- le  
Interview de Vincent Gessler sur l'antho des Utopiales
Commenter

Interview de Vincent Gessler sur l'antho des Utopiales

Actusf : Comment t'es venue l'idée de cette nouvelle ? Qu'est-ce qui t'a donné envie de l'écrire ?
Vincent Gessler : Je suis parti du titre et de l’image de grands lacs de mercure vus du ciel. L’actualité brûlante de l’époque m’avait donné envie d’exorciser ma colère et ma frustration, ce qui a donné la première version de cette nouvelle. Le résultat n’était pas satisfaisant sur le moment, et l’occasion de la réécrire s’est présentée avec le thème « Les Frontières » de cette édition des Utopiales. J’aimais beaucoup la première partie mais la suite était moins intéressante, j’ai donc réécrit l’ensemble dans une direction qui me parait aujourd’hui appropriée, avec un style plus homogène.
 
Actusf : On pense en la lisant à l'Afghanistan ou l'Irak. Ces conflits étaient aussi dans tes pensées lorsque tu l'as rédigé ?
Vincent Gessler : Oui, la guerre en Irak était le point de départ. La première version a été écrite en 2003, lors de la troisième guerre du golfe et invasion de l'Irak. Les enjeux autour des armes de destruction massive et de l'inspecteur de l'ONU Hans Blix m'avaient frappé et j'avais envie d'intégrer ces éléments. Ensuite se sont agglomérées d’autres références. Les scans des cadavres par exemple viennent de l’histoire que m’a racontée un vétéran de la guerre d’Algérie dont l’activité consistait à prendre en photo les combattants ennemis morts.
 
Actusf : Dans la préface, Pierre Bordage évoque Dune et les Fremens. C'est une influence volontaire ?
Vincent Gessler : Il ne s’agit pas d’une influence volontaire. Lorsque l’on traite d’un peuple qui joue sa survie sur un monde de déserts, il est difficile d’échapper à l’œuvre de Frank Herbert qui a décliné ce motif au long d’une œuvre considérable (en s’inspirant lui-même de la réalité). Dans le cadre de cette nouvelle, j’ai développé la culture des Arghaïs comme elle me venait, avec un souci de cohérence. Si je ne prétends pas échapper aux influences, j’espère néanmoins avoir développé un environnement crédible et distinct.
 
Actusf : Comment vois-tu ton héros ? On le sent presque passif dans toute l'aventure non ?
Vincent Gessler : Oui, il est passif à l’extrême, malléable, disponible à ce qui lui arrive. Il n’a aucun contrôle sur les événements, jamais. Il endure, accepte, s’ouvre à ce qui se passe. Il ressent, contemple, digère, accumule les expériences avec un manque de rébellion que, pour ma part, je n’accepterai jamais.
Et cette passivité le change, le fait évoluer intérieurement, l’amène à saisir l’importance de ce qu’il vit, pas seulement pour lui-même. Il est décidé à vivre ce qui arrive pleinement, malgré parfois l’insoutenable.
Il est au cœur d’un conflit et lorsque viendra le moment d’agir, de donner sa voix, il changera le visage du monde comme personne avant lui. Il accumule une énergie destinée à éclater au moment clé.
C’est donc une passivité apparente, le gage avant tout de la seule manière d’effectuer le travail d’un observateur : observer jusqu’à devenir ce que l’on observe.
Puis trancher, enfin.
 
Actusf : Parle-nous des Arghaïs. Sans tout dévoiler, que peut-on en dire aux lecteurs ?
Vincent Gessler : Les Arghaïs habitent une planète désertique et pratiquent un mélange étonnant de nomadisme et de vie sédentaire, d’applications technologiques et de traditions ancestrales. Anciens colons terriens, ils ont évolué et élaboré une culture originale. Leurs valeurs et leurs modes de fonctionnement sont complètement étrangers aux perceptions du personnage principal qui se retrouve plongé parmi eux. Ainsi il doit revoir l’intégration de l’individu dans la collectivité, les relations de réciprocité, le rapport à l’apprentissage ou à l’amour.
 
Actusf : Que représentent pour toi les Utopiales ?
Vincent Gessler : C’est un formidable lieu d’échange et d’énergie qui permet aux professionnels comme aux amateurs de se rencontrer, d’élaborer des projets, de créer des ponts entre les arts, les genres et les pays. Le tout dans une convivialité bienveillante et avec un public enthousiaste. C’est un moment incontournable de la culture francophone et européenne.
 
Actusf : Cygnis a été un roman très remarqué. As-tu été surpris des réactions le concernant et de l'accueil qui lui a été réservé ?
Vincent Gessler : J’ai été surpris, et en bien. C’est un texte très personnel, avec des choix esthétiques et narratifs marqués, fonctionnant sur la métaphore. J’ignorais quel accueil lui serait réservé, supposant forcément le pire...
Avec un peu de recul aujourd’hui, je me rends compte que le style travaillé, que j’imaginais comme un obstacle possible, a été apprécié. Le dynamisme et l’enthousiasme des blogueurs a aussi été une source d’étonnement et de plaisir : certains critiques en ligne font preuve d’une grande finesse de lecture et ces avis sont constructifs. Cela m’a donné envie de les suivre plus régulièrement.
Je suis enfin heureux des nominations au prix européen des Utopiales, au prix des lycéens des Imaginales et au prix Julia Verlanger - ce dernier a une résonance particulière en raison de la thématique post-apocalyptique commune à Cygnis et à une partie de l’œuvre de Julia Verlanger. C’est la preuve tangible que des professionnels ont apprécié mon travail et cela donne beaucoup d’énergie pour poursuivre sur cette voie.
 
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Vincent Gessler : Je finalise un second roman dont le titre provisoire est Mimosa et qui est le contraire, pour ainsi dire, de Cygnis : une intrigue délirante, sinon burlesque, dans un monde rock’n’roll, avec un plaisir assumé de l’aventure et des références underground (ou non !), complètement gratuit et peut-être impubliable… C’est une expérience d’écriture jubilatoire à laquelle je voulais m’adonner depuis longtemps et qui représente un mystère total du point de vue éditorial.
J’élabore en parallèle le scénario d’un troisième roman auquel je tiens beaucoup et qui traite des univers virtuels.
J’ai enfin plusieurs scénarii de bande-dessinée en cours, dont la réalisation prendra un temps indéterminé (deux à trois ans) en raison de l’agenda chargé des dessinateurs.
J’irai où mes envies et les rencontres me pousseront.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?