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Le Ciel lui tombe sur la tête

Albert Uderzo (Scénariste, Dessinateur), Thierry Mébarki (Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/2005  -  bd
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Le Ciel lui tombe sur la tête

Qui dans le monde ne connaît pas Astérix, le gaulois aux moustaches blondes, son meilleur ami Obélix, toujours accompagné de son menhir fétiche et d’Idéfix, le chien le plus intelligent de l’Antiquité, le chef Abraracourcix, Ordralphabetix et son poisson pas frais, le forgeron Cetautomatix, le barde à la voix de crécelle Assurancetouri,x et le sage druide Panoramix pour ne citer que quelques-uns des héros de ce petit village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur romain ? Né dans les pages du magazine Pilote en 1959, il a depuis conquis le monde. Ce trente-troisième album a été tiré à huit millions d’exemplaires et est traduit en vingt-sept langues. Un succès qui a franchi les frontières géographiques après avoir abattu celles générationnelles malgré la perte prématurée de l’un de ses pères René Goscinny. 
 

C’est avec une avidité mêlée d’appréhension, suite aux derniers albums qui n’étaient pas à la hauteur de la série, que l’on se jette sur le dernier Astérix au titre qui ne pouvait qu’interpeller : Le Ciel lui tombe sur la tête
 

Astérix et les extraterrestres ou l’agonie de la série 

Notre histoire débute lors d’une belle journée parmi tant d’autres, nos deux héros s’en vont gaiement à la cueillette des sangliers. Une chose pourtant cloche dans la forêt, aucun chant d’oiseau ne se fait entendre et les sangliers croisés sont tous figés. Un mauvais pressentiment pousse Astérix et Obélix à retourner immédiatement au village. Stupeur : tous leurs compagnons sont également immobiles, comme pétrifiés. Seul Panoramix semble avoir échappé à la mystérieuse malédiction. Bientôt, dans le ciel apparaît une grosse sphère en métal doré. D’étranges êtres en sortent : un Tadsylwanien, une sorte de petit être violet tout en rondeur, et ses clones de combat, des Swarzys volant en collant. Le p’tit violet, comme il est rapidement surnommé, vient récupérer l’arme secrète des Gaulois, la potion magique avant que leurs ennemis jurés, les Negmas, s’en emparent. Dans le même temps, le vaisseau Nagmas atterrit dans un camp romain, l’extraterrestre qui en sort cherche également l’arme fatale.  

Errare humanum est, perseverare diabolicum
 

Pour une douche froide, ce dernier opus d’Astérix, le Gaulois en est une. Pathétique est le premier mot qui vient en tête, ridicule le second et affligeant, le troisième qui se bat avec grotesque. Un sentiment de colère et de frustration monte alors en nous, suivi par la compréhension immédiate d’un tel battage marketing doublé du grand secret autour du Ciel lui est tombé sur la tête. Il va en falloir de l’énergie et de l’esbroufe pour vendre cet album vide de sens et d’humour, cet Astérix qui n’en est pas un. 

Le graphisme d’Uderzo est égal à lui-même : expressif et dynamique en un mot parfait. Le coloriste aurait largement pu se passer des palettes informatiques, mais finalement ce n’est qu’un détail à la vue des abîmes de perplexité dans lequel nous plonge le scénario. Ou le non scénario c’est au choix.  L’intrigue est proche du degré zéro de l’écriture, les rebondissements sont nuls, calculés, sans surprise. Une déception qui court depuis plusieurs albums déjà, le 32ème se moquant d’ailleurs carrément du lecteur en faisant passer une compilation d’historiettes publiées çà et là pour un inédit. Les dialogues sont d’une pauvreté affligeante, le second degré a déserté les pages de l’album et les situations sont ridicules : voir des Super héros clonés tournoyer au-dessus du petit village gaulois ou une bataille de vaisseaux spatiaux se dérouler au-dessus de leur tête atteint des sommets. Dans un même mouvement, notre sympathique Astérix est devenu une teigne aux tendances irascibles qui gronde à tout va. A bout de souffle scénaristique avec son intrigue molle, Uderzo tente de sauver l’esprit en compilant tous les gags récurrents de la série : les Romains se prennent des baffes, Obélix est traité de gros, les sangliers sont finalement là, Astérix fait la démonstration de la potion magique, les pirates coulent et le banquet final a bien lieu, avec une entorse au cahier des charges, le barde chante.

Et le pire n’est pas encore arrivé. Uderzo met en scène une pseudo lutte manga versus culture américaine (Walt Disney et comics confondus) à travers ses deux peuples extraterrestres aux noms anagrammatiques, les Tadsylwine et les Nagmas. Passons sur les vaisseaux Goldorak et les clones façon Swcharzy censés critiquer les super-héros japonais et américains. Passons sur ce Toune (Toon ?), risible mélange de Télétubbies et de Mickey. La caricature du méchant Nagmas est encore plus savoureuse : une sorte de blatte qui ne peut pas aligner deux mots correctement. On savait notre fier gaulois un brin chauvin mais il devient dangereusement xénophobe, le comble tout de même pour un auteur d’origine italienne. 

Si les Tadsylwine sont montrés comme les gendarmes de l’univers autoproclamés ce n’est rien à côté des Nagmas qui menacent de conquête l’univers entier. Métaphore du monde de la bande dessinée où mangas et culture américaine se battent pour une suprême hégémonie alors que la BD franco-belge compte les points. Enfin pas tant que cela, puisque Monsieur Uderzo a d’ores et déjà choisi son camp.  

Démontrons notre propos en nous appuyant sur la simple forme des vaisseaux des deux E.T. Le petit violet, Toune, qui représente l’Amérique et ses bienfaits bédétesques a un vaisseau sphérique, rond comme un ovule, une matrice, bref, un symbole féminin doux et protecteur ; la preuve il sauve le village gaulois en se mettant en travers du chemin du vaisseau ennemi. Celui des Nagmas est dressé comme un sexe en érection, conquérant et violent, symbole de la pulsion masculine destructrice, il représente les mangas. Le lecteur découvre alors atterré qu’à travers leur divertissement, ce sont les civilisations qui sont attaquées, pour ne rien en tirer. Libre à Uderzo de ne pas aimer le manga, mais le présenter de manière aussi négative, l’ambassadeur a la forme d’un cancrelat, est dangereux : de chauviniste, on passe rapidement à xénophobe. Je vais trop loin pour un simple divertissement ? Mais n’est-ce pas ces mêmes discours simples et apparemment sans conséquences qui enferrent les nations ? Monsieur Uderzo n’est pas assez stupide pour ne pas avoir conscience de la portée de son discours à travers huit millions d’albums.  

Astérix n’est certes pas un danger, mais le succès de ce dernier album, qui sera au rendez-vous n’en doutons pas, distillera simplement une haine idiote et infondée, doublée d’une peur à peine avouable, l’invasion des mangas, sous des dehors d’histoire gentillette et ratée. Au final et pour le prendre avec plus de légèreté disons que la critique se veut drôle, elle est pauvre, et si elle a voulu être acerbe, elle n’est que mesquine. 

Ce dernier album ne vaut pas un sesterce et prouve une fois encore qu’il vaut mieux s’arrêter pendant qu’il est encore temps. On assiste au trajet inverse d’Hergé avec Tintin. Les premiers n’étaient pas franchement racistes mais étaient envahis par un discours colonialiste en cours à l’époque, les derniers se montraient plus tolérants, plus ouverts reflétant la largeur d’esprit acquise par son auteur. C’est l’inverse avec Uderzo dont l’esprit se recroqueville sur ses petites convictions personnelles. 33 albums comme 33 ans, l’âge du Christ, un symbole pour Uderzo qui devrait prendre sa retraite. Après nous avoir fait rêver, rire et voyager durant des années, il serait sage de tout stopper avant que ses lecteurs mêmes les plus acharnés ne se lassent de ses histoires vides et de son héros, qui ne font plus honneur à la série. Tout ça sent le renfermé. Plutôt que de dire Astérix mourra avec moi, position qui l’honore et qui se défend, tout comme celle au passage de Roba ou Greg qui ont préféré que leurs héros Boule et Bill et Achille Talon leur survivent, il devrait l’enterrer dès maintenant, et ne pas succomber aux chants des sirènes économiques. 

Qu’il laisse aux lecteurs les souvenirs si délicieux d’une série à l’humour intelligent et bon enfant, au ton décalé, à la caricature joyeuse et pacifiste. Rendez-nous Astérix chez les Bretons et leur « n’est-il pas ? ». Rendez-nous le Normand Grosbaf ou le fromage corse. Rendez-nous ce qui faisait d’Astérix un monument de la bande dessinée. 

 L’on se demande même à la fin si les paroles de Toune, le gentil extraterrestre, mélange ô combien subtil de Télétubbies et de Mickey, n’est pas une adresse directe aux lecteurs : « Moi aussi je peux faire des miracles ! Afin de faire oublier cette aventure grotesque, je vais faire en sorte que les Gaulois n’en gardent aucun souvenir ! ». Peut-être était-ce en fin de compte la volonté d’Uderzo, se caricaturer lui-même, user jusqu'à la corde le mythe qu’il a créé pour un ultime album, faire un pied de nez au lecteur en se reniant lui-même avant de s’éclipser définitivement. Accordons-lui le bénéfice du doute. 

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