- le  
Interview de Laurent Gidon
Commenter

Interview de Laurent Gidon

      Actusf : Comment est née l’idée de Contrepoint ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire cette anthologie ?
Laurent Gidon : Dans une table ronde à Épinal, j'ai été confronté à des auteurs qui justifiaient leur approche narrative très dure par le fait qu'ils représentaient le monde et l'homme tels qu'ils sont. Quand j'ai osé dire que tout n'était pas aussi noir et qu'on pourrait peut-être écrire des histoires autrement, un des auteurs participant m'a toisé avec mépris et a lâché : "Ce sera forcément chiant !" C'est ce qui m'a interpelé. Forcément chiant ? Pour moi, c'est plus une question de talent que de violence ou de noirceur. En affirmant que ce serait chiant, cet auteur reconnaissait seulement qu'il n'avait pas assez confiance en son talent pour écrire une histoire sans s'appuyer sur les ressorts du thriller. Personnellement, je n'étais pas sûr d'y arriver non plus, mais heureusement, j'ai croisé d'autres écriveuses et écriveurs qui n'avaient pas cette crainte.
 
 
Actusf : Comment as-tu sélectionné les auteurs ? Et quelles étaient leurs contraintes ?
Laurent Gidon : Uniquement par affinité, en les rencontrant sur des salons. Chaque fois que je croisais quelqu'un avec qui parler de cette approche narrative, on en discutait. Et finalement, je me suis aperçu que tous les auteurs français, belges, suisses ou québécois que j'ai eu la chance de rencontrer étaient partants pour au moins essayer. La contrainte était simple : écrire une histoire relevant de l'imaginaire au sens large, sans utiliser de conflit, de menace ou de compétition comme ressort narratif. Le nom de code était "antho bisounours". Et ça ne leur a même pas fait peur…
Après, je n'ai pas eu à sélectionner : l'agenda s'en est chargé. Certains étaient vraiment trop pris, et je regrette encore le texte que voulait écrire un duo franco-suisse de haute tenue. Et puis la contrainte de taille aussi, puisque j'avais demandé des textes courts. Une auteure m'a d'ailleurs récemment envoyé le superbe texte qu'elle avait écrit pour Contrepoint, mais que je n'ai pas pu insérer parce qu’achevé trop tard, et surtout trois fois plus long que la limite proposée. Comme quoi, il y a moyen d'inventer un imaginaire débarrassé des techniques du thriller sans lasser le lecteur sur la durée.
 
 
Actusf : As-tu eu des surprises dans la manière dont les auteurs ont traité le sujet ? On a des thématiques très différentes avec des histoires d’amour, des découvertes étranges sur des planètes lointaines, des choix de sociétés, des mourants au seuil du trépas...
Laurent Gidon : En fait je ne m'attendais à rien et j'ai été surpris par chaque texte. Même ceux qui sont dans la veine typique de leur auteur, comme Thomas Day ou Thimothée Rey, et qui m'ont magistralement soufflé. J'ai l'impression que chacun a profité de l'exercice pour livrer quelque chose... peut-être pas de plus personnel, mais en tout cas de moins calculé. Comme si, libéré des poncifs d'efficacité narrative, un auteur s'aventurait sur des terres inconnues de lui.
 
 
Actusf : As-tu dû beaucoup retravailler avec les auteurs ? Est-ce que ça a été difficile pour eux d’écrire des histoires sans violence ?
Laurent Gidon : Je ne sais pas s'ils ont eu du mal, mais les textes que j'ai reçus étaient tous pratiquement bons à imprimer. C'est l'avantage de s'adresser à des auteurs confirmés : ils savent traduire leur pensée ou leurs rêves par leur écriture, ou au moins travailler leur texte jusqu'à ce qu'il corresponde à ce qu'ils voulaient transmettre. Mais cela n'efface pas les doutes. L'un d'eux était sûr que son histoire serait rejetée. Un autre m'a écrit trois textes différents sans être content de lui. La seule difficulté a été de synchroniser, tout le monde n'étant pas disponible au même moment. J'en profite pour saluer le travail de ceux qui osent des anthologies plus volumineuses et jonglent avec parfois plus de vingt auteurs : chapeau ! 
 
 
Actusf : Est-ce qu’on peut dire que c’est une anthologie de la sérénité ? Plus peut-être que du bonheur ?
Laurent Gidon : Difficile à dire, je n'ai plus le recul nécessaire pour juger de l'effet que procure sa lecture. Mais c'est une question très intéressante qu'il faudra poser au lecteur : que ressent-il en passant d'un texte à l'autre ? Cherche-t-il comment la contrainte a été respectée, ou s'abandonne-t-il à l'imaginaire de l'auteur ? Si on nous dit "c'est agréable à lire, il y a des textes intéressants" sans faire référence à la contrainte, je crois que nous aurons réussi notre pari. Car il n'est pas de promouvoir le bonheur ou de stigmatiser les narrations dures, mais plutôt d'apporter un contrepoint (tiens ? bon titre) à la mélodie principale que joue le grand orchestre de l'imaginaire. Et je grandiloque quand je veux !
 
 
Actusf : Quel bilan tires-tu de cette anthologie ? Quel regard sur cette aventure qui était ta première en tant qu’anthologiste ?
Laurent Gidon : Si je n'ai qu'une impression à conserver, c'est que les auteurs sont géniaux. Ils ont envie d'écrire, ils ont un imaginaire d'une richesse inouïe, ils ont des choses à dire et maîtrisent la technique pour faire passer leur message ou simplement leur musique personnelle. D'une certaine façon, ce sont des héros de romans d'aventure. Ils ne se posent pas de questions sur ce qu'il faudrait faire ou sur leur capacité à y arriver : ils font, ils écrivent, et quoi qu'il arrive, ils vont au bout ! Chacun a sa façon, certes, mais ils partagent tous cette qualité que je trouve héroïque et qui les pousse à faire toujours mieux ce pour quoi ils sont déjà très bons.
 
 
Actusf : Parlons de tes projets en tant qu’auteur. Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Laurent Gidon : Deux romans, un de littérature générale écrit à la main, et l'autre de prospective immédiate, écrit au clavier, et dont le pitch est à tomber par terre : demain, il y a des extraterrestres qui arrivent sur Terre ! Comme tu vois, le syndrome Blaguàparts ne m'a pas complètement quitté.
 
 
Actusf : Tu as fait deux expériences de mises en ligne par feuilleton d’Aria des Brumes et L'Abri des regards. Quel bilan en tires-tu ? Est-ce que cette expérience directe avec les lecteurs a été positive ?
Laurent Gidon : Les deux expériences ont eu des résultats diamétralement opposés. L'Abri des regards, proche de l'autofiction, a résonné très fort chez beaucoup de lecteurs. Le thème (dépression et suicide) comme la forme (flux de pensée) ouvrait une sorte de porte dans laquelle chacun pouvait s'engouffrer, avec ses propres sentiments ou angoisses. Il y a eu des débats techniques sur le site de mise en ligne, j'ai reçu des témoignages très touchants de personnes inconnues qui m'exprimaient ce que cette lecture avait débloqué chez eux. Plus d'un an après, la fréquentation reste élevée. Aria des Brumes au contraire est passé totalement inaperçu, alors que j'avais prévenu plus de monde de cette mise en ligne. Une grosse dizaine de lecteurs l'a suivi, sans faire le moindre commentaire. C'est sans doute lié à la qualité du texte, même retravaillé, à son genre SF qui touche peu de monde, mais aussi au caractère très individuel de l'expérience qu'apporte ce type de lecture. Ce qui compte, ce sont les personnages et leur histoire. On ne se sent pas forcément intéressé à poursuivre la relation avec l'auteur, ou à partager avec d'autres. Je ne regrette pas : j'avais envie de voir, j'ai vu. 

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?