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Interview de Fabien Cerutti
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Interview de Fabien Cerutti

Actusf : Bonjour Fabien, on va faire un peu de Jeu de Rôle ;) peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours professionnel, ainsi que du parcours qui t'a mené à l'écriture de ce premier roman ?
Fabien Cerutti : Toujours difficile de se présenter soi-même. Je suis agrégé d’histoire – sans doute la matière la plus intéressante à étudier – mais c’est évidemment loin de me définir réellement. Moins, sans doute, que ma passion pour tout ce qui touche aux jeux ou à l’imaginaire. Je suis tombé dedans aux alentours de mes 15 ans, moment auquel j’ai découvert pour la première fois, A.E. Van Vogt, d’une part, et J.R.R Tolkien, de l’autre… Depuis j’ai dû dévorer plus de 10.000livres et bande dessinées de toute sorte. Sans compter les multiples histoires que j’ai inventées par moi-même dans le cadre de jeux de rôle, papier ou informatiques. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui m’ont mené à l’écriture. Entre 2002 et 2007, j’ai réalisé 6 aventures pour un jeu de rôle informatique du nom de Neverwinter Night, aventures qui mettaient en scène un héros surnommé le Bâtard de Kosigan. Le mélange entre histoire réelle et médiévale fantastique à l’anglo-saxonne a tout de suite beaucoup plu, ainsi que les dialogues qui permettaient un nombre très important de choix et de possibilités. Toujours est-il que ce genre de production (qui sont de véritables œuvres en tant que telles dans la mesure où l’ont doit gérer à la fois le côté technique, le visuel, les décors, les costumes, la musique, les dialogues, les personnages), ce genre de production, donc, est malheureusement très éphémère. Et mon héros était voué à une mort à la fois regrettable et certaine. C’est pourquoi Edouard Chevais Deighton, scénariste de bande dessinée en devenir à l’époque (et joueur des aventures que j’avais créées), m’a encouragé à monter, moi aussi, un projet BD autour du Bâtard de Kosigan. L’idée ma immédiatement séduit et un an et demi plus tard, je signais un contrat avec un prestigieux éditeur : Soleil. Le seul problème est que le talentueux dessinateur polonais qui m’accompagnait pour l’occasion n’a dessiné que 10 planches en près de 2 ans… Et Soleil a finalement décidé de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le seul choix qui me restait était alors de prendre la plume et d’écrire un roman.

Actusf : Comment présenterais-tu ton roman, son intrigue (en deux temps) et ses personnages, en quelques phrases, à un futur lecteur ?
Fabien Cerutti : En fait, cela dépend du lecteur. À mon sens, beaucoup de gens peuvent trouver dans ce roman des choses qu’ils apprécient énormément, mais ce ne sera pas forcément les mêmes pour chacun d’entre eux. Tout ce que je peux dire c’est que j’ai écrit un livre comme moi-même j’aimerais bien en lire. Avec beaucoup d’action, mais pas trop, car il ne faut pas qu’elle noie le reste de l’histoire, avec des descriptions agréables, mais qui ne traîne pas en longueur, sinon on s’ennuie vite, avec du mystère et des manipulations, mais sans que le propos ne devienne confus, avec un peu d’érotisme, parce que ça fait partie de la vie, et surtout avec un rythme agréable qui permet une lecture fluide et qui donne envie progressivement d’en savoir de plus en plus. Des bons ingrédients, sains et naturels, auxquels j’ajoute des chapitres très courts (entre 2 et 10 pages en général) qui permettent même aux gens qui ont très peu de temps pour lire (dans les transports ou le soir avant de dormir) de suivre l’histoire facilement sans être obligé de s’arrêter à chaque fois en plein milieu de quelque chose. Quant à l’intrigue, difficile d’en parler sans trop en dire …Il s’agit en réalité d’un roman double, une sorte d’uchronie qui raconte, en parallèle, l’histoire d’un capitaine d’une compagnie de mercenaire d’élite au XIVe siècle, avec un passé trouble et des pouvoirs qu’il ne comprend pas lui-même, et qui a pour mission de s’emparer de la Champagne au profit d’un commanditaire secret… Et celle de l’un de ses lointains descendants, au tournant du XIXe et du XXe siècle, qui hérite de lui dans des circonstances mystérieuses, et qui va chercher à comprendre qui était réellement son énigmatique ancêtre. Une histoire qui monte peu à peu en puissance, mêlant espionnage, combat, magie, enquête et manipulation, avec, comme je le disais, un peu d’érotisme à l’intérieur, et qui fait des allers retours entre un XIVe siècle où la sorcellerie, les enchantements et les races anciennes existent encore…et une fin de XIXe dans laquelle ils se sont littéralement évaporés…

Actusf : Tu as créé un univers flamboyant et méticuleusement construit. Pour le plaisir, acceptes-tu de revenir sur les deux facettes de ton roman : La France de 1339 et celle de 1899 ?
Fabien Cerutti : La France de 1339 est à la veille de la guerre de Cent Ans et de la peste noire, c’est une époque rude de violence, de famine, où la plupart des gens ne dépassent guère les 35 ans. C’est aussi le moment où les sentiments nationaux (en France et en Angleterre notamment) se renforcent, et où la chevalerie est fermement installée. 1899, c’est la Belle époque, le progrès technique fascine, les villes se modernisent, l’art se démocratise et on s’intéresse de plus en plus à l’histoire et à l’archéologie. Les idées politiques ainsi que les idéologies modernes s’enracinent et se heurtent pour proposer à l’humanité des avenirs très différents. Et le christianisme, quoiqu’encore fortement ancré dans la société, et déjà très largement en recul.

Actusf : Le Moyen-Âge que tu mets en scène est subtilement différent du nôtre, histoire de mettre l'eau à la bouche de tes lecteurs, peux-tu nous présenter quelques-unes de ces différences, et la raison de leur existence ?
Fabien Cerutti : Pour ce qui est des différences, elles sont nombreuses : les races anciennes et la magie existent encore, mais elles sont depuis plusieurs siècles pourchassées par l’Eglise Catholique, qui a lancé contre elles, à plusieurs reprises, ce qu’on a appelé les Croisades Noires. La plupart des principautés elfiques ont été vaincues, et les esprits des bois repoussés jusque dans des réserves fermées, au fin fond des forêts les plus anciennes. Dragons, licornes et animaux du passé sont en voie d’extinction rapide, et chaque race qui disparaît enlève à la magie une partie des ingrédients dont elle a besoin pour ses enchantements et ses rituels, l’affaiblissant ainsi de plus en plus. Ceci mis à part, les évènements eux aussi, ne correspondent pas toujours à ce qui existe dans les livres de notre histoire officielle, à commencer par ceux tournant autour des rapports entre la Champagne, la Bourgogne et la France. Il y a évidemment une raison à cela, et même plusieurs et c’est l’un des objectifs principaux de la série que de chercher à les éclairer.

Actusf : Ton œuvre fusionne plusieurs genres : Fantasy, roman médiéval, roman initiatique, un léger côté uchronique, voire univers décalé, le tout sous fond d'intrigue politique (et historique), peux-tu éclairer notre lanterne sur la façon dont toi, écrivain, tu perçois ton roman ?
Fabien Cerutti : Je n’aime pas être prisonnier d’un seul genre, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire une histoire à la fois romanesque (d’où le côté Fantasy) et humaine (d’où le côté roman initiatique). Quelque chose de profond (d’où l’emprise historique) où tout est (plus ou moins) scientifiquement explicable (d’où l’aspect uchronie), et où les tenants et les aboutissants des manipulations se révèlent logiques et compréhensibles (d’où le fond d’intrigue politique). Au final, ma perception est donc assez proche de la vôtre : le roman ressemble au premier abord à une « simple » aventure de fantasy, mais en réalité, il mélange un grand nombre de genres différents.

Actusf : Tu as un très bon style, aussi bien dans les descriptions de scènes, de tournois médiévaux, de combats et autres. J'imagine que celui-ci ne t'es pas venu en deux jours ! ;) Comment, et en combien de temps, as-tu créé ton style d'écrivain ?
Fabien Cerutti : Je crois qu’on n’arrête jamais de construire son style et c’est très difficile d’écrire son premier roman. Pour peu qu’on ait une assez bonne maîtrise du français et qu’on ait beaucoup lu, on dispose pourtant de tous les instruments nécessaires pour faire quelque chose d’au moins convenable (vocabulaire, tournures de phrases, etc.). Le problème, c’est que tous ces ingrédients refusent de venir tous seuls à l’esprit, il faut aller les chercher, les triturer, réfléchir, retravailler, reconstruire, au risque d’en faire trop ici et pas assez ailleurs… Mais une chose est sûre : lorsque j’écris, je cherche avant tout à être clair et précis. Si, en même temps, je peux parfois y ajouter une pointe d’originalité, alors, je suis satisfait.

Actusf : Parle-nous également de ton quotidien d'écrivain : comment t'organises-tu, comment te viennent tes idées, et comment choisis-tu de les mettre en scène ?
Fabien Cerutti : Je n’ai pas d’organisation particulière : si je parviens à disposer d’au moins deux ou trois heures devant moi (il faut au moins ça, le temps de me plonger dans l’atmosphère exacte du passage sur lequel je travaille) et que j’en ressens l’envie, alors j’écris… Je n’ai pas de routine ou d’horaires fixes.
Pour ce qui est de la construction de l’histoire, je détermine d’abord mon point de départ et mon point d’arrivée. Ensuite, je laisse l’aventure se construire presque d’elle-même. Je pars d’une situation donnée et j’en suis la logique, selon les personnages, leur caractère, leur sensibilité, leur intelligence, leurs buts, je n’applique aucune « recette » d’écrivain. Je n’aime pas tellement ça, même si ça fonctionne, car cela se voit (je trouve) et ce n’est plus aussi naturel ni aussi agréable.

Actusf : Une fois ton manuscrit achevé, commence une autre quête : celle d'un éditeur, des corrections à apporter au manuscrit (styles, fautes, etc.), un moment de rencontre, de partage, de choix... Commence cela s'est-il passé pour toi ?
Fabien Cerutti : Par la Poste :-) ou Internet, la plupart du temps. Pour trouver l’éditeur. Selon ce que demandait chaque maison d’édition. Avec parfois des formats, ou des polices de caractère précises, qui pouvaient demander plusieurs heures de remise en page. Pour ce qui est de la rencontre, c’est d’abord André François Ruaud des Moutons électriques qui s’est intéressé à mon manuscrit et qui m’a donné un certain nombre de conseils de réécriture (en fonction notamment des spécificités de sa propre maison d’édition). Mais des contraintes d’ordre économique (à ce que j’ai compris) l’ont poussé à renoncer à m’accompagner plus avant dans le projet. Nathalie Weil, de Mnémos, a pris le relais et je dois dire que la collaboration a été étroite entre elle, moi et Coralie David, à la fois pour la finalisation de la couverture et les quelques retouches sur les répétitions du texte. C’était très agréable de voir mon avis pris en compte de manière équilibrée et objective et cela nous a permis (me semble-t-il) d’obtenir un livre fini dont nous pouvons tous être fiers.
 
Actusf : Je souhaite naturellement à ce très bon roman de trouver son public, et si c'est le cas comment vois-tu les choses pour la famille Kosigan ?
Fabien Cerutti : Cette première aventure n’est qu’un pied à l’étrier pour les Kosigan : ils vont se trouver impliqué dans des intrigues à grande échelle, pris à la gorge par des évènements qu’ils auront de plus en plus de mal à contrôler, forcés de prendre parti dans des luttes plus profondes entre les forces anciennes de la magie et le christianisme, tenaillés par leurs propres doutes et hésitations, trahis, pris aux tripes par les gens qu’ils aiment, obligés d’en sacrifier certains et amenés à découvrir les secrets les mieux gardés de l’histoire de l’humanité. Bref, il reste
encore un peu de travail… :-)

Actusf : As-tu d'autres projets en cours, ou à venir ?
Fabien Cerutti : Oui, mais je crains que cela n’intéresse pas grand monde :-). J’écris depuis longtemps de la poésie, mais là encore, je pense qu’il est important de croiser les genres pour amener un peu de fraîcheur. Pour moi ce style d’écriture ne doit pas se contenter de regarder son magnifique nombril en se berçant du simple son des mots et de la beauté des tournures, elle aussi, en ce début de XXIe siècle, se doit de raconter des histoires.
J’ai une autobiographie sur un ton un peu léger en cours de réalisation. Et surtout, j’aimerais bien proposer de la « poésie d’aventure », avec des histoires passionnantes, du suspense et des sentiments, pour des enfants d’une dizaine d’années. J’ai un livre de ce type qui est pratiquement fini, mais ce sera pour plus tard. Mon projet essentiel, si on me laisse faire, c’est pour l’instant de continuer les aventures des Kosigan, jusqu’à la fin précise que j’ai en tête.

Actusf : Existe-t-il un moyen de te suivre au quotidien ?
Fabien Cerutti : ‏J’ai un blog, en effet et je compte essayer de le tenir à jour...On peut d'ores et déjà y répondre à des petits sondages sur le Bâtard de Kosigan. Il y a aussi une page Facebook. Et un tweeter. Sinon, je suppose qu’il y aura également un certain suivi sur le site de Mnémos et via leur page Facebook.

Actusf : Le mot de la fin t'appartient ! ;)
Fabien Cerutti : ‏ Dans ce cas, merci à vous de m’avoir donné la parole, merci à tous ceux qui m’ont déjà lu jusqu’à présent, et merci par avance à tous ceux qui choisiront de me lire à l’avenir. :-)
Et pour le mot de la fin, j’aimerais en profiter pour évoquer brièvement un paradoxe extrêmement frustrant pour moi. De par mon métier je rencontre beaucoup de monde, particulièrement des jeunes. Le nombre de ceux qui ont envie de lire va à l’encontre des clichés véhiculés un peu partout, ils sont extrêmement nombreux. Et ce qui les attire, c’est justement les littératures de l’imaginaire (notamment le médiéval fantastique)…Ce sont des centaines de milliers, des millions de lecteurs potentiels… qui ne passe que rarement à l’acte parce que (à mon sens), on ne vient tout simplement pas les chercher…
Dans le cas de mon livre, je peux constater (par les nombreux retours très positifs qu’il suscite) qu’il est susceptible de correspondre aux goûts d’un public très nombreux… Mais je sais, en même temps, que l’immense majorité des gens n’en entendront tout simplement jamais parler. C’est dommage pour moi, mais aussi, d’une certaine manière, pour eux aussi. À mon sens, il faudrait une alliance à grande échelle des maisons d’éditions de l’imaginaire pour utiliser les médias les plus puissants pour faire des campagnes de communication/publicité commune à grande échelle…Télévision, Cinéma, pub sur les
bandeaux publicitaires de Facebook, affiches 4x3 bien placées, voilà les leviers qu’il faut réussir à utiliser… Non pas sur tel ou tel titre (pourquoi pas, mais c’est plus difficile), mais simplement sur le fait de venir acheter un livre fantastique ou de le commander par internet et sur le plaisir de le lire.
J’ai le sentiment que la littérature recule de plus en plus et se croit elle-même déjà vaincue avant même d’avoir livré la moindre bataille. Ce n’est plus sur la qualité ou le talent que l’on juge un média aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, c’est sur l’image et la communication. C’est là qu’il faut se battre, et pour cela, la littérature de l’imaginaire a de sacrés atouts à mettre en avant. Alors je le dis… Aux Armes ! Aux Armes ! Aux Armes !
 

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