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Interview de Rachel Tanner
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Interview de Rachel Tanner

Actusf : Comment avez-vous découvert la science-fiction et/ou la fantasy ? Y'a-t-il un ouvrage ou un auteur qui vous ait marqué ?
Rachel Tanner : Complètement par hasard. Etant une lectrice boulimique, je dévore tout ce qui me tombe sous la main. Un jour - j'avais alors une vingtaine d'années, un collègue m'a prêté Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes, que j'ai lu d'un trait. Ce fut une découverte. Presque un choc. Non seulement à cause du sujet, qui me touchait particulièrement, mais par cette façon directe d'aller au cœur des choses. Des auteurs qui m'ont marquée, il y en a. Frank Herbert, bien sûr, (j'allais dire inévitablement) dont l'univers reste à mes yeux le plus cohérent et le plus abouti des univers de S.F. Ce qu'il écrit me paraît plus vrai que tous les romans pseudo-réalistes. En fait, peu importe que les gens aient la peau verte, six pattes et trois antennes, l'important c'est la cohérence interne du récit. Sur ce point, Herbert est un ( grand ) maître. Parmi les maîtres, je place Orson Scott Card (La voix des mort, quelle merveille !) et Dan Simmons (là, rien à jeter ! ). J'apprécie également beaucoup Vance, Zelazny, Tanith Lee, Loïs Bujold, George R.R Martin…

Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ?
Rachel Tanner : L'envie d'écrire, je l'ai toujours eu. Seulement je n'osais pas. Quand on lit Herbert, Card ou Simmons (mes idoles, vous vous rappelez ?), on se sent petit, petit, petit. Jamais je ne ferais aussi bien, alors à quoi bon écrire pour produire de la médiocrité ? La psychanalyse m'a permis de réaliser, entre autres choses, que mon désir profond c'était l'écriture. Ensuite…eh bien, vouloir c'est pouvoir, n'est-ce pas ?

Actusf : Comment est né l'idée de L'empreinte des dieux ?
Rachel Tanner : Ce n'est pas une mais plusieurs idées qui se sont penchées sur le berceau de L'empreinte des dieux. Au départ, je voulais écrire une histoire merveilleuse, une sorte de conte de fées pour adultes avec tous les ingrédients du genre. Le résultat ? Une novella d'une soixantaine de pages, plutôt poétique et romantique à souhait. Cela ne suffisait pas à faire un livre. Il fallait un arrière-plan qui soit autre chose qu'un décor de carton pâte, un arrière-plan cohérent qui ne s'effondre pas dès qu'on y regarde de près. Après tout, je suis historienne. Au boulot ! Des dieux, des empires, des passions humaines…Seigneur ! si j'avais réalisé à quel point mon projet était ambitieux, je ne suis pas certaine que j'aurais eu le courage de me lancer.

Actusf : Ce livre se déroule en 1533 après la fondation de Rome, on vous sait passionnée par cette période. Pourquoi ?
Rachel Tanner : Je suis passionnée par cette époque…et bien d'autres. Le huitième siècle de notre ère est une époque charnière sur laquelle nous avons très peu de documents et donc sur laquelle on a très peu écrit. Pas mal comme début, hein ? Le VIII siècle : imaginez un trou noir, le trou béant de l'ignorance et de la barbarie après l'effondrement de l'Empire romain trois siècles plus tôt. Il est vrai que certaines structures de l'Empire ont survécu à cet effondrement mais elles ne vont pas tarder à se dissoudre totalement dans ce nouveau monde qu'est le Moyen-Age. Certains historiens, dont Henri Pirenne, estime que le véritable Moyen-Age débute au huitième siècle, lorsque le jeune Empire musulman ferme les échanges avec les rives sud de la Méditerranée.
Et si l'Empire romain ne s'était pas effondré ? Avisé lecteur, vous reconnaissez les prémices d'une uchronie. Et si…

Actusf : Comment présenteriez-vous votre livre à quelqu'un qui ne l'aurait pas encore lu ?
Rachel Tanner : Si mon futur lecteur est amateur de S.F, je peux prononcer le mot uchronie sans qu'il ouvre de grands yeux. Sinon, je me contente d'explications tâtonnantes : histoire, fantasy (" Qu'ésa ko ? " " Un peu comme Tolkien, tu vois ? ! Enfin non, pas Tolkien, un genre de.. "). L'empreinte des dieux ? Avant tout un roman qui raconte une ou des histoires. Rien ne m'ennuie davantage que ces romans à thèse froids et démonstratifs ou, pire !, ces ouvrages typiquement français où le héros se gratte le nombril en geignant du début à la fin, le tout dans un monde de pensée (de non-pensée) très politiquement correctes. Je ne voudrais surtout pas infliger ce pensum à mes lecteurs. J'essaie d'écrire ce que j'aime lire : de la vie, des aventures, des émotions, des gens. Cela ne m'empêche pas d'avoir quelques idées de fond sur le pouvoir, la fragilité des sociétés humaines (y compris celles qui paraissent le mieux assurées), la relativité de la norme, les rapports de force, la difficile communication entre hommes et femmes, le fanatisme religieux…Mais je souhaite d'abord, avant tout, que mes lecteurs passent un moment agréable.

Actusf : Avez-vous eu besoin de beaucoup de documentation et comment avez-vous travaillé ?
Rachel Tanner : Par formation et par goût personnel, je lis énormément, de tout : S.F, polars, romans, journaux, revues scientifiques, livres d'histoire, de sociologie, d'éthologie, de psychanalyse, de biologie…et les savoirs se sont accumulés au fil des ans. Ma première base de données, c'est mon cerveau. Pour L'empreinte des dieux je me suis appuyée plus particulièrement sur deux ouvrages de base : Histoire de la vie privée, t 1, De l'Empire romain à l'an mil (Seuil) et Mithra et le mithriacisme de Robert Turcan (Belles lettres).

Actusf : Pourriez-vous nous décrire un peu cette religion de Mithra qui supplante le christianisme dans votre roman ?
Rachel Tanner : Là, cher lecteur, je vous renvoie à Robert Turcan, the spécialiste sur la question. Point fondamental, la religion de Mithra dans l'Empire romain est un culte à mystères. Comme son nom l'indique, un tel culte interdit à ses adeptes d'en dévoiler les secrets. Tous ces cultes (Isis, Cybèle, Déméter, Atis…) sont liés à la croyance d'une deuxième vie dans l'au-delà. Mais la religion de Mithra n'est pas un culte à mystères comme les autres : ici, pas de dieu, de déesse ou de mortel mort et ressuscité. La seule créature sacrifiée est un taureau et ce sacrifice fonde le salut du monde. C'est Mithra, jeune dieu triomphant, né miraculeusement non pas d'une vierge mais d'une roche, qui accomplit ce geste salvateur. Le message de cette religion est donc résolument optimiste : le monde est déjà sauvé.
Il existe entre le mithriacisme et le christianisme certaines ressemblances troublantes, en particulier la Cène et la fête du 25 décembre, naissance de Mithra. Certains chrétiens ne se sont pas privés d'accuser les mithriastes de caricaturer leur religion. Cette accusation ne tient guère lorsqu'on se souvient que Mithra est beaucoup plus vieux que le Christ, même si le culte sous sa forme gréco-romaine n'étais pas définitivement fixé au premier siècle avant J.C.

Actusf : Qu'est-ce qui du point de vue historique fait penser que cette religion aurait pu dominer comme vous l'envisagez dans votre roman ?
Rachel Tanner : Au III siècle de notre ère, il y a au moins 40 Mithraea à Rome, mais les historiens en conjecturent au total une centaine. A Ostie, on en a identifié 17, mais l'agglomération n'est pas entièrement dégagée. Dans les Germanies, on compte une trentaine de Mithraea, dans les provinces danubiennes une cinquantaine ; et les trouvailles autorisent à doubler ce chiffre. La diffusion du culte persique se manifeste en Asie mineure (Pont, Cappadoce, Phrygie, Mésie, Lydie, Cilicie…), en Gaule, en Bretagne, de part et d'autre du Rhin, en Thrace, en Dalmatie, en Afrique Mineure (Maghreb ), sans parler de l'Italie même où les Mithraea sont très nombreux. Au troisième siècle de notre ère, Mithra fut adoré de l'Ecosse à l'Indus. Seul le christianisme connaîtra pareille expansion géographique.
Mithra recrute des adeptes dans toutes les couches de la société : militaires (avant tout), fonctionnaires, commerçants, artisans, milieux d'affaires, esclaves. Dans les casernes, l'impact du mithriacisme est fort dans toute la hiérarchie, du simple soldat, du greffier de légion jusqu'aux préfets de cavalerie, légats, gouverneurs militaires en passant par les centurions. Seules les populations rurales lui ont échappé, comme elles échapperont longtemps à la conversion chrétienne.

Actusf : C'est votre premier ouvrage, vous avez donc découvert certainement tous les rouages d'une maison d'édition. Quel regard jetez-vous sur cette première expérience du métier d'écrivain ?
Rachel Tanner : Au départ, on écrit. Après on cherche un éditeur. Je ne vous cacherai pas que ce " après " est de loin plus difficile. L'empreinte des dieux n'est pas mon premier roman, c'est le premier qui ait trouvé un éditeur. Là encore, presque le hasard. Enfin, un hasard provoqué. J'avais envoyé des textes à Stéphanie Nicot, directrice de la revue Galaxies, lequel m'a contactée, encouragée et - pourquoi ne pas le dire ? - avec qui j'ai rapidement sympathisé. Le tout à 900 km de distance. A l'époque, Stéphanie ne s'intéressait guère à la fantasy mais mes textes lui plaisaient. Je ne saurais dire à quel point ce soutien était précieux alors que de toutes parts me parvenaient des refus - certains très encourageants, certes, mais des refus quand même. J'étais à deux doigts d'abandonner quand…hé ben non, mon premier éditeur fut Oriflam ( lequel a fait faillite depuis mais je jure que je n'y suis pour rien !). Un an plus tard, Stéphanie créait Imaginaires Sans Frontières. Je ne crois pas que l'amitié lui ait faussé le jugement lorsqu'il m'a proposé un contrat d'édition. Il croyait - et il croit toujours - en mon potentiel d'écrivain, ce qui, cher lecteur, est d'un incroyable réconfort.

Actusf : Quels sont vos projets littéraire ? Y aura-t-il une suite ?
Rachel Tanner : La suite de L'empreinte des dieux est terminée, elle paraîtra à l'automne 2002 aux éditions I.S.F. J'écris actuellement une saga sur la préhistoire dont le thème principal peut se résumer à la confrontation entre Néandertaliens (nos cousins de l'époque glaciaire) et Cro-Magnons (nous !).

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