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Interview de Jean-Marc Ligny
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Interview de Jean-Marc Ligny

ActuSF : Racontez-nous un peu l’idée d’Aqua. Comment est-elle née ? J’imagine que ça a un rapport avec le Aqua paru précédemment au Fleuve Noir...
Jean-Marc Ligny : En fait, ça a peu de rapport avec cet “Aqua”-la, qui n’existe plus, est mort et enterré et ne ressortira plus jamais. OK, l’idée de base est la même – une lutte féroce pour le contrôle d’une nappe phréatique, enjeu majeur des prochaines décennies à mon avis – mais cet “Aqua” du Fleuve n’était qu’une vague esquisse, juste le prétexte à un roman d’aventures, un premier aperçu très vague sur ce problème de l’eau qui nous pend au nez. Depuis, j’ai creusé le sujet, et ça a donné Aqua TM qui est un peu plus sérieux sur la question, tout en étant également un roman d’aventures, un conte fantastique et un thriller politique ! :-)
Le tout premier tour de roue de ce bouquin a été donné en été 2001, quand on s’est balladé aux Pays-Bas en Harley avec mon ami Thomas Bauduret. On a traversé l’Afsluitdijk, cette langue de terre de 30 km de long au milieu des flots gris (il ne faisait pas beau) et c’est là, en m’arrêtant au milieu, que j’ai eu cette vision terrifiante : si cette digue lâchait, ou sautait ? Je l’ignorais encore, mais je tenais là le début du prologue d’AquaTM… Ensuite, il y a eu trois nouvelles ayant pour thème le dérèglement climatique : La saison des amours parue dans Utopia 1 en novembre 99 (et incluse dans le prologue), Lettre à Élise parue dans le Monde Interactif en juillet 2001 – où j’introduis pour la première fois les notions d’enclave et de réco (réfugié écologique) – et L’ouragan parue dans Utopiæ 2002, où je mentionne également les récos. Ces nouvelles ont formé les premiers bourgeons de ma réflexion sur ce vaste sujet, que j’ai mûri durant plusieurs années !

ActuSF : Comment résumeriez-vous l’histoire à quelqu’un qui ne l’aurait pas lu ?
Jean-Marc Ligny : Euh ! Eh bien, je trouve que la 4e de couverture la résume très bien :-) On peut la lire sur mon site à l’adresse suivante : http://www.noosfere.net/Ligny/presentation-aqua.html. Si je devais appâter un lecteur potentiel avec ce livre, je pourrais lui dire, selon ses goûts, que c’est un roman de SF – ça se passe en 2030, le climat est gravement déréglé et la société également –, un roman d’aventures – nos deux héros, Laurie et Rudy, parviendront-ils à surmonter les dangers du désert pour livrer le matériel de forage à temps ? Sauveront-ils le Burkina des méchants prédateurs worldwide ? –, un thriller politique – comment les USA ont sombré dans la récession, le pouvoir des multinationales type Resourcing, l’ascension économique du bloc asiatique et surtout de la Chine, la lutte d’un pays pauvre et démuni de tout contre de puissants intérêts privés, l’extrémisme religieux et le rôle des sectes, le fascisme des Survival Commandos, etc –, un roman fantastique – les pouvoirs de médium du fils cloné de Fuller, la “sorcellerie” employée par Hadé pour lutter contre cette influence néfaste et l’initiation de son petit-fils Abou –, un roman social – les riches enclaves d’un côté, les récos entassés dans des camps immondes de l’autre – et même une belle histoire d’amour qui se déploie vers la fin… Je pense qu’Aqua TM est surtout un état du monde dans un futur proche. Une péripétie dans la grande lutte pour la survie que l’humanité va devoir affronter sur une planète de plus en plus hostile…

ActuSF : Il y a plusieurs lignes de narrations, le roman fait 700 pages, il vous a fallu longtemps pour l’écrire ?
Jean-Marc Ligny : Assez. En fait ça s’est produit en deux temps. Il y a eu la période 2001-2002 avec l’élaboration du scénario, les repérages en Hollande, les nouvelles citées plus haut, etc. Jusqu’en 2003, j’en ai écris environ la moitié, puis j’ai bloqué dessus suite à des problèmes personnels, un déménagement, un divorce, bref une période un peu chaotique de ma vie. Après quoi j’ai signé au Fleuve Noir pour Nemo avec Cothias, et mon temps a été consacré à l’écriture des trois premiers tomes, jusqu’à l’automne 2005. Quand l’aventure Nemo s’est terminée misérablement suite aux mensonges et fanfaronades de Cothias, j’ai repris Aqua TM au printemps 2006 et j’ai écris la seconde moitié entre mars et août… En tout ce bouquin m’a pris environ 3 ans, sans compter les deux années d’interruption consacrées à Nemo.

ActuSF : Est-ce exact de dire qu’il y a un tableau très noir de la situation mondiale mais également une petite lueur d’espoir ?
Jean-Marc Ligny : C’est un tableau très réaliste, qui sera peut-être même en deçà de la vérité en 2030. Certains des événements que j’ai imaginés dans Aqua TM sont déjà en train de se produire : la montée en puissance de la Chine, son implantation en Afrique, les guerres pour l’eau – notamment entre Israël et ses voisins, ou entre certains pays d’Afrique –, les entreprises qui font de l’écologie une ressource économique, et les “réfugiés écologiques” qui se comptent déjà par millions dans le monde… La lueur d’espoir que j’y ai apporté est essentiellement le déclin de l’Empire américain, prévisible et déjà en germe mais ça fait plaisir de le décrire, et bien sûr le fait qu’un petit pays sans ressources parvienne à tenir tête à un gros consortium worldwide. Ce cas de figure n’existe pratiquement pas dans la réalité, mais l’apanage du romancier est justement de pouvoir changer la réalité ! L’espoir, dans ce roman, est incarné par la volonté farouche des Burkinabés – et de leur présidente – à vouloir survivre coûte que coûte.

ActuSF : Qu’il y a-t-il de vous là dedans ? Peut-on en déduire que vous êtes pessimiste quant à l’avenir de la planète mais que vous croyez en l’humain ?
Jean-Marc Ligny : C’est plutôt le contraire : je suis pessimiste quant à l’avenir de l’humain mais je crois en la planète ! La Terre existe depuis 3,5 milliards d’années, elle a déjà subi plusieurs bouleversements climatiques majeurs, a vu s’éteindre des races aussi dominantes que les dinosaures, a même vu à une ou deux reprises la vie disparaître presque totalement… L’espèce humaine est une anecdote dans son histoire. Elle peut disparaître, ça n’empêchera pas la planète de tourner. Même si le climat devient impropre à la vie, il se stabilisera au cours des âges, et la vie renaîtra sur la Terre. Je m’inquiète davantage de l’avenir de l’homme, qui est en train de s’autodétruire. Mais bon, après avoir lu Le Monde enfin de Jean-Pierre Andrevon, je me dis que c’est peut-être une bonne chose… La planète se débarrasse de ses parasites. Ceci dit, dans Aqua TM, on n’en est pas encore là. Même si certains comme la Divine Légion ou l’asso Euthanasie Pour Tous prônent l’extinction de l’espèce (avec des variantes), globalement les personnages ne croient pas encore qu’ils sont condamnés à plus ou moins brève échéance.

ActuSF : Parlez-nous un peu de vos personnages. Y’en a-t-il un que vous préférez ? Peut-être Laurie et sa relative fraîcheur ou Rudy le désabusé pragmatique...
Jean-Marc Ligny : Je les aime tous, même les méchants ! Fuller fait pitié parfois, on lui trouverait presque des excuses. La présidente du Burkina, Fatimata Konaté, est une femme remarquable comme il en existe quelques unes en Afrique (ma source d’inspiration pour elle est Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali et apôtre du développement durable). Son fils Abou est touchant, Pamela, la femme de Fuller, me fait de la peine tellement elle est naïve et abrutie, quant à Junior, le fils cloné, il est inquiétant à souhait… Même Moses Callaghan, le leader allumé de la Divine Légion, m’a procuré du plaisir à l’imaginer. Non, Laurie et Rudy, même s’ils sont les “héros”, ne sont pas forcément mes préférés. Tous ont une place dans mon c¦ur.

ActuSF : Vous évoquez notamment La Divine Légion, une banche armée si l’on peut dire des extrémistes catholiques américains. Le fanatisme religieux, c’est quelque chose qui vous préoccupe particulièrement ?
Jean-Marc Ligny : Pas “particulièrement” – je n’en ai pas souffert personnellement – mais ça me préoccupe d’une façon générale, comme l’un des composants majeurs de la ruine de l’humanité. J’ai fustigé le fanatisme islamique dans Jihad, là je démolis le fanatisme chrétien, peut-être que dans un futur roman je m’attaquerai au fanatisme juif, dont l’attitude actuelle d’Israël donne un bon exemple. Ces trois religions sont un cancer pour l’humanité. Au cours de l’Histoire, elles ont provoqué plus de morts que toutes les guerres non-religieuses réunies. Là je m’avance un peu, je n’ai pas fait de compte global, mais ça ne m’étonnerait pas que j’aie raison. Le fanatisme, d’où qu’il vienne, mène forcément au fascisme, aux dictatures, aux génocides. Et de voir la crispation religieuse que prend une guerre issue d’un rapt économique – le contrôle des ressources pétrolières irakiennes – n’est pas fait pour me rassurer. Sur ce plan, Bush est aussi dangereux que Ben Laden.

ActuSF : Vous parlez également d’un certain abandon des pays pauvres d’Afrique comme le Burkina par les pays riches. Est-ce votre sentiment sur ce qu’il se passe aujourd’hui ?
Jean-Marc Ligny : Tout à fait. L’Afrique n’intéresse l’Occident qu’en tant que pourvoyeuse de ressources. Là où il n’y a rien, où ce n’est pas rentable, les Africains peuvent crever. L’opion des Occidentaux sur l’Afrique n’a pas changé depuis les colonies : le même racisme prédomine, sauf qu’il est plus hypocrite parce qu’il ne dit pas son nom. L’Occident prétend se soucier du sort des “pauvres” Africains en déléguant le problème sur le dos des ONG : voyez, on vous aime, on s’occupe de vous, on vous envoie des sacs de riz transgénique et du lait en poudre. L’Afrique doit vraiment se débarrasser de “l’aide” occidentale et se prendre en charge elle-même, inventer une économie et un mode de vie spécifiques. C’est un peu l’expérience que j’essaie de montrer dans Aqua TM…

ActuSF : Que représente ce livre pour vous ? Vu son ampleur et sa force, peut-on dire que c’est le plus abouti ?
Jean-Marc Ligny : Peut-être, en tout cas j’ai mis beaucoup de temps à le préparer et l’écrire, et il me tient très à c¦ur. Il fait partie de mon “peloton de tête” avec Jihad et La Mort Peut Danser. Dans ces trois livres, je me suis investi à fond, c’est aussi ceux pour lesquels j’ai fait le plus de recherches documentaires, ceux qui s’appuient le plus sur une réalité historique, ceux pour lesquels j’avais moins que tout autre le droit à l’erreur. Ils sont tous trois très aboutis dans leur genre. La taille finale d’Aqua TM m’a surpris, je ne pensais pas au départ écrire un livre aussi gros. Mais il y avait de quoi dire !…

ActuSF : Même si AquaTM n’appelle pas une suite, on pourrait imaginer qu’il y en ait une. Est-ce dans vos projets ? Retrouvera-t-on les personnages ?
Jean-Marc Ligny : Il n’y aura pas de “suite” à proprement parler, pas avec ces personnages en tout cas, mais j’ai dans l’idée d’écrire un autre roman sur les dérèglements climatiques, situé davantage dans l’avenir, à un moment où la Terre commence à devenir une planète vraiment hostile à la vie, où l’humanité réalise enfin que l’échéance de sa fin est proche, à l’échelle d’une génération peut-être. Comment réagiront les gens, quel sera l’état d’esprit d’une telle époque ? Il y a plusieurs réactions possibles, que je suis en train d’étudier. Ce bouquin s’intitulerait “L’effet Vénus” – il est facile d’imaginer ce que ça recouvre : sur Vénus, planète à effet de serre maximum, la température au sol atteint les 470°C, les vents soufflent à 500 km/h et la couche de nuages fait plusieurs kilomètres d’épaisseur…

ActuSF : Quels sont vos projets justement ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Jean-Marc Ligny : En ce moment j’écris le 4e tome de l’ex-”trilogie des Zapmen” parue entre 1996 et 1999 chez Hachette, dans la défunte collection Vertiges SF qu’animait Denis Guiot (qui s’occupe maintenant d’Autres Mondes chez Mango). Hachette m’a annoncé qu’ils voulaient rééditer cette trilogie au Livre de Poche SF, du coup j’en ai profité pour la revoir, apporter quelques corrections et changer les titres. Cette série s’appellera désormais “Les Guerriers du Réel” et les 4 premiers tomes sortiront au cours de l’année 2007. Selon le succès et mon inspiration, il en aura sûrement d’autres… J’ai également en projet un nouveau Poulpe – cette fois, il va se frotter au milieu gothique ! Denis Guiot attend également un roman pour sa collection, je dois aussi réécrire – et sérieusement augmenter – “La fille de l’abbaye” pour Nathan (un roman jeunesse donc). Hormis le Poulpe, j’ai plutôt du boulot en littérature jeunesse, domaine que j’avais un peu délaissé ces dernières années à cause de Nemo et d’Aqua TM.
Mon autre grand projet est de diriger, avec ma compagne Licorne, une série de romans sur le thème de l’Utopie, qui sortiraient chez La Volte à partir de 2008. Nous sommes en 2300, une partie de l’humanité a survécu (contre toute attente) et les survivants s’efforcent de construire un monde meilleur… Une dizaine d’auteurs ont accepté de participer à ce projet pour le moment. Un univers partagé “utopique” donc, où l’enjeu sera de faire en sorte que les choses aillent mieux. Bien sûr, ce monde ne sera pas parfait, sinon il n’y aurait pas d’histoire et une utopie “parfaite”, c’est un monde totalitaire !

ActuSF : Où en êtes-vous avec Les Chroniques des Nouveaux Mondes ? Avez-vous des projets sur ce cycle ?
Jean-Marc Ligny : Oui, pour le moment un projet de BD avec une dessinatrice, Violette Le Quéré, qui a déjà publié plusieurs BD scientifiques pour le compte de l’INRA. On travaille sur une histoire originale, et si on arrive à la publier, on pourra ensuite puiser dans les histoires déjà écrites… Parallèlement, je cherche un éditeur intéressé à développer cet univers, reprendre les nouvelles et les romans, et bien sûr continuer à l’étendre avec des inédits. Les Chroniques des Nouveaux Mondes, univers totalement déconnecté de la réalité d’aujourd’hui, est mon petit monde secret que je développe depuis le début des années 80, mon refuge dans l’optimisme et la poésie !

ActuSF : On évoque ici et là une situation difficile pour la SF en France. Quel est votre point de vue et quelle est votre situation en tant qu’auteur aujourd’hui ?
Jean-Marc Ligny : La situation est difficile pour la littérature en général, quand on n’est pas un auteur de best-sellers. Il y a de plus en plus de livres publiés, dont la rotation est de plus en plus rapide, et par ailleurs les gens lisent de moins en moins, du moins achètent moins de livres. Il n’y a que la littérature jeunesse qui est encore un marché en expansion, mais les éditeurs sont en train d’étouffer le secteur en l’inondant de fantasy – tout comme en littérature adulte, d’ailleurs. Je pense que ce flot de fantasy généré par le succès du Seigneur des Anneaux va se tarir, que les éditeurs chercheront frénétiquement un nouveau créneau où s’engouffrer. La SF aura alors toutes ses chances, car il devient de plus en plus évident que ce sera la littérature majeure du XXIe siècle. Les préjugés sur ce genre sont en train de tomber avec une nouvelles génération de lecteurs, jeunes, nourris aux mangas, aux BD et aux films de SF, et d’éditeurs qui ne considèrent plus la SF comme la cinquième roue du carrosse. Sans parler du phénomène de la micro-édition en ligne, qui va se développer, tout comme les labels indépendants se sont développés en musique, ont trouvé leur public et leur marché. Je suis donc relativement optimiste sur l’avenir de la SF… compte tenu de la crise globale de l’édition, qui fait qu’un auteur comme moi, donc l’écriture est la ressource principale, a quand même souvent du mal à joindre les deux bouts. Mais Aqua TM va devenir un best-seller, n’est-ce pas ? ;-)

 

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