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La Brigade Chimérique 1 & 2

Fabrice Colin (Scénariste), Serge Lehman (Scénariste), Gess (Dessinateur), Céline Bessonneau (Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/08/2009  -  bd
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La Brigade Chimérique 1 & 2

Serge Lehman nous l'avait annoncé il y a déjà un bon moment, voilà enfin que paraissent les deux premiers tomes – sur six programmés –, de La Brigade Chimérique. Pour raconter "la fin des super-héros européens", il s'est adjoint les services de Fabrice Colin, pour une écriture à quatre mains. La mise en image a été confiée à Gess, que Lehman avait rencontré à l'occasion de la création de la couverture du Livre des ombres, le recueil de nouvelles qui avait signé son retour aux affaires chez l'Atalante.
Un casting qui en impose, pour un sujet enthousiasmant où tout était possible, le pire comme le meilleur.

Civis Pacem...

Les champs de bataille de la Grande Guerre ont connu bien des horreurs, mais en ont aussi fait naître d'autres. La science conquérante du début du XXème siècle s'est mise au service de la grande boucherie mondiale, ouvrant au passage une brèche inattendue dans le réel.

Sorti des décombres du front ou des expérimentations folles menées à l'arrière, une nouvelle race d'humains est apparue. Appelez-les mutants, monstres ou phénomènes de foire, il n'en sont pas moins les maîtres occultes de cette Europe des années trente, secouée de remous politiques qui trouvent en nous un écho douloureux et ont un parfum d'inéluctable. La guerre est proche, et dans l'ombre, les surhommes placent leurs pions.

Face à l'axe du mal, incarné par le richissime Gog, l'homme le plus vieux du monde, le sinistre Docteur Mabuse, qui commande à son armée de crânes depuis sa cité de Metropolis et par La Phalange, qui met l'Espagne à feu et à sang pour exterminer jusqu'au dernier les partisans, le reste de l'Europe s'est organisé. L'Accélérateur, défenseur d'Albion, prête main forte au mystérieux Nyctalope, en première ligne dans son QG montmartrois, pour s'assurer le soutien incertains de Nous Autres, ce triumvirat de scientifiques russes, qui considèrent que le pouvoir est dans la dissolution de l'individu.

Ballotés par ces forces, Irène Curie et Frédéric Jolliot, tentent de garder intacte leur vision d'une science qui serait au service de l'homme et de la paix. Difficile pari, alors que la propre mère d'Irène – la célèbre Marie Curie – semble lui avoir préféré le très ambigu Nyctalope, pour assurer la défense du monde libre.

C'est dans ce contexte explosif, au confluent des possibles que d'anciennes forces vont de nouveau s'éveiller, ranimant, une fois encore, la vieille lutte du Bien contre le Mal.

... Para Bellum

C'est tout d'abord dans un joli format et sous une couverture sobrement graphique que nous parviennent ces deux premiers tomes. En celà, la collection Flambant 9 de l'Atalante reste fidèle à son parti-pris de sobriété mature. Tonalités froides, graphisme Art Déco pour le logo. Pas de faute de goût.

Ensuite, avec Colin et Lehman aux claviers, il fallait s'attendre à du roboratif. Séquence d'ouverture en clair obscur expressionniste sur une longue citation de Nietzsche, le ton est donné : on est dans le référencé.

Références assumées tout d'abord, notamment à ces auteurs du merveilleux scientifique auxquels Serge Lehman est très attaché. Ainsi le caméo remarqué du Dr Flohr et de son Homme élastique, emprunté à Jacques Spitz, ou l'utilisation habile du Passe-muraille de Marcel Aymé. Lehman et Colin inscrivent ainsi intelligemment leur histoire dans un contexte historique à la fois décalé et parfaitement indentifiable.

Références graphiques, aussi. Le Nyctalope, ce super-héros imbu de lui-même et qui semble jouer un jeu trouble, évoque immanquablement les BD de Tardi, avec ses grosses lunettes, son melon et son grand manteau. Les apparitions furtives de Doc Savage ou de Superman (dans une version, il est vrai, un peu customisée) sont habilement orchestrées par Gess, qui se tire bien de ce métissage graphique assumé. Tout comme d'ailleurs, il utilise avec malice les portraits des personnages historiques.

Et puis, bien sûr – inévitablement – on songe à La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, du non moins extraordinaire Alan Moore. Mêmes emprunts à la littérature populaire, mêmes clins d'œil à l'Histoire avec un grand H, le cousinage est indéniable. Au point que les esprits chagrins pourraient y voir comme une version yéyé d'un grand succès anglo-saxon.

Heureusement, Colin et Lehman y amènent leurs propre folies imaginatives, leurs propres cultures, et l'on sent la tentation quasi métaphysique qui point et augure d'une suite des plus prometteuses.

Gess, quant à lui, a su trouver un juste milieu dans son graphisme, évitant de se laisser asservir par des référents visuels qui auraient rapidement pu devenir encombrants, sans non plus se laisser écarteler par le mélange des genres. Il assure ainsi un beau travail de cohésion graphique. On regrettera peut-être quelques choix d'encrages en dégradé un peu trop "Photoshop" pour cette atmosphère résolument entre deux guerres qui se serait sans doute mieux accomodée d'à-plats plus francs.

Reste que cette Brigade Chimérique remplit son contrat. Intrigante et originale, répondant aux vieilles obsessions de Serge Lehman sur ce rendez-vous manqué de la France avec les genres de l'Imaginaire et entrant, de fait, dans cette métafiction qui plaît tant à Fabrice Colin, il n'est pas étonnant de voir ces deux-là prendre un plaisir manifeste à l'exercice. Plaisir pour l'instant partagé de notre côté.

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