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Jodorowsky's Dune : Avant première et chronique
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Jodorowsky's Dune : Avant première et chronique

L'avant première à Comoedia à Lyon, le mercredi 9 mars 2016

C’est à l’occasion des 72 heures de la communication que les étudiants de l’Université Jean Moulin Lyon 3 ont mis sur pied une projection en avant-première du film Jodorowsky’s Dune de Frank Pavich. Se focalisant autour d’un projet de film pharaonique qui n’a jamais vu le jour (mais dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui), ce documentaire était un choix particulièrement judicieux, tant l’influence de l’œuvre de Frank Herbert sur la SF est forte, tout comme le statut de réalisateur aussi fou que génial de Jodorowsky annonçait un projet totalement atypique.

Dès l’entrée en scène du présentateur de la soirée, qui annonçait la couleur en demandant au public d’envisager la salle du Comoedia (qui hébergeait la projection et les rencontres qui ont suivi) comme un vaisseau spatial à même de le conduire à travers l’espace et le temps, le décor était posé. Après l’entrée en scène du réalisateur du documentaire, la projection a ainsi pu démarrer.

Je ne reviendrais cependant pas ici sur le documentaire en lui-même, ma chronique du documentaire se suffisant à elle-même. Des réactions des personnes assises à côté de moi (et des miennes), difficile d’imaginer que le projet n’ait pas trouvé son public ce soir-là. Beaucoup d’humour (dans les anecdotes de Michel Seydoux et de Jodorowsky lui-même), un travail de montage assez poussé (animer une partie du storyboard de Moebius, il fallait oser !), une bande son so kraut-rock composée spécialement pour l’occasion, tout concourrait à ce que le film puisse convaincre sur le fond comme sur la forme.

La projection achevée, une table ronde autour de laquelle on pouvait retrouver Frank Pavich (le réalisateur) et Anudar Briséïs, créateur du site La Grande Bibliothèque d'Anudar et grand connaisseur de l’œuvre d’Herbert, a pris la suite du programme. Des échanges particulièrement intéressants, notamment avec Frank Pavich, qui explique le projet comme coulant de source pour lui, grand fan de l’œuvre de Jodorowksy et du mystère qui entoure ce film avorté mais au casting phénoménal (tout comme le matériel de production, à l’instar de ce storyboard imposant qui avait été envoyé aux boîtes de production de l’époque et dont on ne retrouve plus que deux exemplaires). D’autant qu’à l’image de sa manière de choisir son équipe, Jodorowsky a accepté que Pavich se penche sur le sujet après une rencontre, sans se renseigner sur ces travaux préalables. Anudar, quant à lui, a pu revenir sur les autres adaptations connues de l’œuvre, que ce soit au fil des questions du public ou des réponses du réalisateur. Notamment l’adaptation de Lynch, que ce dernier renie lui-même aujourd’hui (et qui n’a plus rien à voir avec le projet du réalisateur franco-chilien).

Cette première phase de discussion a été suivie avec une participation du public, qui disposait d’écriteaux lui permettant de voter pour l’époque à laquelle il aurait aimé voir le projet d’origine être finalisé : en 1975, à l’époque originale, ou en 2016, avec les moyens d’aujourd’hui. 1975 l’emportant haut la main, c’est donc un mini-reportage qui imaginait les réactions du public à la sortie du film dans les années 70 qui a été projeté. Amusant, à défaut d’être vraiment palpitant.

La suite de la soirée s’est axée sur l’impact de ce projet sur la production cinématographique qui a suivie (essentiellement SF), avec des parallèles entre des films postérieur (Terminator 2, Prometheus…) et des éléments originaux du storyboard de Moebius. L’ensemble s’est conclu sur un passage en revue des incontournables du film de SF, depuis la place des vaisseaux spatiaux, d’un certain manichéisme au niveau des personnages, voire de la place de la femme. Pas totalement intéressant, à défaut d’être  toujours juste (la place de la femme en SF a évolué depuis les débuts du genre…) et de pointer surtout les créations super-héroïques, laissant de côté pas mal de créations qui n’ont rien à voir avec les héros de DC et de Marvel (même si l’ombre de John Difool, du Méta-baron et des Technopères n’étaient pas très loin).

Reste que, malgré quelques passages superflus, ce genre de soirée, qui fait plus que de proposer la projection d’un film et des questions avec le réalisateur, est à réitérer, car particulièrement à même de contenter les amateurs de cinéma de genre.

 

Jodorowsky's Dune de Frank Pavich : la chronique 
 
Même si la littérature de science-fiction est née avant le Dune de Frank Herbert, le roman et la saga qui en découle sont considérés (à juste titre) comme une des oeuvres les plus emblématiques du genre, et l’un des planet opera les plus lus et vendus au monde. Et si plusieurs adaptations sur grand (le film de Lynch) et petit écran (la mini-série de John Harrisson) existent, la première tentative n’a quant à elle jamais réussi à voir le jour.

C’est ainsi sur l’histoire ce projet pharaonique (au vu des acteurs et professionnels impliqués) et avant-gardiste (on est en 1975, 2 ans avant Star Wars et 4 avant Alien) que se focalise le documentaire de Frank Pavich (réalisateur de NYHC, un documentaire sur la scène du métal hardcore new-yorkais). Revenant brièvement sur le passif de réalisateur de Jodorowksy au moment des prémisses du projet, le documentariste aborde ce film, deuxième projet pour le binôme Michel Seydoux / Alejandro Jodorowsky, après la Montagne Sacrée, comme une oeuvre particulièrement ambitieuse sur le fond comme sur la forme.

 On découvre ainsi, au fil des minutes, le rôle de chef d’orchestre tenu par «Jodo » sur son Dune, depuis l’idée même de cette adaptation (alors qu’il n’avait pas encore lu le livre) jusqu’aux refus des producteurs de Los Angeles qui entérinèrent la fin du projet. Choisissant de s’appuyer sur les talents graphique de Moebius, dont le storyboard , plan par plan, constitue une oeuvre à part entière (et apparemment un pavé de plusieurs kilos dont il ne reste avec certitude que deux exemplaires). Intégrant à son équipes, qu’il voit comme des guerriers prêts à lutter à ses côtés pour faire aboutir le projet, des personnalités comme Don O’Bannon (alors que ce dernier n’avait alors travaillé que sur Dark Star en tant que co-scénariste, acteur, monteur et décorateur), Jodorowsky jette dans le grand bain plusieurs noms qui deviendront des incontournables pour les amateurs de S-F (H.R. Giger, Moebius).

 Le casting n’est pas en reste, le réalisateur contactant (et convainquant) Dali de jouer l’Empereur, Orso Welles le baron Harkonnen, Mick Jacker Feyd Rautha, David Carradine le duc Leto, etc. Des rencontres forcées ou fortuites, mais toujours un attachement viscéral (voire une intransigeance, à sa manière) pour l’âme des personnes impliqués, ce qui fit notamment préférer O’Bannon à Douglas Trumbull. Car «Jodo» ne voulait pas juste faire un film, il voulait donner vie à une oeuvre qui aurait changé la face du cinéma, comme l’esprit des spectateurs, n’hésitant pas à dire, en amorce du film, qu’il cherchait à ce que ces derniers ressentent, en regardant le film, les effets du LSD sans en avoir pris. Un partir pris sensitif qui transparaît jusque dans les choix musicaux, avec le choix de Pink Floyd pour les Atréides et de Magma pour les Harkonnens.

 Le tour de force de cette non-adaptation de Dune (le réalisateur-scénariste avait sa propre lecture - et ses libertés - avec le matériau d’origine) c’est également d’avoir eu malgré tout une influence non négligeable sur le cinéma de SF qui a suivi, que ce soit en ayant permis certains de se rencontrer (O’Bannon et Giger, qui travaillèrent tous deux sur Alien), ou tout simplement par son storyboard, dont certaines séquences et idées se retrouvent jusque dans le récent Prometheus (qui reprend certains visuels que Giger avait constitué autour des Harkonnens).

 Au final, le documentaire de Frank Pavich, respectueux du travail du franco-chilien, aurait pu être un projet à l’image du Lost in La Mancha de Fulton et Pepe, qui témoigne de l’échec d’un projet. Mais le présent documentaire dépasse ce statut, et tend à susciter l’admiration pour un réalisateur en marge de l’establishment qui s’investit (et investit les autres) à 100% dans ses projets qu’il aborde non pas comme de simple pop-corn movies mais comme des oeuvres d’art à part entière. 

Adrien Party

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