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Interview de Silverberg Partie 1
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Interview de Silverberg Partie 1

La religion :

Actusf : J'ai lu quelque part que l'on vous avait décrit comme la face sombre de Woody Allen ? Est-ce une définition qui vous convient ?
Robert Silverberg : Je n'ai jamais entendu ça auparavant. Mais au-delà d'une coïncidence superficielle qui nous a vu naître tous les deux à New York, à peu près au même moment et de parents juifs, je crois que la comparaison s'arrête là. Ma vision du monde n'a pas grand-chose à voir avec celle qu'il exprime dans ses films. Et d'ailleurs, c'est peut-être pour cette raison que je ne suis pas un grand admirateur de son travail.

Actusf : Votre enfance était-elle similaire à la sienne ? Milieu simple, dans un quartier juif de New-York, très entouré par la culture communautaire, dans des années où l'état d'Israël était en train de se créer ?
Robert Silverberg : Le milieu duquel je viens devait être sensiblement plus favorisé que le sien ne l'était -mais je me trompe peut-être-. Quoiqu'il en soit, nos enfances ont dû être assez semblables.

Actusf : Qu'est-ce qui, dans ce milieu, vous a amené à la science-fiction ?
Robert Silverberg : Etant enfant, j'étais intéressé par tous les aspects romanesques de la science -les dinosaures, les étoiles, etc -. J'étais aussi très de curieux à propos des visons d'un futur lointain. Je me demandais à quoi ça pourrait bien ressembler. Puis à sept ans j'ai découvert 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne, qui m'a, pour la première fois, permis d'appréhender toute la puissance d'évocation romantique de la science fiction. Puis, un ou deux ans plus tard, je suis tombé sur La machine à remonter le temps de H.G Wells. Dès lors, je me suis mis à dévorer tous les récits de ce genre que je pouvais trouver.

Actusf : On a vu des influences très claires à la religion juive dans certaines de vos -Suvres, comme le Dybbuk de Mazel Tov IV (1), et elle est importante pour certains de vos héros, comme David Selig dans L'oreille interne ou Eli du Livres des crânes.
Robert Silverberg : Pour David Selig, la religion juive n'est pas spécialement importante. Il n'observe aucun de ses rites ni aucun des ses commandements. Ce qu'il y trouve en fait, c'est la conscience d'une identité communautaire, dans laquelle il pense pouvoir puiser sa force. A cet égard Eli lui ressemble beaucoup. A l'opposé, Le Dybbuk de Mazel Tov IV concerne effectivement des juifs scrupuleusement pratiquants, et toutes leurs pointilleuses arguties.

Actusf : Quelle part la religion tient-elle dans votre -Suvre ?
Robert Silverberg : Certes je suis juif de par ma naissance, et le milieu dans lequel j'ai grandi, mais j'évolue entièrement dans un petit monde qui ne l'est pas du tout. Je n'ai d'ailleurs jamais été pratiquant. Pour moi, le judaïsme tient dans mon -Suvre la même place que le bouddhisme ou le catholicisme, à savoir celle d'une manifestation supplémentaire de la complexité de la nature humaine. Une manifestation à observer, et à utiliser comme matériau de la fiction.

Actusf : Est-ce qu'il faut voir dans la tradition juive, qui, de par sa tradition, est très en prise avec l'humain, l'origine de cette propension à ramener votre fiction à l'humain ?
Robert Silverberg : Peut-être. Mais la tradition chrétienne n'est-elle pas, elle aussi, tournée vers l'humain ? Quelle tradition religieuse ne l'est pas ?

Actusf : Est-ce que le fait d'aller vivre en Californie vous a ouvert à d'autres spiritualités ?
Robert Silverberg : Lorsque j'y suis arrivé, il y a une trentaine d'années, je me suis intéressé à différentes formes de spiritualités issues plus ou moins directement du bouddhisme, et qui étaient très en vogue à l'époque en Californie. Mais, comme toujours, je l'ai fait dans un esprit d'investigation anthropologique, absolument pas comme un adepte. Mon intérêt pour la religion a toujours été anthropologique. Je n'ai jamais cru en aucune force surnaturelle.

New York / San Francisco :

Actusf : Est-ce que vous vous souvenez ce que le jeune new-yorkais que vous étiez pensait de la Californie et des Californiens ?
Robert Silverberg : Je pensais que la Californie était un pays de cocagne, pleins de plantes étranges et de choses extraordinaires. En revanche je trouvais les Californiens crédules, un peu dingues et, globalement, plutôt incultes. Et je dois dire que rien de ce que j'ai pu observer ces trente-trois dernières années n'a vraiment fait changer cette vision des choses.

Actusf : Comment un auteur aussi new yorkais que vous a pu finalement se retrouver en Californie ?
Robert Silverberg : J'avais 35 ans, j'étais fatigué et la situation aussi bien dans mon couple que dans ma carrière était très tendue. Toute ma vie j'avais vécu à New York, et j'avais réellement envie de changement. La ville à cette époque était en pleine crise, devenant plus laide et plus dangereuse chaque jour. La beauté et la douceur du climat californien me faisaient envie et j'ai finalement décidé, presque sur un coup de tête, de jeter aux orties ma petite vie new yorkaise bien rangée, et de m'expatrier en terre étrangère, à des milliers de kilomètres de là.

Actusf : Pourquoi San Francisco ? A cause des initiales ?
Robert Silverberg : Non, pas pour les initiales, non. Mais beaucoup de mes amis new-yorkais étaient déjà parti s'y installer, soit parce qu'ils étaient en originaires et y revenaient, soit parce qu'ils voulaient prendre à part à cette fameuse contre-culture qui s'était développée un peu partout dans la Bay Area. Quand j'ai songé à déménager à mon tour, j'avais d'abord pensé m'installer à Los Angeles, où les hivers sont plus doux, mais ma première femme n'aimait pas cette ville, et elle m'a persuadé de choisir plutôt la Californie du nord. Elle m'a fait, assez justement, remarquer que nous y avions plus d'amis, et que, culturellement, cette région était plus intéressante que la Californie du sud. Je n'ai jamais eu à regretter cette décision.

Actusf : Est-ce que c'est un hasard, si vous vous êtes installé à San Francisco à un moment où la ville était le centre de la contre-culture américaine, et où l'on y croisait aussi bien des gens comme Allen Ginsberg (2) que comme Ken Kesey (3)?
Robert Silverberg : Ma décision de m'installer à San Francisco n'avait rien à voir avec la contre-culture. C'était avant tout pour échapper au climat rigoureux de New York et dans le but de me trouver un endroit agréable où vivre. Je n'ai jamais rencontré ni Ken Kesey, ni Allen Ginsberg, et si cela avait été le cas je doute que ça soit bien passé. Je n'ai jamais été un hippie. Depuis ma naissance et jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours vécu comme un bourgeois : jolie maison, vêtements propres, bonne bouffe. Bref une vie civilisée.

Actusf : Même si vous avez pris soin de toujours refuser d'être un porte-drapeau, est-ce que vous voyez votre -Suvre, et spécialement vos productions de l'époque, comme participant à la contre-culture ?
Robert Silverberg : Pas vraiment. Ceux qui s'en réclamaient ont adopté certains de mes romans, comme Le fils de l'homme, parce qu'ils y retrouvaient certains de leur credo. Je ne vois rien à y redire. Pour ma part je me considère comme n'ayant pris part à aucun mouvement, si ce n'est à la science fiction contemporaine. A certains égards on peut considérer qu'après 1966, j'ai -Suvré pour une certaine forme de contre-culture : celle qui a secoué la SF. Mais c'était un mouvement littéraire. Pas politique, ni sexuel.

Moi, j'écoutais un peu de la musique de l'époque, j'ai essayé certaines drogues et profité de la révolution sexuelle, mais, comme je le disais plus haut, ma vie se faisait très largement en dehors de trucs comme le Summer Of Love. J'avais trente ans passés, et j'étais déjà bien trop confortablement installé dans ma petite vie pour me sentir à l'aise avec la mouvance hippie.

Actusf : En introduction de Un millier de pas sur la via dolorosa (4), vous confessez avoir une certaine expérience des drogues psychédéliques. Cette expérience date de cette époque ? Est-ce que ce que vous "écriviez sous influence", pour reprendre l'expression consacrée ? Est-ce que la prise de drogue participait de votre émancipation stylistique ?
Robert Silverberg : J'ai essayé différentes drogues, mais jamais en travaillant, excepté pour un court passage du Fils de l'homme, que j'ai écrit après avoir fumé de la marijuana. Ce qui m'a démontré que c'était un bon moyen de ne rien écrire de bon. En revanche mes expérimentations psychédéliques ont définitivement changé mon approche de l'imaginaire, et ont contribué à l'évolution de mon style à cette époque.

Actusf : Vous avez souvent glissé des références à la musique classique dans vos romans. La scène musicale de San Francisco ne vous a jamais inspirée ?
Robert Silverberg : Je manifeste peu d'intérêt pour la musique pop. Vers 67 / 71, je me suis un peu intéressé à des musiciens rock un peu plus sophistiqués, comme les Beatles, Pink Floyd ou Dylan, mais je n'ai pratiquement plus écouté de pop depuis cette époque, et je ne connais absolument rien à la scène musicale actuelle. Je n'écoute guère que du classique, et un peu de jazz. En conséquence, j'ai toujours été un touriste à Haight-Ashbury (5). Ce serait grotesquement frauduleux de prétendre que moi, qui vis richement dans une splendide maison des faubourgs, j'ai quoi que ce soit à voir avec le monde des hippies.

Actusf : Finalement vous êtes plutôt un écrivain de la Côte Est, ou de la Côte Ouest ?
Robert Silverberg : Je n'en sais rien. Un peu des deux j'imagine.


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