Actusf : Vous avez écrit Le Travail du Furet en 1983. Racontez-nous un peu sa genèse. Comment vous est venue l'idée ?
Jean-Pierre Andrevon : J'avais d'abord écrit une nouvelle, destinée à une anthologie de jeune SF française contestataire initiée par Daniel Walther (Les soleils noirs d'Arcadie). Elle s'intitulait Salut Wolinski. C'était un hommage à un héros dont il publiait alors les aventures dans HARA KIRI : Georges le tueur (qui vient d'ailleurs d'être réédité). A l'époque (1975), je travaillais avec lui dans CHARLIE MENSUEL. Mais je sentais bien que je n'avais pas épuisé le thème. Alors, quelques années plus tard, je l'ai gonflé à la dimension d'un roman...
Actusf : Que vouliez vous faire ou dire avec ce roman ?
Jean-Pierre Andrevon : J'ai toujours considéré, en bon écologiste intégriste, que la surpopulation était la cause basique de tous les maux de la Terre. Eliminer un petit pourcentage d'être humains chaque jour me paraissait une solution au problème. Une solution littéraire, bien entendu, et pas du tout politiquement correcte.
Actusf : Il a indéniablement une place à part dans votre bibliographie et continue d'ailleurs à être réédité, quel regard portez vous dessus 20 ans après son écriture ?
Jean-Pierre Andrevon : Je ne suis pas sûr qu'il occupe une place vraiment à part. S'il s'agit d'humour noir, bien d'autres textes l'utilisent (Le dernier dimanche de monsieur le chancelier Hitler, par exemple). D'une recherche sur le langage ? Aussi, comme Gueule de rat. De toute façon, il est difficile pour un auteur de trier ce qu'il a fait. Les livres s'enchaînent les uns aux autres, avec des degrés différents de réussite, c'est certain. Il faut croire que Le travail du furet à l'intérieur du poulailler (pour reprendre son titre complet, que les éditeurs ont par la suite abandonné, ce que je regrette) fait partie de mes réussites, selon les lecteurs et les critiques. Ecrit entre 81 et 82, il a été publié en septembre ou octobre 83, à peu près en même temps que sortait ce que je considère toujours comme un des meilleurs films de SF : Blade Runner. Une coïncidence dans le temps et le style que j'apprécie !
Actusf : C'est une histoire très sombre, qui bouscule et qui interpelle le lecteur. Est-il encore possible d'écrire aujourd'hui de telles histoires en SF qui racontent mais qui aussi dénoncent certaines dérives de notre monde moderne ? Et les sujets qui vous préoccupaient il y a 20 ans sont-ils les mêmes aujourd'hui ?
Jean-Pierre Andrevon : Les temps, vous le savez comme moi, sont a l'heroic fantasy (en France) et plutôt aux gigantesque sagas spatiales aux USA. Ma SF a toujours été plus proche de la Terre et du présent. Et c'est vrai que j'y ai toujours injecté mes questions, mes certitudes, mes haines aussi. On m'a souvent reproché de faire de la "SF engagée". Comme si c'était une tare. Je réponds Le meilleur des mondes, Le talon de fer, 1984 et je laisse hurler les chacals (puants). Qu'est-ce qui a changé depuis 20 ans ? Ou 35, quand j'écrivais mes tous premiers textes ? Rien, sauf que c'est devenu pire et qu'il faut crier plus que jamais. J'ai eu l'occasion de rencontrer Arthur C. Clarke au Sri Lanka, il y a quelques années. Lors d'un débat public, je lui ai posé cette question : "Sir Arhtur, vous êtes plutôt considéré comme un chantre du progrés. Croyez-vous néanmoins que la situation est pire qu'il y a 20 ans?" Il m'a fait cette réponse : "Elle est pire qu'il y a deux ans".
Actusf : Parlons de la BD, comment est née l'idée d'adapter Le Travail du furet en Bande dessinée ?
Jean-Pierre Andrevon : J'ai tout simplement reçu une proposition d'Afif, qui sortait de l'école d'Angoulême et avait l'intention de faire de la BD. Il avait lu le Furet et désirait l'adapter. Il m'a montré des premiers croquis qu'il avait fait et que j'ai rejeté (il voulait traiter le récit en bande animalière, sans doute inspiré par Black Sad). On a commencé par faire quelques bandes courtes, tandis qu'il travaillait au Furet. Lorsque j'ai jugé qu'il était au point, on a cherché un éditeur, grâce à la méthode classique : envoi du synopsis et des 5 premières planches. Nous avons quelques refus (que je dénonce : Les Humanoïdes Associés, Delcourt), avant de signer chez Soleil...
Actusf : Comment avez-vous travaillé ensemble avec Khaled ? L'avez-vous guidé pour ses dessins ?
Jean-Pierre Andrevon : Ce n'est pas ma première BD comme scénariste : j'ai fait trois album avec Pichard (Edouard et Ceux-là en deux tomes), aux temps heureux de CHARLIE MENSUEL, et deux albums avec Véronik, chez Glénat (Matricule 45000 et Neurones trafic). Plus quelques autres courts. Ma méthode est toujours la même : comme je dessine moi-même, je fais une mise en page rapide, au stylo feutre, avec même des indications de couleur. Bien entendu, le dessinateur interprête mes roughs comme il l'entend. Et je tape le dialogue sur des feuilles séparés.
Actusf : Etait-ce difficile de scénariser votre propre histoire pour en faire une BD ?
Jean-Pierre Andrevon : De moi-même, est-ce que j'aurais décidé d'adapter Le Furet ? Je ne pense pas, étant donné que c'est très statique comme intrigue, et que tout repose sur le vocabulaire. Mais une fois mis au pied du mur par Afif, je m'y suis replongé, et j'ai refait un découpage plus synthétique, qui va se développer en trois albums. Mais il est certain que si je n'étais pas tombé sur un graphiste de sa valeur, j'aurais hésité...
Actusf : Et quel regard avez vous sur cette expérience de scénariste ? Cela vous a-t-il donné envie de continuer en BD ?
Jean-Pierre Andrevon : On va d'abord terminer la série. Ensuite, étant donné qu'Afif est très désireux de prolonger le mariage, on a d'autres projets. Une bande style mondes perdu et dinosaures (en fait, une histoire imaginée pour un roman que je n'ai jamais écrit), et une autre située dans le Londres victorien, avec le Dct Jeckyll et Mister Hyde, Dorian Gray, Jack l'Eventreur, etc (je précise que j'ai eu cette idée avant la sortie de La ligue des Gentlemen extraordnaires et de Van Helsing !). Et si je rencontrais un autre dessinateur désireux de travailler avec moi, je répondrais sûrement présent !
Actusf : Comment trouvez-vous l'objet ?
Jean-Pierre Andrevon : L'album est magnifique, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire ! Il faut dire qu'Afif a beaucoup travaillé et que je l'ai beaucoup emmerdé...
Actusf : Vous venez de signer l'excellent Zombies, un horizon de cendres aux éditions du Bélial. Sur quoi travaillez vous en ce moment ?
Jean-Pierre Andrevon : J'ai récemment terminé un gros cycle sur une fin du monde "douce" (une pandémie mondiale style grippe aviaire en plus grave), constitué d'une douzaine de textes qui décrivent l'événement sur une cinquantaine d'années, à travers des personnages qui apparaissent ou disparaissent, vieillissent, meurent. Son titre : Le monde enfin, parce que je suis parti d'une longue nouvelle déjà titrée ainsi et publiée en... 1975 dans un recueil. Vous voyez que je suis un obstiné, que je reviens sans cesse sur des récits plus anciens et mes préoccupations premières. Et puis je suis en train de " dessiner" le découpage du second album, qui sera titré Le Furet et la colombe.
Festival