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Interview: Jeanne A. Debats, trop humaine
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Interview: Jeanne A. Debats, trop humaine

ActuSF : Humain.e.s trop humain.e.s sort en novembre aux éditions ActuSF. C’est le troisième et dernier volet des aventures de Agnès dans l’univers de l’Altermonde, ce Paris peuplé de créatures fantastiques.

Quand vous avez commencé ce triptyque avec L’Héritière, vous saviez déjà comment cela finirait ? Où vous êtes vous laissé une marge d’improvisation ?

Jeanne-A Debats: Je savais très exactement comment cela finirait tout en(paradoxalement) ignorant les détails. L’idée m’avait été donnée, il y a très longtemps par mon fils, affectueusement surnommé le mutant. Nous savions tous les deux depuis cette conversation d’il y a plus de dix ans que la fin, eh bien, ce serait cela.

La trilogie cependant ne présentait pas tout à fait le même ordre lorsque je l’ai conçue. L’intrigue « particulière » de l’Héritière  devait trouver sa place dans le tome 2 tandis qu’Alouettes aurait dû être le début. Puis pendant la rédaction, j’ai trouvé que celle de l’Héritière se prêtait mieux à une mise en place du monde plus aérée pour le lecteur. Alouettes est plus déjanté, plus foutraque que l’Héritière, sauter à pieds joints dedans me semblait difficile pour un premier bain. Je n’avais pas tout à fait raison, certains lecteurs ont commencé par Alouettes et ne s’en sont pas trouvés déstabilisés. Reste que pour la progression du personnage, le sujet même d’Alouettes (le sexe, l’amour, le lagavulin et comment s’en accommoder^^) demeure selon moi plus logique.

Au début du précédent opus, Agnès était encore marquée par le deuil. Comment va-t-on la retrouver ici ?

Agnès grandit, c’est tout le propos de cette série : la prise d’indépendance affective et générale du personnage principal, ce troisième volume délivre Agnès (et le monde) de ses dernières chaînes. C’est une femme adulte et libre.

Le roman commence avec un attentat qui fait sauter le Cénacle Majeur. Quel est le rôle de ce dernier dans l’Altermonde ? Quelles vont-être les implications de sa disparition ?

Les clans vampires n’ont plus de chefs de file, ça fait tache et surtout désordre, les Instances ont horreur de ça, le désordre. Elles ont un côté « ménagère de plus de 50 ans dans une pub des années 60 », les superflic.que.s de l’AlterMonde. Je les imagine bien avec un plumeau de la taille d’une nébuleuse.

Suite à cet événement, l'étude de Géraud, l’oncle d’Agnès, récupère un mystérieux coffre. Ça sent le cadeau empoisonné… Comment les membres de l’étude (Zalia, Navarre…) vont réagir à la situation ?

Il faudra lire le livre pour connaître la réponse à cette question. ;)

Agnès rejoint un convent avec une sorcière asiatique transsexuelle et une sorcière noire. Dans tous vos romans, la diversité ethnique, la représentation des genres… ce sont des thématiques qui vous tiennent à cœur, n’est-ce pas ? Dans ces domaines, il y a encore du chemin à faire dans les littératures de l’imaginaire ?

(Attention écriture inclusive inside)

(Forcément^^)

Il y a du chemin à faire partout dans le monde sur ces questions-là. Croire que l’Imaginaire, ou l’univers artistique en général, soit plus avancé que d’autres dans ce domaine, relève soit de l’erreur, soit du déni.

Les affaires récentes l’ont prouvé pour Hollywood, mais dans le monde du comics ça commence à tomber aussi. Même une de mes idoles de Star Trek s’en trouve entachée. (Et je suis encore en train de me battre avec ma propre dissonance cognitive : « Non, pas Lui ».) Mais déjà, que les gens commencent à supporter d’en entendre parler plus de deux jours en suivant sans déclarer que « ça va bien merci, on a compris, c’est indécent », serait un grand pas en avant. Pourtant, ce qui était indécent, c’était ce qui se passait avant, et que, manifestement, on a longuement refusé de comprendre.

Lorsque je coiffe ma casquette de déléguée artistique des Utopiales, la représentation de toutes les diversités est une préoccupation qui est constante à mon esprit également. Et quand on considère la répartition des tables rondes du festival, malgré tout le soin que nous apportons à ces questions, Roland Lehoucq et moi, certaines conférences reflètent par leur composition le manque de visibilité des discriminé.e.s.

Par exemple, La table ronde Lovecraft ou le Temps des particules (encore que celle-ci soit un accident, l’an dernier nous avions plutôt des physiciennes et des astrophysiciennes) reflète que les hommes blancs demeurent encore bien seuls à prendre la parole. Toutefois, de plus en plus, nous parvenons à un ratio qui commence (seulement) à devenir acceptable. Cependant, les personnes racisées restent très minoritaires, sur scène comme -- surtout -- dans le public. Si nous désirons qu’iels viennent à nous, il faut leur donner la certitude qu’iels seront les bienvenus.

En attendant, la SFFF demeure une littérature très marquée par l’entre-soi blanc, bien qu’elle fasse des progrès côtés féminisme ET représentation des femmes. Parce que ce n’est pas la même chose. Si la SFFF s’est très vite emparée du sujet, très tôt même, pour des raisons liées à son sujet justement ( l’anticipation, la prospective) la réalité des faits c’était que auteurs et lecteurs (et j’emploie ici le masculin à dessein^^) ne cessaient pas d’être en majorité des hommes. Cette tendance s’inverse depuis les années 90 mais très lentement et certains grands acteurs et grands anciens du milieu en nient encore la réalité.

Quand on sait que le « lecteur lambda » est UNE lectrice, il y a de quoi ricaner. On voit toutefois de vraies ouvertures se faire : le prix Julia Verlanger vient de se doter d’un jury en majorité féminin (ce qui est un peu le moins vu l’autrice qu’iel honore, mais il a fallu 20 ans pour cela tout de même). Les autres prix de l’Imaginaire approchent enfin la parité sans toutefois y parvenir. Mais aucun.e des membres de ces jurys (Verlanger inclus) n’appartient à une catégorie racisée ou discriminée. Nous demeurons encore dans l’hétérosexualité, en apparence au moins, blanche triomphante.

Ainsi, en tant qu’autrice comme dans tout le reste mon existence de femme, enseignante comprise, c’est une question cruciale. J’espère seulement ne pas m’emparer de façon trop définitive de sujets que les concerné.e.s auraient traités mieux que moi. Cependant, il faut bien débuter quelque part. C’est un équilibre délicat et je ne suis pas certaine de le conserver chaque fois.

Un détail à souligner qui découle directement de cela : c’est bien parce que ces sujets sont graves et militants, que je ne me sens pas toujours légitime à les traiter, que j’ai choisi la carte de l’humour. Le message politique est toujours difficile à transmettre, il vaut mieux éviter de le rendre ennuyeux et plus que tout autoritaire.

Votre triptyque Testament se termine avec Humain.e.s trop humain.e.s . Clap de fin définitif pour Agnès et pour le vampire Navarre ? Ou va-t-on les retrouver dans un futur roman ?

Clap de fin. Adieu Navarre, je t’aimais bien. Il faut savoir s’arrêter quand on s’amuse encore, quand on a encore un peu faim. Je ne m’interdis pas d’y revenir un soir de cuite ou de mélancolie, voire les deux en même temps, mais ce ne sera que pour une nouvelle, ou deux. Mais désormais je compte revenir à une SF plus classique, plus campbellienne (Oui parce que Navarre, scoop, c’est AUSSI de la SF^^), celle dont je suis issue au fond.

 

Depuis 2016, vous êtes déléguée artistique du Festival des Utopiales de Nantes. Quel impact cette prise de poste a eu sur votre métier d’auteur ? Y-a-il des complémentarités entre ces deux fonctions, où est-ce vraiment deux champs séparés ?

Les Utopiales impactent directement mon métier d’auteur, j’ai moins de temps et d’énergie, forcément. Et d’abord, les Utopiales mobilisent mes capacités créatrices, les mêmes que j’utilise pour un roman. Ugo Bellagamba, mon prédécesseur m’avait prévenue « Ça te coûtera un livre par an ». C’est tout à fait vrai.

Cependant, ce qu’il ne pouvait pas me transmettre à ce moment-là parce que je n’avais pas encore pris la barre en main1, c’est que les Utopiales sont une autre forme de création. Tout aussi exigeante. Collective en prime, puisque je ne suis pas seule sur la passerelle de commandement. Outre Roland Lehoucq bien sûr, et Xavier Fayet le Chargé des Projets Culturels, c’est toute une équipe qui se charge de mener les festivaliers à bon port. Roland et moi ne sommes, avec les bénévoles et les modérateurs, que les figures de proue, vers les invités d’abord et le public ensuite. Il y a toute une bande noire2 dans les cales, chargée du charbon, et qui fait tourner le moteur ou aide au plan de navigation. Cette bande est invisible mais, sans elle, le voyage n’aurait pas lieu.

Il faut seulement se résigner à ce que cette création soit éphémère et qu’il n’en reste rien une fois le navire revenu à quai.

Cinq jours, à voir (Et encore, pas toujours, parce la DA passe un temps considérable du festival à ne PAS le voir. Puisqu’elle court partout à essayer de parer les catastrophes potentielles en préparation.) le résultat de son travail croître et s’épanouir, puis disparaître. C’est une espèce d’oeuvre d’art total et post-moderne. C’est très exaltant en soi et j’y trouve les mêmes plaisirs et les mêmes angoisses que lorsque j’écris.

Ou que j’enseigne.

Parce qu’on en revient toujours là (avec moi du moins). Mon métier d’autrice, mon métier d’enseignante : tout tourne autour de la transmission. Du savoir, des idées, du partage. Les Utopiales, c’est cela dans un domaine parmi ceux que j’aime et connais le mieux : la SF.

Et il n’y a pas que le public qui y apprend des choses, moi aussi. Chaque année. Mon propre travail d’autrice s’y enrichit chaque seconde au fil des rencontres.

Sur quoi travaillez-vous ce moment ?

Sur mes copies essentiellement, l’enseignante voit arriver le mur des conseils de classe. La DA est en (presque ) pause, même si elle note deux trois idées ici et là pour 2018 et commence à penser à envoyer des invitations. L’autrice se repose sur ses lauriers, elle se remettra au boulot en décembre pour un space opera aux éditions Leha.

Où pourra-t-on vous trouver prochainement en dédicace ?

A Sèvres le 26 novembre et à Lyon le 1 décembre à la librairie La Virevolte.

 

1- Attention, ici commence une métaphore filée maritime et allusive. Ceux qui savent, savent. Sans compter qu’une ITW de JAD sans notes de bas de page et sans « private joke », c’est comme un quartier maître sans bouteille de rhum.

2- Spéciale dédicace Nicolas Barret et Lois MacMaster Bujold. (Voir également note 1)

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