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Interview d'Octavia Butler
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Interview d'Octavia Butler

Nous : Quels ont été vos débuts dans l'écriture ?
Octavia Butler : J'ai commencé à l'âge de 10 ans à écrire des histoires qui parlaient de chevaux mais du point de vue de l'animal. A douze, j'ai entamé mes premiers livres de SF, mais sans voir la différence avec la littérature générale. J'ai alors vu un film à la télé qui s'appelait La fille diabolique de Mars dans les années 57-59. C'était très mauvais (rires). Je me suis dit que je pouvais écrire une bien meilleure histoire. En fait, n'importe qui pouvait écrire une meilleure histoire. (rires). Et là j'ai réalisé que quelqu'un avait été payé pour faire le scénario. Je me suis alors mise à écrire de la fiction, puis je me suis intéressée à la science, aux planètes… C'était l'époque de la conquête spatiale. Je me suis donc retrouvée à écrire de la science fiction. C'est un genre très ouvert qui me permet de raconter des histoires sur n'importe quel sujet.

Nous : Comment est né La Parabole du Semeur ?
Octavia Butler : Depuis mes débuts, j'ai toujours essayé de rendre mes personnages humains et meilleurs. Je voudrais aussi qu'ils trouvent en eux-mêmes les ressources pour échapper à leur propre folie. Dans mes premiers romans, je leur ai donné des pouvoirs extraordinaires comme la télépathie. Ensuite, dans mes livres pour la jeunesse, j'ai imaginé des extraterrestres qui venaient pour changer les hommes. Et puis finalement, j'ai décidé que c'était les êtres humains qui allaient aider les autres êtres humains et tout ça, sans pouvoirs spéciaux ou extra-terrestres. Simplement avec les potentiels que chacun de nous a en lui. C'est l'idée principale de la Parabole du Semeur. Nous devons chercher en nous même la solution à nos problèmes.

Nous : Peut-on dire que La parabole du Semeur est un roman à messages ? Est-ce comme ça que vous l'avez conçu ?
Octavia Butler : Aux Etats Unis, j'essaie toujours d'expliquer que ce n'est, ni plus, ni moins, de la science fiction comme ce que j'ai écrit auparavant… Mais en fait, je me fiche un peu de l'endroit où se range le livre (rires). C'est simplement parce qu'il se passe en 2025 que les gens ont décidé d'en faire de la SF.

Nous : Comment présenteriez-vous ce livre à quelqu'un qui ne l'aurait pas lu ?
Octavia Butler : C'est l'histoire d'une femme du futur qui va essayer d'améliorer le sort de ses contemporains. Elle utilise une religion qu'elle invente comme aiguillon pour emmener les autres personnages dans un vaste projet qui dépasse cette notion. Et si son projet se réalise, il doit apporter la paix et nous envoyer dans d'autres systèmes planétaires.

Nous : Pourquoi avoir inventé de toute pièce une religion dans ce livre ? Il n'y en avait pas une qui correspondait ?
Octavia Butler : Mon héroïne n'a pas l'impression d'avoir inventé une religion, simplement d'avoir découvert une vérité. Mais sans être une porteuse de flambleau ou investie d'une mission en particulier, elle a juste trouvé quelque chose donc elle le répète. C'est quelqu'un de vraiment sincère dans ses convictions. Elle ne fait pas semblant. Elle croit vraiment en ce qu'elle dit.

Nous : Avez-vous l'impression que cette religion que vous développez dans le livre est plus proche des gens, plus humaine que ses consoeurs existantes aujourd'hui ?
Octavia Butler : Je ne sais pas. En tout cas, je ne pense pas qu'elle marcherait vraiment. Elle n'est pas assez confortable. Lors de ma première interview, une journaliste m'a dit "je n'ai pas besoin qu'une religion me réconforte". Je lui ai alors répondu : "c'est parce que vous vous sentez bien dans votre vie". C'était normal. Mais quand les gens ont des problèmes, ils ont besoin d'une religion pour les réconforter.

Nous : Dans le roman, on a l'impression qu'il suffit d'un rien pour que la barrière entre les personnages s'effritent et qu'ils se serrent alors les coudes. C'était aussi un des messages que vous vouliez faire passer ?
Octavia Butler : Au début, ils ne se mettent pas ensemble simplement pour être ensemble, mais parce qu'ils ont des besoins, notamment de protection pour ceux qui ont des enfants… Mais dès qu'ils commencent à mieux se comprendre, le groupe prend une dimension différente. Il devient alors une vraie communauté .

Nous : L'univers de La Parabole du Semeur est très, très sombre. Et en même temps, il y a un immense espoir derrière tout cela. C'est votre vision du monde ?
Octavia Butler : Je suis pleine d'espoir en l'humanité même si les évènements récents, notamment du 11 septembre, me font de temps en temps revoir ma position. Avant cette date, j'étais bien sûr plus optimiste. Le vrai problème qui nous paralyse, c'est d'avoir une vision à court terme. On sait très bien au niveau mondial ce qu'il faudrait faire pour que ça aille mieux. Et pourtant, on ne le fait pas...

Nous : Avez-vous eu des contacts avec des personnes religieuses pour ce livre?
Octavia Butler : En fait, j'ai été une personne très religieuse (rires). Je suis d'une famille baptiste extrêmement stricte. Mon grand père était pasteur. Et quand j'étais petite, on était censé lire la Bible. Moi j'aimais bien. C'était bourré d'histoires. J'ai même lu celles qui n'aurait pas fallu… (rires). J'avais la foi. Mais en la confrontant au monde autour de moi, je me suis vite rendue compte que ça ne fonctionnait pas comme ça aurait dû, selon les règles qui étaient écrites. Aujourd'hui, je pense que si on traite les gens correctement et si on écoute sa conscience, ça suffit pour être quelqu'un de bien. Pas besoin de religion.

Nous : Votre héroïne vous ressemble beaucoup. Jusqu'à quel point ?
Octavia Butler : Ce n'est pas moi (rires). Mon héroïne est une battante. J'ai d'ailleurs dû travailler très dur pour en faire une meneuse d'hommes parce que ce n'est pas dans ma nature. Je trouve les gens qui cherchent le pouvoir suspects. J'ai tout fait pour faire de mon héroïne une leader : elle est l'aînée d'une famille de cinq enfants avec quatre garçons pour frères. C'est aussi la fille du chef de la communauté de départ et la belle-fille du seul professeur du quartier… Elle est née pour assumer les responsabilités. Une fois tout ça en place, je pouvais lui faire dépasser ce simple rôle de "chef". Mais il fallait en passer par là. Pour toutes ces raisons, ce n'est définitivement pas moi.

Nous : Êtes-vous d'accord avec Orson Scott Card lorsqu'il dit que seul les grands drames font les grandes histoires ? Aviez-vous besoin d'un monde aussi noir pour faire passer vos messages avec force ?
Octavia Butler : Je pense que oui. C'est la première fois que j'écris un livre ou le personnage doit sortir de sa situation pour aller forger son propre destin. Avant mes héros étaient forcés d'agir à cause du cours des évènements : un accident, un problème. L'héroïne de Semence de la Terre suit sa propre idée.

Nous : Pourquoi avoir mis 5 ans pour écrire la suite ?
Octavia Butler : A cause de la difficulté que j'ai éprouvé à l'écrire. J'aimais trop mon personnage. J'avais du mal à lui faire vivre des choses difficiles. J'ai beaucoup écrit sur la petite communauté qu'elle fonde. D'ailleurs, à un moment, j'ai été obligée de m'arrêter. Il fallait bien qu'il lui arrive quelque chose d'important. (rires).

Nous : C'était un encouragement ou une consécration de recevoir le prix Nébula 2000 pour La parabole des talents ?
Octavia Butler : En fait, je suis une romancière dans l'âme. Et jusqu'à présent, je n'avais reçu que des prix pour des nouvelles. J'avais été nommée pour La Parabole du Semeur, mais je n'avais pas gagné. Du coup, j'étais véritablement heureuse d'avoir gagné avec La Parabole des Talents. C'était un bel encouragement.

Nous : Qu'est-ce que vous aimeriez que le lecteur retienne de votre livre ? Le message ou l'histoire?
Octavia Butler : Si c'est l'histoire, c'est réconfortant pour mon boulot d'écrivain. Mais si ce sont les messages, je pense que c'est beaucoup plus utile.

Nous : Quels sont vos projets ? Allez-vous continuer les romans à messages ?
Octavia Butler : Je vais essayer dans mon prochain livre de mettre en scène les relations entre la Terre et les colons envoyés dans l'espace mais ne pouvant pas revenir. Ces derniers auront des difficultés à s'intégrer à des écosystèmes autres que celui de la Terre. Un peu comme s'ils avaient été transplantés. Je mettrais aussi en scène les rapports des explorateurs avec leur nouvel environnement.

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