ActuSF : Bonjour Ugo, le recueil Le Petit Répertoire des légendes rationnelles sort aujourd'hui en numérique aux éditions ActuSF. Que peut-on trouver à l’intérieur ?
Ugo Bellagamba : Bonjour et d’abord merci pour cette petite série de questions. Je suis ravi d’y répondre. Le Petit Répertoire des légendes rationnelles est une sélection de mes nouvelles qui représente presque vingt années d’écriture, de la toute première publiée, « Écrire l’humain » dans l’anthologie Étoiles Vives, à la plus récente, qui était au sommaire de l’anthologie des Utopiales 2016, « Purple Brain ». Toutes ont été révisées, plus ou moins à la marge, et sont accompagnées de présentations qui retracent le contexte et les raisons de leur rédaction.
ActuSF : Comment s’est effectué le choix du sommaire ?
Ugo Bellagamba : Nous sommes partis, avec l’Éditeur (entendez par là Monsieur Jérôme Vincent et Madame Marie Marquez) d’un ensemble de vingt-cinq textes, que j’ai d’abord « redécouverts », pour certains, « réévalués » pour d’autres, en mesurant tout à la fois la pertinence et la nécessité de les reprendre, de les republier et de les retravailler. Certains ont été écartés, en raison même de leur nature (nous ne voulions pas intégrer des novellas) ou de leur vétusté (certains textes avaient été précipitamment écrits et étaient des embryons de novellas, donc également écartés pour cette raison). J’ai gardé les nouvelles qui étaient les plus significatives de mon approche de l’écriture. J’avais envisagé un classement thématique, au départ, mais l’idée d’un répertoire s’est rapidement imposée, car elle place tous les textes sur un pied d’égalité. C’est beaucoup mieux.

ActuSF : C’est la première fois qu’un recueil de vos nouvelles est édité, peut-être l’occasion de faire un bilan. Quel regard portez-vous sur ces vingt premières années de votre carrière d’écrivain ?
Ugo Bellagamba : Avant tout un étonnement et une reconnaissance. L’étonnement, d’abord, d’avoir, en vingt années, tant publié, tant expérimenté, tant été lu, finalement. Quelle chance ! Je n’aurais jamais imaginé, en commençant, en 1998, que ce parcours que je mesure aujourd’hui en regardant derrière moi aurait été si riche, si fort. Toutes les anthologies auxquelles j’ai participé ont été l’occasion d’une expérience, littéraire et intellectuelle, comme seule la science-fiction peut en offrir. On m’a permis de « placer ma voix », d’accorder mes instruments, de choisir soigneusement ma position dans le grand concert de l’Imaginaire. Reconnaissance, ensuite, envers ceux qui ont accompagné mes premiers pas, anthologistes, éditeurs, auteurs déjà bien établis. La liste en est longue, même si certain(e)s, comme Gilles, Olivier, André-François, Chrystelle, Philippe, Audrey, ont été là, à mes côtés, presque durant toute la période visée. Je réalise que, alors que j’ai toujours revendiqué la novella comme la quintessence de « ma » science-fiction, les nouvelles apportent tout aussi bien, sinon mieux, les clefs de mes univers. Au final, ce petit répertoire ressemble à une psychanalyse par la fiction, qui m’offre un formidable blanc-seing pour l’avenir.
ActuSF : On trouve majoritairement de la science-fiction (un peu de fantastique et une pincée de steampunk) au sommaire. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans la SF ?
Ugo Bellagamba : La dimension spéculative, avant tout. Elle permet de faire des expériences de pensée qui nous poussent à reconsidérer nos représentations du monde. Mieux, elle nous rappelle, à chaque texte, que nous aussi, nous vivons dans de pures fictions. Fiction du droit, fiction de la démocratie, fiction de la liberté, fiction de l’identité. Nous bâtissons, en tant que société, des systèmes de valeurs dont la science-fiction nous permet de mesurer l’extrême fragilité et ce faisant, elle les rend plus précieux. Ce qui m’intéresse dans la SF, c’est qu’elle me protège des certitudes, et n’exige jamais de moi et de mes lecteurs, l’adhésion à un parti ou à une caste. La science-fiction, c’est une communauté d’esprits libres. En tant qu’auteur, j’essaie d’ajouter de petites idées pour l’aider à monter plus haut, comme un pont jeté entre des étoiles toujours plus lointaines.
ActuSF : Écrire une nouvelle, c’est aussi un exercice souvent délicat parce que court. Est-ce que vous aimez les contraintes de la forme courte ? L’écriture est-elle différente entre une nouvelle et un roman ?
Ugo Bellagamba : J’adore les contraintes dans l’écriture, car elles me poussent à progresser et, parce qu’elles changent sans cesse, d’un projet à l’autre, et m’empêchent de m’ennuyer. Elles participent à ce besoin de découverte qui me guide dans mon parcours. Pour répondre à la deuxième question, je ne vois pas, par contre, de réelles différences entre l’écriture de nouvelles et l’écriture de romans. C’est l’engagement qui détermine tout, et il ne dépend pas du tout du nombre de signes. J’ai touché à des choses très profondes parfois en quelques signes, écrits dans un état second. Dans un roman, on appelle cela une fulgurance. Je préfère parler de principe directeur de l’écriture.
ActuSF : À quel moment savez-vous qu’une idée fera une nouvelle ou un roman ?
Ugo Bellagamba : Lorsque j’y suis contraint par l’éditeur, ou l’anthologiste : s’il faut 30.000 signes, ce sera une nouvelle, tout simplement. Avant d’écrire, je ne me pose pas la question, je laisse d’abord l’idée s’épanouir, j’y pense à des moments totalement inopportuns, et le plus souvent quand il ne faudrait pas (en conduisant, entre deux cours, en aidant mes enfants à faire leurs devoirs, etc.). J’attends longtemps avant d’écrire quoi que ce soit. Parfois des années. Et lorsque je m’y mets, j’écris vite, dans l’élan, sans penser s’il s’agit d’un roman ou d’une nouvelle. La structure vient d’elle-même, ensuite, et je sais alors qu’il s’agit d’un chapitre, ou d’un recueil de nouvelles. Plus jeune, je faisais des synopsis.
ActuSF : Vos textes rendent souvent hommage à des personnalités (écrivains majoritairement). Est-ce un moteur ?
Ugo Bellagamba : Absolument. Tout ce que j’écris ou presque est « pour » quelqu’un. Soit, effectivement, une personnalité (auteur, historien, scientifique), dont l’œuvre ou le parcours m’a marqué. Soit un proche, quelqu’un qui m’est cher. Tancrède était pour mon grand-père maternel. « L’Apopis républicain » pour mon grand-père maternel. L’Origine des Victoires pour ma sœur, etc. Certains textes sont aussi liés à des deuils. Il en est ainsi pour « Le Suicide de la démocratie » ou « Le Réducteur de possibilités ». La mélancolie est une encre très puissante, à laquelle je ne saurai renoncer, même lorsque je me tourne vers l’utopie.
ActuSF : Arrêtons-nous un instant sur « Journal d’un poliorcète repenti », lauréate du prix Rosny aîné 2012. Comment est née l’idée de cette nouvelle ?
Ugo Bellagamba : Du croisement de deux éléments a priori inconciliables : la lecture des travaux du maréchal de Vauban et les événements des Printemps Arabes en Tunisie. Tout de suite, j’ai voulu écrire un texte, roman ou nouvelle, sur ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée. Il me semblait que plus que quiconque les auteurs de science-fiction devaient rendre compte de ce changement en cours et susciter des interrogations par le détour de la fiction sur notre propre passivité française. Mais je ne voulais pas avoir recours au décalage spatial ou temporel, classique du récit de SF. Je voulais être au cœur de l’événement qui me fascinait, affronter sa dureté (la mort de Mohamed Bouazizi) et regarder ses promesses politiques en face (un Maghreb démocratique, nouvelle terre d’élection pour les droits de l’Homme), mais il me fallait aussi un élément « SF » et un ancrage historique. L’héritage de Vauban, sur lequel je travaillais alors, s’est immédiatement imposé : la poliorcétique, l’art de faire des forteresses imprenables, pouvait être envisagée au sens figuré, voire métaphorique, et ainsi fortifier les pouvoirs politiques en place. Tel fut donc le rôle des agents « vaubans » dans mon texte, rémunérés pour aider les dictateurs à se maintenir en place malgré leurs exactions. Jusqu’au jour où, l’un des vaubans décide d’utiliser ses talents à d’autres fins. À partir de là, et en suivant l’événement « caméra à l’épaule », l’écriture du texte s’est faite presque toute seule.
ActuSF : Avez-vous une nouvelle « chouchou » au sommaire ?
Ugo Bellagamba : « Chouchou », je ne sais pas. Mais, il y en a une pour laquelle j’ai une tendresse particulière. Et ce n’est certainement pas la plus connue. Je l’aime surtout pour ses quatre dernières lignes, parce qu’elles disent tout et qu’elles ne sont pas de moi. Et aussi, parce qu’elle exprime ma conviction profonde quant à la nature même de la fiction. Enfin, elle a été écrite dans un lieu qui m’est très cher et que j’ai déjà évoqué dans d’autres textes plus connus. À vous de jouer :) !
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ActuSF : Le recueil comporte des illustrations de Yann Foucaud. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collaboration ?
Ugo Bellagamba : Yann travaille au service informatique de l’université de Nice et nous nous sommes rencontrés dans le cadre de mes fonctions à l’innovation pédagogique. Yann est l’un de ces créateurs qui se dissimulent sous la cape d’une modestie et d’une discrétion excessives. Nous avons commencé à parler de science-fiction durant les déjeuners, et je lui ai donné quelques classiques à lire. Gentiment, il m’a laissé jouer les « profs » de SF. Il m’a fallu quelques mois pour comprendre qu’il avait bien plus à apporter qu’un regard enthousiaste. Son travail graphique m’a rappelé d’emblée certaines couvertures d’Ailleurs et Demain. Et j’ai vu tout ce que son approche pouvait apporter à mon recueil. D’emblée, il a relevé le défi, qui n’était pas des moindres : il lui fallait passer de la couleur au noir & blanc, et de l’abstraction pure à l’évocation, centrée sur les textes. Ses illustrations « font » exister Le Petit Répertoire des légendes rationnelles graphiquement, ce qui est très important pour un recueil numérique qui pourrait n’être envisagé que comme une collection de textes à télécharger. Je lui souhaite de réitérer cette expérience avec d’autres auteurs, d’autres projets. Il a été, qui plus est, extrêmement pro.
ActuSF : On l’a dit, ce Petit Répertoire des légendes rationnelles est publié en numérique. Quel regard portez-vous justement sur le livre numérique ?
Ugo Bellagamba : À l’exception du vif déplaisir de ne pas pouvoir « sentir » le livre quand il est fraîchement publié, et éprouver le grain du papier sous mes doigts, le numérique répond à tous les critères d’une publication à part entière, professionnelle jusque dans le moindre détail (une coquille est toujours aussi navrante que ce soit sur l’écran que sur la feuille), et elle est le fruit d’une collaboration étroite avec l’éditeur. Je suis très fier que Jérôme Vincent m’ait proposé de publier ce recueil et je n’ai pas l’impression que le choix du numérique soit, de sa part, une manière d’établir des hiérarchies entre les auteurs les plus prisés, ou les plus « vendeurs », et ceux qui le sont un peu moins. Mieux : la visibilité de l’ouvrage me paraît bien supérieure et plus durable en numérique, comparativement à celle d’un ouvrage papier qui sera d’abord coincé, sur les étals des librairies, entre d’autres volumes plus gros et plus lourds que lui, et qui se retrouvera rapidement dans les rayonnages, muselé par les couvertures rigides de ses pairs en disgrâce. Et, pour aller plus loin, je crois qu’il y a deux territoires à conquérir pour les auteurs de SF d’aujourd’hui : le numérique et le beau livre. C’est dans cette seconde voie que j’inscrirai mon recueil de contes étrusques.
ActuSF : Votre dernier titre paru, L’Origine des Victoires, était composé de nouvelles. Comment l’avez-vous construit ?
Ugo Bellagamba : Comme des chroniques, indépendantes les unes des autres, mais reliées entre elles, chacune révélant un aspect particulier du combat sans fin que mènent les Victoires contre leur ennemi. J’ai délibérément écarté tout ordre chronologique. J’ai d’ailleurs demandé à Jérôme Vincent de supprimer toute numérotation des chapitres/nouvelles. Selon l’ordre de lecture que l’on choisit, le message n’est pas tout à fait le même. Bien sûr, ce ne sont que des choix très subjectifs et, on pourrait multiplier ces chroniques, tant il y a d’époques, de situations, et de personnages envisageables. Tenez, j’avais prévu de travailler sur l’affaire des reines adultères des fils de Philippe IV le Bel, au début du XIVe siècle, dont l’une a été emmurée vivante. Qui sait, je publierai peut-être un « Défilé de Victoires », plus tard ?

ActuSF : On vous connaît plein d’activités. Vous avez été directeur artistique des Utopiales jusqu’à il y a peu. Vous avez aussi écrit un roman que vous avez en partie dévoilé en ligne. Où en êtes-vous au niveau de l’écriture actuellement ?
Ugo Bellagamba : Le roman, qui s’intitule L’Esprit de Julia, est désormais intégralement et gratuitement en ligne, sous licence Creative Commons, sur mon site. Il a été refusé partout. J’attends encore une ou deux réponses, mais je me dis qu’il s’inscrit désormais dans processus qui l’amènera à être lu et discuté directement par mes lecteurs. Une suite est prévue. Mes années à la délégation artistique des Utopiales, et mes diverses obligations universitaires, ne m’ont nullement fait perdre le goût du récit. Simplement, je me tourne vers de nouvelles formes d’écriture. Toujours substantiellement liées à la science-fiction et à ses mécanismes spéculatifs, mais prenant plutôt la forme de nouvelles courtes et, surtout de contes. Je me focalise sur un héritage culturel que je porte en moi depuis longtemps et qui n’avait pas encore eu la possibilité de s’exprimer sous la lumière de l’Imaginaire : celui des Étrusques. C’est très exaltant et c’est peut-être une mutation plus profonde. Nous verrons.
ActuSF : Un petit mot sur vos prochains projets ?
Ugo Bellagamba : Je crois que j’ai déjà tout dit, non ? Du coup, j’en profite pour vous remercier pour vos questions, et pour toute votre attention.