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Interview Laurent Queyssi
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Interview Laurent Queyssi

Actusf : Tout d'abord, une question autour de tes débuts. Quand as-tu commencé à écrire ? Et qu'est-ce qui t'a donné envie de le faire ? Tu as beaucoup lu petit ?
Laurent Queyssi : Adolescent, j’ai essayé de me lancer dans une carrière de dessinateur de bédé qui a avorté en raison de mes piètres talents de dessinateur et je me suis alors lancé dans l’écriture de nouvelles. Mon premier amour, c’est la bande dessinée. Tintin (original, non ?), puis les super-héros à la pelle et vers 14-15 ans le double choc Giraud/Moebius d’un côté et la nouvelle vague d’auteurs anglais qui révolutionnaient les comic-books (Moore, Morrison, Milligan). Je me rappelle d’un soir après le collège où, en compagnie de deux camarades, j’ai traversé cinq ou six kilomètres d’une étendue suburbaine ressemblant à celle que hantent les personnages de Sense of Wonder 2.0 pour trouver un hypermarché qui aurait peut-être reçu le Arkham Asylum de Morrison et McKean. Je ne me souviens même plus si nous l’avons trouvé. Je ne crois pas.
Bref, je lisais beaucoup, évidemment. Essentiellement de la SF et du fantastique et sans peut-être le savoir complètement, je me préparais à une vie entourée de livres.
Quant à l’envie d’écrire, elle a bouillonné longtemps en moi jusqu’à devenir une nécessité. Je m’y suis mis sérieusement vers dix-huit ans, en tout cas autant qu’on peut être sérieux à dix-huit ans.
 
Actusf : Quels sont les auteurs qui t'ont particulièrement marqué ? Et pourquoi ?
Laurent Queyssi : Enfant, mes premières amours littéraires étaient assez communes, il me semble. Stephan Wul, Verne évidemment et beaucoup d’auteurs classiques de la bande dessinée franco-belge. Charlier, Goscinny, Greg, Hergé, Franquin.
Puis une évolution sans doute elle aussi naturelle : aux scénaristes anglais déjà cités, tu peux ajouter Dick, Henry et Frank Miller, Ballard, Proust, King, Lansdale, Block, Di Filippo, une certaine partie de l’œuvre de Moorcock, Matt Wagner, Pynchon, Garth Ennis, William Gibson, Jeter, Houssin, Harlan Ellison, Chaland et j’en oublie des dizaines. Je suis plutôt du genre monomaniaque et quand je m’énamoure d’un auteur, je plonge dans son œuvre avec délice jusqu’à satisfaire ma soif. Je viens de redécouvrir Samuel Delany, là, et c’est un vrai plaisir.
Il y a eu aussi la découverte qu’il existait une SF française encore bien vivante lorsque, vers dix-huit ans, j’ai acheté le premier numéro de Cyberdreams, par hasard, en allant prendre ma ration hebdomadaire de comics. J’ai rencontré Francis Valéry (au propre comme au figuré, d’ailleurs, car c’était lui mon vendeur de comics), Lehman, Wagner, Day et les autres. Ça a ouvert des possibilités dans ma tête.
 
Actusf : Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps semble avoir plein d'influences, la musique, la SF mais aussi l'univers des séries télés, de la musique etc. Est-ce qu'on peut dire que tes influences sont multiples ?
Laurent Queyssi : On peut le dire.
Il y a quelques mois, lors des Rencontres Chaland à Nérac, lorsqu’on a demandé lors d’un débat à Serge Clerc ce qu’Yves Chaland écoutait comme musique, il a expliqué que Chaland n’en écoutait guère, que ça ne l’intéressait pas. Toute son énergie était focalisée sur la bande dessinée. C’était son obsession.
Je ne suis pas comme ça. Je me passionne autant pour la musique que pour la littérature par exemple. Les deux influencent autant mon travail tant elles m’infusent. La musique, par exemple, ne m’offre pas des solutions de rythme, mais m’imprègne de façon plus globale. Elle me fournit des émotions, un certain état d’esprit, elle irrigue de la vie. Je lis énormément de livres sur la musique : biographie d’artistes ou histoires de mouvements.
En revanche, je « consomme » sans doute plus le cinéma et les séries télé comme un spectateur que comme un acteur. Ça m’intéresse également, mais je me sens plus distant, même si ça influence aussi probablement mon travail. Là aussi, comme pour beaucoup de choses, c’est l’envers du décor qui me fascine, les coulisses, le sale, l’improvisation et parfois le sordide derrière les paillettes. Ce que coûte la machine à rêves…
 
Actusf : As-tu identifié chez toi comment nait un récit ?
Laurent Queyssi : Comme je l’explique dans l’intro d’une des nouvelles, je pense que ça vient de la collision de deux idées qui n’ont souvent rien à voir et qui, lorsqu’on les confronte, ouvre des perspectives intéressantes ou laisse entrevoir une manière de voir originale.
Quant à savoir d’où viennent les idées, je pique la réponse d’Harlan Ellison: « Je suis abonné à un service basé à Poughkeepsie qui fournit un quota d’idées par semaine. Je les reçois dans ma boîte aux lettres… »
 
Actusf : Tu as déjà publié deux romans. Est-ce aussi facile pour toi d'écrire un roman ou une nouvelle ?
Laurent Queyssi : Les deux sont aussi difficiles, mais dans le cas d’une nouvelle, l’épreuve s’arrête plus vite. J’ai publié deux romans, mais j’en ai écrit quatre et à chaque fois, j’oublie ce que ça représente comme investissement.
 
Actusf : Parlons de ton recueil. Est-ce que l'on peut dire que c'est vraiment la somme de ton parcours ? Une sorte de bilan de la forme courte chez toi ?
Laurent Queyssi : Ouais, en quelque sorte. Ça représente dix ans de textes courts dont certains remontent quasiment à mes débuts. En préparant le recueil, je me suis aperçu du trajet parcouru. Mais l’ensemble reste cohérent, il me semble, notamment dans les thématiques et dans les points de vue.
 
Actusf : 707 Hacienda Way est une sorte d'hommage à Philip K.Dick. Quelle importance a eu cet auteur pour toi ?
Laurent Queyssi : Une importance capitale. C’est le premier auteur qui m’a vraiment obsédé et je ne me suis jamais détaché de cette passion. Même si je crois que son œuvre m’imprègne tellement que je fais tout, peut-être inconsciemment, pour m’en détacher dans mes propres textes.
Mon rapport à son travail est passé à un autre niveau lorsque j’ai commencé à le disséquer dans un cadre universitaire. Depuis, il ne me quitte plus. Je viens, par exemple, de signer une postface pour la nouvelle traduction du Maître du haut-château et ça reste un honneur et un plaisir.
 
Actusf : Tu l'as réécrit avec Ugo Bellagamba. Que t'a apporté cette collaboration ?
Laurent Queyssi : Du plaisir dans le travail. On a repris ensemble le texte original, publié dans l’ancêtre papier du site actusf dans les années 90, pour l’extirper de son statut trop voyant de texte de débutant. Je n’aurais pas pu le faire seul. Ugo a lui aussi beaucoup compté, peut-être sans le savoir, de manière générale dans mon travail d’auteur.
 
Actusf : Comment est née Nuit noire, sol froid ?
Laurent Queyssi : J’avais depuis longtemps envie de me frotter au thème archi-cliché du vaisseau générationnel et l’idée que la chanson de Blind Willie Johnson se trouve dans la sonde Voyager m’a fourni le déclencheur.
 
Actusf : C'est un récit très "SF". Qu'est-ce qui t'intéressait dans ces conteurs qui racontent des histoires aux autres membres du vaisseau et transmettent la mémoire ?
Laurent Queyssi : Sans doute l’idée d’oralité, un concept quasiment disparu de nos jours. La première règle des ateliers d’écriture anglo-saxons dans les genres qui nous intéressent est le « Show, don’t tell », mais raconter est un autre processus mental que mettre en scène, il me semble, et d’une importance capitale. On raconte pour divertir, mais aussi pour transmettre, et pas seulement du savoir. On passe des émotions, des solutions, des conseils sur la façon de se comporter face aux dieux. Dans son fonctionnement, le récit moderne s’adresse au plus grand nombre, au monde entier. Le conte, l’histoire que l’on se transmet autour du feu, s’adresse à un cercle restreint, aux membres de sa tribu, de sa famille. Les habitants d’un vaisseau générationnel sont une tribu. Je devais faire des contes leur moyen d’expression privilégié.
 
Actusf : Planet of Sound parle de fanzine, de musique et d'aliens. Quelle était l'idée de départ ? C'est une période, celle des fanzines musicaux, qui te passionne ?
Laurent Queyssi : Ce n’est pas tant une période, ni les fanzines qu’une rencontre qui a tout déclenché. Le texte vient de ma rencontre avec le mystérieux Jim Dedieu qui est aussi fan des Pixies et de Grant Morrison que moi. D’ailleurs, avant de le rencontrer, un de mes amis fan de comics qui le voyait poster des interventions sur un forum de bd américaine, pensait qu’il s’agissait de moi. En réalité, nous sommes assez différents et c’est justement ça qui donne cette originalité formelle au texte. Un de mes plus grands plaisirs d’écriture.
 
Actusf : Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps est la grande nouvelle inédite. On plonge dans le monde d'Hollywood. Quel regard tu as sur ce monde ?
Laurent Queyssi : Un regard distancé forcément. Je n’ai même pas de grande connaissance livresque à son sujet. Je préfère imaginer ce qu’il se passe en coulisse et c’est exactement ce que je fais avec ce texte. Je ne veux pas dévoiler ici ce dont il s’agit dans « Comme un automate », mais ma solution explique bien des choses sur la manière dont sont produites les séries télé. Elle est à la fois complètement improbable et d’une élégance absurde qui me plaît.
 
Actusf : Tu es aussi traducteur. Est-ce que cela t'apporte dans ton écriture ? Les deux activités se nourrissent-elles l'une de l'autre ? Même question pour tes activités de chroniqueur à la télé ou sur le Palais des déviants...
Laurent Queyssi : La traduction m’apporte sans doute une certaine rigueur et la possibilité de voir de plus près les rouages de certains romans. Mais je ne pense pas que ça nourrisse mon écriture. Au contraire, il me semble que quand j’écris, j’utilise la liberté qui m’est alors offerte. Je ne suis plus au service de Peter Brett, de Chris Wooding ou de Michael Cobley, mais à celui de Laurent Queyssi. J’essaye d’en profiter pour aller voir ailleurs.
Quant au podcast et à la télé, ce sont des à-côtés sympathiques, très plaisants à faire, mais qui n’influent pas non plus sur l’écriture. Mais ils me permettent d’aller voir ailleurs, de respirer, de sortir de mon atelier.
 
Actusf : Quels sont tes projets ?
Laurent Queyssi : En même temps que le recueil, en février, sort le deuxième et dernier tome de Blackline, une série de bédé au Lombard (avec Hervé Loiselet et Pasquale Del Vecchio) puis en juin, Infiltrés !, un thriller jeunesse chez Rageot. Je continue à bosser sur l’Histoire de France en bande dessinée et je prépare un gros projet de bédé pour 2013, un projet perso et qui me tient énormément à cœur, mais dont je ne peux encore rien dire sous peine de voir débarquer des MIB belges à ma porte. Je vais bientôt entamer la traduction du deuxième tome de l’excellente série de Michael Cobley, Le Feu de l’humanité, et à plus long terme, j’ai un projet d’écriture avec un auteur français bien connu de ce site et tout un tas d’autres plans sur la comètes à un stade plus ou moins avancés. Mais de manière générale, l’année 2012 sera essentiellement placée sous le signe de la bande dessinée. Les rêves de gosse…

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