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Il est parmi nous

Norman Spinrad ( Auteur), Roland C. Wagner (Traducteur), Sylvie Denis (Traducteur), Diego Tripodi (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 17/11/2010  -  livre
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Il est parmi nous

Norman Spinrad fait partie des piliers de l’univers de la SF américaine, avec à son actif une bonne vingtaine de romans. Il vit à Paris depuis de longues années.

Il est parmi nous a été publié pour la première fois en français en 2009 par les éditions Fayard. Voici sa réédition au format poche, toujours en français. Les lecteurs anglophones n’ont pour leur part eu l’occasion de voir publier ce roman dans la langue de Shakespeare qu’en 2010, si l’on occulte une diffusion confidentielle via le web.

Simple comique illuminé ou véritable homme du futur ?


Texas Jimmy Balaban, agent de vedettes comiques de seconde zone, découvre par hasard dans un hôtel miteux Ralf, un énergumène dont le ressort comique consiste à dire qu’il vient du futur. Un futur très sombre où l’espèce humaine a détruit l’écosystème de la planète. Il serait le dernier espoir de l’humanité, envoyé dans le passé par ses pairs pour tenter d’empêcher nos contemporains d’atteindre le stade de non-retour. Qui est en réalité ce Ralf ? Un illuminé, un comique qui prend son rôle trop à cœur, ou bien est-il réellement ce qu’il prétend être ? Lorsque Texas Jimmy Balaban lui obtient une émission de télé en seconde partie de soirée, il va faire appel à Dexter Lampkin, écrivain has-been de science-fiction et Amanda Robin, coach new age, pour développer le personnage et tenter d’en faire une vedette du petit écran…

Interminable


L’ouvrage est construit sur la narration de quatre personnages : Dexter Lampkin, l’écrivain de SF qui écume les conventions, le producteur Texas Jimmy Balaban, Amanda Robin la pro du showbiz qui cherche à atteindre l’illumination du temps du rêve, et enfin Foxy Loxy, une jeune fille perdue et toxicomane dont on suit la lente descente aux enfers, qui va jouer un rôle important à la fin du roman, même si pendant longtemps on ne comprend pas très bien ce qu’elle vient faire dans l’histoire. On ne se retrouve jamais dans la tête de Ralf bien entendu, puisque l’objet du roman est de savoir qui il est vraiment.
Le message délivré par Norman Spinrad est simple : nous sommes en train de détruire notre planète, et si nous ne faisons rien pour y remédier le futur ressemblera à l’Enfer, la planète Terre connaîtra les mêmes conditions climatiques que Vénus. On retrouve ici certaines préoccupations récurrentes de Norman Spinrad. Dexter Lampkin imagine des palmiers à Paris et une jungle pleine de perroquets à Central Park, ce qui n’est pas sans rappeler l’univers de Bleue comme une orange. Ralf dit venir de la Nef des Morts, un monde agonisant où le peu de survivants se nourrissent de leurs propres excréments, mais vient dans le présent pour tenter de changer ce potentiel futur pour qu’il devienne Le Vaisseau Terre, un monde écologique avec une biosphère restaurée et préservée.
Mais alors que dans Bleue comme une orange l’on entrait avec plaisir dans le monde proposé par l’auteur, avec une intrigue qui tenait bien la route, dans Il est parmi nous on s’ennuie. On passe tout le roman à se demander, ou plutôt à lire les protagonistes se demander, si Ralf est bien ce qu’il prétend être, ou s’il s’agit simplement d’un comique avec une case en moins. La conclusion de l’ouvrage n’apportera rien de plus au lecteur que la réponse à cette question, et on aurait pu se passer de ces quelques 900 pages pour découvrir le fin mot de cette histoire sans grande perspective.
Les scènes qui racontent le déroulement des émissions TV sont interminables et se ressemblent toutes, ainsi que les passages décrivant les conventions de science-fiction. L’auteur aurait largement pu tailler dans la masse et réduire considérablement le gabarit de son texte, sans rien y enlever d’essentiel.

Une vulgarité constante

Certains très bons auteurs parsèment parfois leurs textes de scènes totalement vulgaires et tout à fait inutiles, mais on leur pardonne tout en faisant abstraction, car la qualité intrinsèque du reste de l’ouvrage en fait tout de même un bon roman. C’est souvent le cas de Norman Spinrad, qui use toujours de passages triviaux ou peu ragoûtants, pas toujours justifiés, mais sans dénaturer l’ensemble du roman, et parfois au service de sa critique de la société.
Malheureusement, avec Il est parmi nous, cette vulgarité est constante, et n’est pas contrebalancée par autre chose, ou n’a pas vocation à servir le propos. Norman Spinrad utilise des expressions des moins châtiées et des situations des plus glauques à chaque page, que ce soit la vulgarité de Texas Jimmy Balaban et Dexter Lampkin, qui ne pensent qu’à leur libido et l’expriment de façon crue, ou le parcours insoutenable de Foxy Loxy, la jeune droguée qui se prostitue et dont on suit la déchéance. Certains passages ressemblent à ce que serait du mauvais Charles Bukowski sous acide et faisant un bad trip, et cela presque tout au long du roman… La vulgarité est partout, jusque dans les répliques de Ralf pour son émission.
Il est parmi nous n’est pas un bon roman, non seulement parce que le scénario ne retient pas l’attention, mais aussi parce que le style utilisé n’aide pas à élever le propos, et surtout cette vulgarité est utilisée tout à fait gratuitement. Seule la dureté des passages consacrés à Foxy Loxy fait en partie sens, et on peut d’ailleurs imaginer les difficultés rencontrées par les traducteurs pour ces passages parlés peu évidents à retranscrire !

Un second degré qui ne fonctionne pas

Les écueils évoqués plus hauts seront certainement considérés par certains comme volontairement choquants ou proposés dans une perspective humoristique, tout comme d’aucuns diront qu’il s’agit d’un second, voire d’un énième degré, à l’image de la manière dont l’univers de la SF est présenté en ces pages.
En effet, malgré sa thématique futuriste, le roman de Norman Spinrad reste ancré dans le petit univers restreint du fandom de la SF. Certains personnages évoqués ici sont des auteurs tout à fait réels, des personnalités que Norman Spinrad cite à plusieurs reprises, voire fait participer à son récit : Philip José Farmer, Timothy Leary, George Clayton Johnson, Brian Aldiss, Robert Silverberg… et même Norman Spinrad lui-même, qui détient le plus grand nombre de citations ! Qui, certes, se moque un peu de lui-même, mais se complaît tout de même, à la manière pourtant si française (on pense à Frédéric Beigbeder ou Michel Houellebecq), à s’incarner de façon ambiguë dans les personnages de ses romans. Certes, cela inclut un certain degré d’autodérision. Mais son obstination à présenter les fans de SF comme une caricature – obèses, aux yeux étrangement rapprochés, déguisés de façon ridicule etc. –, et de centrer son intrigue autour de la crise de la quarantaine d’un auteur de SF sur le retour peut être drôle quelques instants, mais on s’en lasse très rapidement, et il s’y réfère pourtant constamment tout au long de 900 pages…
Toujours dans la caricature, la libido masculine n’est pas en reste, pleine de clichés, comme l’amour immodéré de Dester Lampkin pour sa voiture, lorsqu’il va même jusqu’à parler de l’âme de sa Porsche, la comparant à un tableau de Picasso. Toujours certainement dans une perspective de second degré, mais ça ne prend pas.
On l’aura compris, Il est parmi nous consiste finalement plus en une mauvaise blague pour un public d’inconditionnels plutôt qu’en une réflexion intéressante ou même un simple divertissement. Il est vrai qu’on y retrouve une critique acerbe du monde des médias et de la manipulation du peuple, et bien entendu l’engagement écologique de l’auteur, mais en arrière-plan, et cela ne suffit pas à sauver le roman.

Passez votre chemin

Si vous voulez lire du bon Spinrad, tournez-vous plutôt vers Le Printemps Russe et Bleue comme une orange, mais évitez à tout prix Il est parmi nous, qui ne fera que vous détourner de cet auteur, qui a pourtant par ailleurs déjà démontré l’étendue de son talent. Ce roman est l’exception qui confirme la règle, et qui rend vrai le poncif selon lequel un bon auteur n’écrit pas toujours de bons textes. A l’image de Dexter Lampkin, forcé de fournir de mauvais scénarios de séries B pour nourrir sa famille, Norman Spinrad nous propose avec ce dernier opus un texte dénué d’intérêt, écrit uniquement pour les fans purs et durs, qui prendront peut-être plaisir à imaginer Norman Spinrad dans le rôle de son avatar littéraire.

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