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Interview de Laurent Gidon
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Interview de Laurent Gidon

ActuSF : D'où vous est venu cet attrait pour l'écriture ?
Laurent Gidon : D'abord de l'envie de raconter des histoires. Elle m'est venue assez tard, mais ne s'est pas tarie depuis. D'une certaine facilité d'écriture aussi, adossée à une longue pratique professionnelle : un rédacteur publicitaire doit apprendre à s'oublier pour se couler dans les exigences du client… ou mourir. J'ai survécu.

ActuSF : Comment en êtes-vous venu à nos genres de prédilection ?
Laurent Gidon : Par goût de lecteur. Je suis tombé dedans assez jeune avec Dune, et je n'ai quasiment lu que de la SF pendant une dizaine d'années, à une époque où je voyageais beaucoup en train. Je ne remercierai jamais assez la collection Ailleurs et Demain pour ses couvertures métallisées qui me permettaient de reconnaître de loin mon rayon préféré dans n'importe quelle bibliothèque de France. Après une longue désaffection (le temps de grandir un peu diront certains), j'y suis revenu, en suivant La Horde du contrevent. Le premier texte que j'ai écrit - et qui a été publié aux côtés d'un certain Karim Berrouka - concourait en littérature générale, mais j'ai très vite mélangé les genres. En fait, je ne me pose pas la question a priori : cela dépend de ce que je m'autorise en cours d'écriture, et une fois le texte fini je me dis " tiens, c'est plutôt fantasy ".

ActuSF :
Djeeb le Chanceur est votre premier roman adulte. Pouvez-vous nous en retracer la genèse éditoriale, à l'heure où il est difficile de se voir publié dans une maison relativement en vue comme Mnémos ?
Laurent Gidon : Un vrai conte de fées. Je venais de finir l'écriture et j'avais mis des extraits du texte sur un blog, ainsi que des liens sur le forum ActuSF. Célia Chazel de Mnémos a réagi très vite : elle est allée voir et m'a demandé le manuscrit complet par MP le jour même. C'était en octobre 2008, je crois.
En parallèle, je l'avais envoyé à trois éditeurs. Deux l'ont trouvé intéressant, mais pas adapté à leurs collections, et m'ont demandé s'ils pouvaient le présenter ailleurs.
C'est à ce moment - janvier 2009 - que Célia m'a dit qu'elle le prenait chez Mnémos.
Je pense avoir eu beaucoup de chance, et un petit coup de pouce de la part d'ActuSF qui avait repris mes extraits sur le fil info du site (je me souviens du titre, " Le nouveau Don Lorenjy en lecture libre ", j'en avais fait des loopings devant mon écran).

ActuSF :
Comment vous est venue l'idée de Djeeb ? Tant du point de vue de l'histoire, que du parti pris de narration (aspect burlesque et picaresque, style riche).
Laurent Gidon : Il n'y a pas eu qu'un seul élément déclencheur ; je pourrais en citer plusieurs en vrac.
L'envie de me faire plaisir en laissant courir la plume (c'est une image, aucune oie n'a été molestée pendant la rédaction directe au clavier), alors que je patinais sur un projet peut-être trop lourd pour moi et qui n'a d'ailleurs pas avancé depuis.
Une sorte de défi personnel aussi : placer un personnage dans une situation et un univers qui se construirait au fil de l'écriture, en me reposant uniquement sur ma capacité à imaginer la suite au jour le jour.
Un détail m'a occupé l'esprit dès le début : l'idée d'un personnage tellement épris du beau geste qu'il signerait sa propre condamnation à mort, par bravade, panache ou goût de l'harmonie. J'avais cet élément en point de mire, je me suis débrouillé pour y arriver.
Il ne faut pas négliger l'opportunité matérielle offerte par des vacances dans une grande maison de famille où j'avais un endroit tranquille pour écrire et peu d'obligations (je remercie tout le monde là-bas, pour avoir eu la patience d'attendre mes 15 000 caractères quotidiens avant de me demander quoi que ce soit).
Et surtout, il y a eu le désir fou de faire plaisir à Timothée Rey qui avait regretté un certain manque d'exotisme dans Aria des Brumes. Là, j'y suis allé à fond, je ne me suis rien refusé, il fallait que ça brille à chaque page. Puérile, non ?

ActuSF :
Vous êtes plus connu sous nos latitudes SFF sous le pseudonyme Don Lorenjy. Pourquoi avoir choisi d'utiliser votre véritable patronyme pour ce roman ? Est-ce pour démarquer le romancier adulte du romancier jeunesse, ou le nouvelliste du romancier ? Ou est-ce totalement indépendant de cette considération ?
Laurent Gidon : J'ai bien peur qu'il n'y ait pas de réponse sensée à cette question, à part peut-être la dernière.
Je m'en remets entièrement aux éditeurs pour choisir la bonne signature. Quand il en a été question avec Célia, elle a préféré Laurent Gidon. Comme c'est mon nom, ça m'allait bien.
Mais Don Lo existe toujours. Il n'est pas typé jeunesse pour moi, d'autant que je n'avais pas écrit Aria des Brumes pour les ados, mais pour mon épouse (Chérie, je t'aime, mais tu n'as plus quinze ans…). Je continue à le convoquer pour ce qui me semble être plutôt SF, comme le texte qui va paraître dans le prochain Bifrost… pas du tout jeunesse. Cela m'échappe un peu et reste quand même assez flou.

Une des particularités notables de Djeeb le Chanceur - et Aria des Brumes -, c'est le soin apporté au style. Apportez-vous toujours autant de soin à la forme, ou est-ce une forme d'expérimentation liée aux besoins du roman ?
Laurent Gidon : Oh, il m'arrive de faire bien pire en format court. Je prends chaque nouvelle comme l'opportunité de tester un style ou un parti pris vraiment radical. Une fois que je sais, en gros, ce qui va se passer, c'est la façon de le raconter qui me passionne, tout en sachant que si je rate mon coup je ne vais pas ennuyer le lecteur trop longtemps.
En ce qui concerne Djeeb, c'était vraiment lié au personnage : pour rendre les aventures d'un gars qui a du panache, il fallait que l'écriture " sonne "… quitte à en faire parfois trop. Je salue d'ailleurs le courage de Célia qui, bien que n'appréciant pas trop ce style en tant que lectrice, m'a laissé charger le texte.
Lors de dédicaces, il m'arrive de proposer à un client hésitant de lui en lire un passage : en général, il repart avec le livre. Peut-être que je lis bien…

ActuSF :
Par son côté picaresque et son personnage principal, Djeeb rappelle l'œuvre vancienne, notamment Cugel, et il me semble que cela n'a rien de fortuit… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Laurent Gidon : C'est bien simple, je me souviens avoir commencé à l'écrire en me disant : " Si j'étais Jack Vance, comment est-ce que je m'y prendrais pour raconter toute une histoire à partir de rien ? " Ma modestie me tuera !
Sans avoir tout lu de Vance, j'y ai puisé certains de mes plus grands plaisirs de lecture. Plaisirs bruts, sans justification intellectuelle ou morale. Et c'était ce que j'avais envie de m'offrir en tant qu'écriveur. J'ai donc repris le principe de ses planet operas en imaginant les conditions matérielles et sociales d'un lieu, avant d'y jeter un personnage extérieur qui joue le rôle de révélateur.
Après, chacun constatera que je ne suis pas Jack Vance. Mais quitte à se choisir une figure tutélaire, autant qu'elle ait de la gueule !

ActuSF :
Tant qu'on parle de Jack Vance, y a-t-il d'autres auteurs qui furent des références pour vous ? Auteurs ou musiciens, d'ailleurs - la musique, le spectacle sont présents dans Djeeb.
Laurent Gidon : Il va falloir choisir. Certainement Arthur C. Clarke, pour sa capacité à proposer des histoires de pure SF sans les ressorts violents du thriller (je pense à 2001 ou à Rama). Barjavel m'a beaucoup ému. John Brunner m'a collé une sacrée claque avec Tous à Zanzibar, tant pour le fond que pour la forme. John Irving me sidère par sa façon de faire entrer toute l'humanité dans chacun de ses romans sans pourtant se répéter. J'aime Tony Hillerman pour sa musique personnelle, sans avoir bien compris comment il s'y prend pour m'emmener dans son monde dès le premier paragraphe.
Et si je devais dédier Djeeb à quelqu'un d'autre qu'Hélène Ramdani, ce serait sans hésiter à Freddie Mercury : assez de talent et de technique pour se permettre toutes les esbroufes, quitte à faire grincer les tauliers du bon goût ! J'aime bien l'opéra, aussi.

ActuSF :
La violence, les combats sont moins présents dans Djeeb que dans d'autres romans de Fantasy ; de plus, les rares scènes de combat sont particulièrement brèves. Est-ce lié aux besoins du roman, ou considérez-vous dans une optique plus globale que la fantasy ne doit pas se résumer à un immense champ de bataille ?
Laurent Gidon : C'est plus personnel que ça : je n'aime plus la violence, dans la réalité bien sûr, mais aussi dans la fiction. Presque un écœurement : je ne suis pas sûr de pouvoir relire la trilogie de Lyonesse avec le même plaisir que la première fois. J'ai d'ailleurs tenté de prendre parti pour une SF plus positive, qui donnerait des pistes pour mieux vivre ensemble plutôt que des modes d'emploi de fin du monde. Ça n'a pas pris. Ou pas encore. Problème de définition sans doute.
J'évite donc les scènes violentes " juste pour faire beau ou relancer l'intérêt ". Ayant un peu d'expérience dans quelques formes de combat, j'ai constaté que les engagements réels sont souvent très courts, au moins pour leur partie active. Je peux donc revendiquer un certain réalisme tout en respectant mes convictions.
Bien sûr, je ne parle pas des batailles rangées. Et je me garderais bien d'émettre une considération sur la fantasy en général, qui ne s'en portera pas plus mal. Je me débrouille simplement pour ne pas avoir à décrire de tueries dans mes histoires - l'avantage d'être maître chez soi.
C'est d'ailleurs une sorte de point commun entre Aria des Brumes et Djeeb le Chanceur : la violence n'est jamais la première réponse des personnages ; il leur arrive de la subir, d'y céder ou de s'y résoudre, mais cela n'arrange rien et ce n'est jamais neutre psychologiquement.

ActuSF :
Quels sont vos projets en cours et à venir ? Comptez-vous remettre le couvert dans l'univers de Djeeb à court ou moyen terme ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Il semble qu'Ambeliane puisse être le théâtre d'un deuxième tome…
Laurent Gidon : Holà ! gros spoiler en fin de question. Effectivement, j'aimerais bien reprendre le personnage de Djeeb pour d'autres aventures. En fait, j'en ai même commencé trois, à différentes époques de la vie du personnage. Et je me demande actuellement laquelle je dois finaliser d'abord : revenir sur sa jeunesse, le reprendre immédiatement après Ambeliane ou aller plus loin dans son futur. L'idée étant de ne pas imposer une suite à d'éventuels lecteurs, mais bien des épisodes indépendants lisibles sans ordre. On y trouvera en chemin l'explication de ce qui peut passer pour des anachronismes bizarres dans le premier.
Comme projet abouti, il y a Air de la Terre, titre temporaire de la suite de Aria des Brumes, qui hélas ne paraîtra pas au Navire mais que j'aime bien, et toujours un recueil en attente chez un petit éditeur qui monte. Mais surtout, on m'a sollicité pour des nouvelles dans plusieurs anthologies. Alléluia !

Et merci pour ces questions qui m'ont permis une introspection salutaire. Je vous dois combien pour la séance ?

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