- le  
Interview d'Alain Grousset sur l'uchronie
Commenter

Interview d'Alain Grousset sur l'uchronie

ActuSF : En tant qu’auteur ou lecteur entretenez-vous un rapport particulier à l’uchronie ? Avez-vous écrit des textes uchroniques ? 
Alain Grousset : J’avais bien entendu lu diverses uchronies qui m’avaient marqué comme l’incontournable Maître du Haut Château, mais je n’en avais jamais écrit avant de proposer aux éditions Flammarion une collection uchronique. Une fois la collection en place avec l’anthologie Divergence 001 et Ceux qui sauront, le premier tome de la saga de Pierre Bordage, la direction éditoriale a souhaité que j’écrive un roman avec ma complice Danielle Martinigol. Ce fut ainsi qu’est né Sens interdit, dont la divergence est l’altération de l’odorat suite à la grippe espagnole de 1918.
 
 
ActuSF : Comment définiriez-vous l’uchronie ? 
Alain Grousset : Un « Et si ? » en marche arrière. Cette question fondamentale pour la SF prend ici tout son sens. L’uchronie nous montre que notre destin se construit sur des milliards de « Et si ? » pour finalement ne garder qu’un chemin. L’uchronie nous met au bord de ce chemin pour mieux le juger et peut-être appréhender le futur différemment.
 
 
ActuSF : L’uchronie entretient avec l’histoire des liens évidents puisqu’il s’agit de réécrire notre histoire telle qu’elle aurait pu être à partir d’un point de divergence. La science-fiction spécule sur notre avenir. Or les uchronies sont plus souvent étiquetées « SF » que « roman historique ». À votre avis, comment peut-on expliquer ce phénomène ? 
Alain Grousset : Les historiens anglo-saxons adorent ce genre de spéculation historique, mais cela ne semble pas amuser les Français qui pensent que l’histoire est trop sérieuse pour ce genre d’amusement. En quoi ils ont tort. Car l’histoire est mouvante. Elle bouge au gré des découvertes. Certains acteurs minorés jusqu’alors peuvent devenir majeurs lorsqu’on découvre l’importance de leurs actes. Ou l’inverse. Cela peut également provenir du fait que certains auteurs ne font pas des uchronies pures (il n’y a qu’une trame de temps) pour se réfugier dans les univers parallèles. La SF prend alors le dessus.
 
 
ActuSF : Comment expliquez-vous l’intérêt que suscite l’uchronie depuis quelques années ? Pensez-vous que cet intérêt va perdurer ? 
Alain Grousset : Je suis assez fier d’être feu le créateur de la première collection uchronique en France. J’aime beaucoup ce thème et apparemment je ne suis pas le seul. Cet intérêt grandissant peut être un effet de mode, porté par la crise que nous traversons. En effet, changer le cours du temps, revenir en arrière semble digne d’intérêt lorsqu’on se sent mal dans son époque. Les uchronies personnelles font également fureur. Beaucoup se demandent qu’elle aurait été leur vie s’ils étaient restés avec leur amour de jeunesse. Je pense cependant qu’il y aura toujours des auteurs affûtés en histoire qui souhaiteront traiter ce thème dans leur bibliographie.
 
 
ActuSF : Comment est née l’idée de la collection Ukronie ? Quelle était son ambition ? Poursuiviez-vous un objectif précis ? 
Alain Grousset : Flammarion voulait me confier une collection de SF jeunesse. J’ai refusé, car il en existait plusieurs à l’époque, et je ne souhaitais pas en ajouter une de plus. Par contre, Flammarion publie toujours beaucoup d’ouvrages historiques en direction des jeunes, alors j’ai proposé la meilleure des rencontres entre la science-fiction et l’histoire : l’uchronie. Après, il a fallu que j’explique ce qui se cachait derrière ce mot barbare. Au final, Flammarion a dit banco !
 
 
ActuSF : Tous les ouvrages publiés dans cette collection sont des uchronies pures. La trilogie de Pierre Bordage dans laquelle Jules Ferry est assassiné avant d’avoir rendu l’école obligatoire porte un message éducatif fort. Pensez-vous que l’uchronie doit avoir une utilité particulière ? Selon vous, à quoi sert-elle ou doit-elle servir ? 
Alain Grousset : Je suis un adepte des uchronies pures. Il n’y a qu’un temps, celui décrit par l’auteur. Avec les mondes parallèles, je trouve que l’on délaye trop la trame historique, donc le message. Ce message quel est-il ? Un, que l’histoire est fragile, mais pas immuable. Deux, qu’il suffit d’un rien pour la faire basculer dans bien plus terrible. Trois que nos actes ne sont jamais anodins et peuvent avoir des conséquences personnelles, mais aussi sociétales.
 
 
ActuSF : Dans la préface de l’anthologie 10 façons de bouleverser le monde vous écrivez que l’uchronie « doit rapprocher les amateurs de l’histoire passée de ceux qui adorent l’histoire future. Ces deux lectorats ne sont pas antinomiques. Au contraire, la curiosité est leur terrain de rencontre. »
Pensez-vous que les deux lectorats tendent à se mélanger ou se rejoindre ? Voyez-vous une évolution ? 
Alain Grousset : Si les historiens sont réticents, car pour eux remodeler l’histoire, c’est faire du révisionnisme, pour les lecteurs, c’est autre chose. Bien souvent, lorsqu’une uchronie les a passionnés, ils cherchent à en savoir plus sur la période historique traitée. Les lecteurs de SF vont donc vers le passé. Dans l’autre sens, les lecteurs d’ouvrages historiques sont friands de cette littérature uchronique qui adore les anecdotes, qui fait réfléchir par son décalage. Bref, un terrain d’entente passionnant.
 
 
ActuSF : Pour terminer, avez-vous des projets en lien avec l’uchronie ? 
Alain Grousset : Je viens de terminer un ouvrage pour ados intitulé La guerre de 14 n’a pas eu lieu. Cela s’imposait en cette période de centenaire de traiter cette Première Guerre mondiale à la mode uchronique !

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?