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La boussole du capitaine - Octobre 2014
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La boussole du capitaine - Octobre 2014

Cet été, à la mi-août, se tenait à Londres une convention mondiale de science-fiction, le gros-maxi événement annuel américain du genre, pour une fois ancré sur des rivages européens. Le décor lui-même tenait beaucoup de la science-fiction : quartier entièrement neuf ou rénové poussé ex abrupto hors des marais et des docks de l’ancienne Londres industrielle ; cité des congrès vaguement futuriste et tellement immense qu’elle s’étendait entre deux stations de métro, et qu’en son centre le « boulevard » avait tout pour rappeler le Zokalo de la station spatiale Babylon 5.
 
À l’intérieur, cependant, tout ne m’a pas semblé parfaitement satisfaisant. Déjà et surtout, parce que le public et les auteurs ou éditeurs étaient strictement séparés. J’avais déjà fait de grosses conventions anglo-saxonnes et la tradition y est que le monde s’y mélange, sans ségrégation, tandis qu’à cette Loncon la logique condescendante de la société du spectacle avait amené à parquer les intervenants dans une « green room » (le terme maintenant traditionnel pour désigner les espaces VIP) et en dehors du regard des fans, tandis que ces derniers étaient réduits au seul rôle de consommateurs, passifs et tenus soigneusement dans leurs espaces à eux. Rencontrer les auteurs ou les éditeurs s’est donc avéré fort difficile, je n’ai pas même pu croiser certain(e)s ami(e)s. Une conception ridiculement élitiste et paranoïaque, qui transforma une grande fête traditionnelle en une sorte d’immense bouillie de fans, tâtonnant dans la « book room » plongée dans la pénombre (encore une grande idée) et faisant la queue pour assister à des tables rondes d’un intérêt fort inégal puisque visiblement peu ou pas préparées.
 
Alors ma foi, tant qu’à être tenu pour un simple consommateur, je dois avouer que le meilleur moment de ce séjour londonien ne fut donc pas pour moi cette Worldcon froide et peu palpitante, mais un hasard heureux. Je logeais dans le nord de Londres et, de l’autre côté de la rue par rapport à mon appartement, s’élève l’un des plus vieux cinémas indépendants de la métropole : le Phoenix, établissement fondé en 1910. Et qu’était-il annoncé en grandes lettres rouges, sur le fronton ? « Deep Breath », le premier épisode de la nouvelle saison de Doctor Who ! Alors là oui, c’est sans hésitation que j’ai joué les fans, et ai savouré le plaisir rare de voir une aventure du Docteur sur grand écran.
 
 
Scénario furieusement excentrique, générique lorgnant vers le steampunk, plein de réparties ravissantes et drôles, un nouveau Docteur qui ne rentre dans son rôle que progressivement (et quel acteur !), encore une très belle surprise de Moffatt aux fans, des allusions au mystère des visages du Docteur, un tendre clin d’œil à Elizabeth Sladen en la personne de son mari jouant le mendiant, une défense appuyée du mariage homo et interraciale, un baiser lesbien en gros plan… Enfin bref, tout cela débutait plutôt bien. C’est tout de même étonnant, et une trouvaille narrative ô combien riche, que ce renouvellement des acteurs jouant le Docteur. Avec chaque fois un petit temps d’acclimatation pour le spectateur, un peu déstabilisé. Et ça marche, pourtant : le Docteur est différent mais c’est toujours le Docteur.
 
 
Et les épisodes suivant cet agréable démarrage en fanfare n’ont pas déçu, Peter Capaldi entrant dans la peau de son personnage avec une aisance remarquable. Il y a là une belle mythologie qui continue à se développer, sous la houlette d’un producteur qui est également un véritable fan, en plus d’être un scénariste subtil et attentif. L’une de ses trouvailles les plus audacieuses, ce fut la création d’un Docteur supplémentaire, pour le magistral épisode du cinquantième anniversaire : le War Doctor.
 
Mais si les acteurs s’emparent fort bien de leur rôle, la tâche me semble plus difficile pour les écrivains qui se trouvent chargés de rédiger des romans dans l’univers Doctor Who. Et en particulier, pour George Mann, chargé d’animer le War Doctor pour la toute première fois dans un roman : Engines of War. Quelle voix, quel ton, quelle personnalité donne-t-on à un personnage qui n’a été incarné qu’une unique fois à l’écran ? George Mann est l’un des meilleurs écrivains populaires anglais actuels, ça ne me semble faire aucun doute : justement, je venais de lire toute sa série steampunk « Newburry and Hobbes » ainsi qu’un très bon pastiche de Sherlock Holmes. Le monsieur a du talent, de l’allant, une imagination parfaitement en adéquation avec les thèmes et tropes du moment en littératures de l’imaginaire. Alors, qu’a-t-il fait du War Doctor ? Oh, eh bien il s’en est plutôt bien tiré, je pense. Ce roman se lit comme un épisode de la série, avec la même linéarité, la même excitation, les mêmes explosions et les mêmes courses… Et ces fichus Times Lords de Gallifrey sont toujours aussi arrogants et odieux, comme dans la vieille série. Mais le Docteur, eh bien, il m’a semblé tout du long qu’il se conduisait comme le quatrième Docteur, celui de Tom Baker, et j’avais presque l’impression d’entendre la voix très caractéristique de ce dernier, basse et tonnante, plutôt que l’étrange filet brisé de celle de John Hurt.
 
Enfin, ça se lit avec amusement, et vite. En attendant la suite de la saison. Le fan s’alimente comme il peut, puisque contrairement à l’époque de R. T. Davies nous ne bénéficions plus de « spin off » (Torchwood et Sarah Jane Adventures) pour nous goinfrer de dérivés de Doctor Who.
 
André-François Ruaud
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