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La dernière aube

Michel Deutsch (Traducteur), C.L Moore ( Auteur), Wojtek Siudmak (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/1977  -  livre
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La dernière aube

Bien qu'une très grande part de l'œuvre de Catherine Lucille Moore ait été écrite en collaboration avec son époux Henry Kuttner, et bien souvent sans même que son nom ne soit cité, elle n'en a pas moins été l'un des auteurs les plus remarquables du genre. Ses premiers récits, réunis dans le recueil Shambleau, mettaient en scène Northwest Smith, un aventurier de l'espace aux prises avec des créatures extraterrestres issues de la mythologie gréco-romaine. L'un de ses personnages les plus mémorables, cependant, reste la châtelaine Jirel de Joiry, une héroïne dont les hauts-faits n'ont rien à envier à ceux d'un célèbre barbare hyperboréen : après Jirel, le regard porté sur la femme par les lecteurs d'heroic fantasy n'a plus jamais été le même. Mais Catherine Moore fut également l'auteur d'audacieux récits de science-fiction, dont La dernière aube reste peut-être le meilleur et, assurément, le plus subversif.

Souriez, vous êtes sondés.


C’est en contrôlant fermement tous les moyens de communication que le président Raleigh est parvenu à éviter que les États-Unis ne sombrent dans le chaos. Grâce à lui, l’ensemble de la population du pays bénéficie d’un niveau de vie correct. Il a créé Comus, une organisation capable d’harmoniser les besoins de la société à l’aide d’analyses, de statistiques, de psychogrammes… et de policiers ! Pour le bien commun, tous doivent se soumettre aux sondages qui peuvent être opérés à tout moment par les agents de Comus. Les déviations par rapport à un idéal rationnel sont ré-orientées et Comus influence ainsi les moindres aspects de l’existence de ses citoyens, jusqu'au pouvoir politique dont il est censé n’être que l’instrument. La Californie, cependant, devient instable et refuse la réalité créée par Comus. La riposte ne tarde pas et l'État californien se voit isolé du reste du pays, privé de tout accès à l’information... Et c’est Howard Rohan, un grand acteur et metteur en scène déchu, rongé par l’alcool, qui sera recruté par Comus pour une mission d’infiltration au cœur de la rébellion...

Un signal d'alarme qui résonne encore soixante ans après.


C’est un principe avéré qu’en politique, la maîtrise des moyens de communication constitue une des clefs les plus cruciales de l'accès au pouvoir. Le roman de Catherine Moore, qui fonctionne avec la beauté fluide d’un vaudeville apocalyptique, pointe l’un des aspects les plus nuisibles d’un tel système. Bien entendu, Comus n’existait pas plus en 1957 lors de la rédaction du roman qu’il n’existe de nos jours… Cette collecte obligatoire de données personnelles et leur analyse en vue d’exploiter et orienter les tendances d’une collectivité n’a rien de réaliste... Et il est encore plus inimaginable qu’un foyer révolutionnaire décide d’y faire obstacle. Ce serait un peu comme si un pays entier décidait du jour au lendemain de cesser de regarder la télévision, d’utiliser Internet ou les téléphones portables, dans l’espoir de retrouver une certaine forme de liberté… Impensable !

Là où La dernière aube se révèle encore plus fascinant, c’est lorsque l'auteur imagine que les dirigeants de Comus emploient l’art théâtral afin de servir leurs desseins. Le décor, les acteurs, les répliques, la mise en scène, tous ces éléments peuvent en effet concourir à donner l’illusion d’un monde, à formater la pensée, à usiner les consciences et produire du consensus jusqu’en dehors de la scène et bien après la fin de la représentation... Catherine Lucille Moore démontre, et démonte, la mécanique perverse d’un système qui utilise notre besoin de rêves et de mythes au profit d’un ordre social moralement discutable. Catherine-la-rebelle n’oublie pas que la belle Jirel savait se battre contre les forces encore plus occultes et malfaisantes que toutes celles des Enfers. Mais n'est-ce pas l'un des rôles les plus importants que devrait jouer la littérature ? Faisons donc le pari que bientôt, La dernière aube se lèvera sur un jour meilleur...

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