté et inventif à la fois. Il n'en a que plus de sens.

Un graphisme surprenant

Pour mettre en image cette histoire singulière, il fallait adopter un graphisme qui ne l'était pas moins. Fred Boot remplit sa tâche avec succès. On retiendra tout particulièrement la puissance des ambiances – le plus souvent sombres – accentuées par une colorisation sobre mais qui fait mouche : peu de couleurs, peu de détails ou de dégradés, mais une adéquation idéale avec les émotions et les impressions du héros. De même, les différentes périodes (passé et présent) ont chacune des teintes distinctes permettant de les situer rapidement.

À part ça, le trait est épuré, dynamique, rappelant parfois le cartoon. Les visages, taillés à la serpe, n'en sont pas moins expressifs. Tout ceci est un peu surprenant au premier coup d'œil, mais on s'y fait vite, et cela procure à cette BD une identité graphique peu commune.

Une réussite originale

La collection Flambant 9 de L'Atalante ne cesse de confirmer son statut de vivier à talents. Gordo est en une nouvelle preuve. Si on connaissait celui de Fabrice Colin, on découvre ici celui de Fred Boot. Cette vision amère du rêve américain, sur le ton du polar, contribue à faire vivre un art en perpétuel renouvellement. Chapeau.

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