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Le Glamour

Christopher Priest ( Auteur), Benjamin Carré (Illustrateur de couverture), Michelle Charrier (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2008  -  livre
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Le Glamour

Après Le Prestige, La Séparation, Les Extrêmes, Christopher Priest – décidément adepte des titres courts – revient chez Lunes d'Encre avec Le Glamour, nouvelle mouture d'un roman au destin éditorial erratique. S'il n'a été publié qu'une fois en France en 1986 dans la collection Ailleurs & Demain, sous le titre Le Don, il en est déjà, en Angleterre à sa quatrième édition. La dernière, traduite ici par Michelle Charrier, date de 2005. Elle est, selon l'auteur, la forme la plus aboutie de ce roman au long cours.

Trompe l'œil

Comme ne le suggère pas la couverture de Benjamin Carré, qui, avec son hybride de Garbo et de Veronica  Lake, semble ne pas avoir lu le livre, Le Glamour ne va pas vous emmener dans un univers hollywoodien de strass et de paillettes.

C'est dans une clinique privée qui domine la lande du Devon que nous faisons la connaissance de Richard Grey. Cadreur, spécialiste des zones de guerre où sa bravoure lui a valu une solide réputation, il récupère lentement de ses blessures. Il y a plusieurs mois, il a été l'une des malencontreuses victimes d'un attentat qui a ensanglanté les rues de Londres. Soufflé par l'explosion d'une voiture piégée, brûlé au dos, blessé, Grey soigne sa chair, mais peine à recouvrer la mémoire. Des quelques semaines qui ont précédé l'explosion, il n'a conservé aucun souvenir.

Aussi ne reconnaît-il pas la discrète jeune femme qui se présente un jour. Elle dit s'appeler Susan Kewley, et prétend avoir été sa maîtresse, précisément pendant cette période. Ils venaient de rompre, mais la jeune femme semble encore accorder beaucoup d'importance à leur relation. En dépit des sentiments mitigés que lui inspire Susan, Richard Grey va s'accrocher à ses rares visites et ne plus, dès lors, lâcher  l'extrémité du fil d'Ariane qui va le guider vers la recouvrance de ses souvenirs.

Il a rencontré la jeune femme dans un train qui les emmenait vers Nancy. Ils se sont plu immédiatement, et ont passé quelques semaines de vacances en France, mais la présence en creux de Niall, l'ex-amant de Susan dont elle ne parvenait pas à se défaire, a fini par les séparer.

Sauf qu'il n'en est rien.

C'est Susan qui l'a reperé pour la première fois. C'était à Londres dans un pub d'Hampstead, alors qu'elle était avec Niall. Richard, pourtant dragueur impénitent, ne l'a absolument pas remarquée. Tout simplement parce que la jeune femme était alors invisible. Car Susan, tout comme Niall, a le Glamour.

Perspectives

Christopher Priest, c'est avant tout une voix. Une écriture dépouillée, dont la beauté simple appelle à une plénitude qui convient bien à ces landes pluvieuses du Sud de l'Angleterre dans lesquelles il aime à planter le décor de ses histoires. Avec un tel refus du spectaculaire, mettre l'invisibilité au centre de son intrigue est un délicieux paradoxe qui conditionne tout entier l'approche du Glamour.

Pourtant, s'il est une thématique "priestienne", celle-ci semble s'imposer d'évidence. Lui, l'auteur du faux-semblant, ne pouvait manquer de s'y intéresser. Comme toujours, il nous entraîne dans une lecture à multiples niveaux.

Sorte de thriller psychologique étrange et décalé, Priest nous y propose avant tout un questionnement sur l'identité et la mémoire. Sommes nous ce dont nous nous souvenons ? Question à laquelle il ne pouvait répondre que de manière biaisée. Notamment lorsque Richard Grey accepte que certains de ses souvenirs soient faux. Mais jusqu'à quel point ? Jusqu'où transiger avec sa mémoire ? Et a-t-on le pouvoir de se réinventer dans l'oubli ? Autant de questions que, fidèle à son habitude, Christopher Priest, laissera ouvertes. Comme il le dit lui-même : « Mon travail de romancier c'est de faire travailler un peu le lecteur. »

Si nous nous situons nous-mêmes par rapport aux souvenirs que nous avons de nous, il est logique que nous n'existions aux yeux du monde que par la trace que nous laissons dans la mémoire des autres. Étrange, alors, d'avoir tout d'abord intitulé ce roman Le Don lors de sa première sortie en France. Car il est clair, que le détenteurs du glamour sont frappés d'une lourde infirmité. Celle d'être si discrets, que le commun des mortels ne les remarque même pas. Manière astucieuse de remettre au goût du jour la vieille scie de l'invisibilité. Une invisibilité qui relève ici d'une sorte d'oubli instantané, et nous interroge sur l'anonymat et l'exclusion poussés jusqu'à la réification, et mis en valeur par ce triangle amoureux, classique.

Et enfin, Priest s'amuse avec une de ces mises en abyme dont il est familier et qui évoque le jeu trouble avec la réalité qu'il menait déjà dans La Fontaine pétrifiante. Roman avec lequel Le Glamour entretient d'ailleurs un cousinage de forme indéniable. Toutefois, et bien que maîtrisé de bout en bout, il n'en a pas l'étrange puissance onirique, tout comme il n'a pas tout à fait la force du Prestige ou de La Séparation. Avec un soupçon de cruauté on pourrait dire qu'il constitue un entre-deux plaisant, mais qui vous laissera sur votre faim.
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