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Le Mal-venu

Pierre Dubois (Scénariste), Scarlett Smulkowski (Coloriste), Xavier Fourquemin (Dessinateur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 06/06/2008  -  bd
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Le Mal-venu

La Légende du Changeling est un conte merveilleux, mais sa poésie est avant tout née d’une rencontre. Celle de Pierre Dubois avec le dessinateur Xavier Fourquemin. Né à Charleville dans les Ardennes, en 1945, Pierre Dubois n’en finit pas de transmettre ses connaissances du « petit peuple ». Ce buissonnier professionnel et confirmé fuit les sentiers battus et préfère courir la lande à la rencontre des créatures oubliées : littérature (Contes de crimes – 2000, Comptines assassines – 2008, Hoëbeke), bande dessinée (Le Grimoire du petit peuple – 2004/2005, Delcourt, Petrus Barbygère – 1996/1997, Delcourt), membre éminent du Centre de l'Imaginaire Arthurien, scénariste de téléfilms et conteur sur France 3.

Né à Neuilly sur Seine en 1970, Xavier Fourquemin développe son trait inimitable en Belgique. Il dessine la série Alban dans la revue Golem (1997, le Téméraire) qu'il poursuit chez Soleil dès 2000, et crée Miss Endicott avec JC Derrien en 2007 (Le Lombard).

À eux deux, ils ne sont ni dans nos temps modernes, ni dans les temps oubliés qu’ils explorent : un peu entre les deux…

Des fées et des hommes

Dans l’Angleterre victorienne et industrielle, la campagne s’apprête à subir l’une des plus grandes mutations sociales de l’ère dite civilisée. Les Jobson, paisible famille du Dartmoor, habitent une des fermes du squire Ingolsby. Mais alors qu’ils confient à leur fillette Sheela la garde de leur nouveau-né Peter, ce dernier disparaît. Sa mère Betty implore les fées qu’elle rend responsables de l’enlèvement. Peu de temps après, un bébé réapparaît à la porte des Jobson. Ce n’est pas Peter mais qu’importe, les fées ont rendu l’enfant à Betty. Quelques années plus tard, Peter, alias Scrubby, est un garçonnet insouciant qui passe son temps dans le Wistman’s Wood au milieu des plantes et des animaux, avec le vieil ermite ami des pixies et des fées. Sa vie bascule lorsque ses parents doivent quitter le Dartmoor pour grossir les flots ouvriers des bas-fonds londoniens.

Bien loin des clichés du genre…

Un enfant perdu, la vie miséreuse des faubourgs hideux du Londres industriel et une féerie omniprésente… Cela pourrait bien rappeler le Peter Pan de Loisel. Mais il y a Pierre Dubois et Xavier Fourquemin. Et la ressemblance tourne court. La Légende du Changeling est loin d’être une énième histoire de fées : l’elficologue teinte son scénario de bulles narratives comme il en existe peu dans le genre. Il y transpire cette érudition grisante au travers d’énumérations étourdissantes : un toc contagieux que Fourquemin reprend au travers de planches généreusement fournies en créatures du « petit peuple ». Mais cette abondance est subtilement distillée dans une histoire écartelée entre ruralité nonchalante et urbanité crasseuse. Car à travers la campagne désertifiée, c’est l’inexorable décadence de la civilisation humaine que décrit Dubois. Parallèlement, la tension monte dans le combat que se livrent les puissances cachées de l’autre monde.

Le message de Dubois paraît surfait : ouvrir les yeux plus grand et regarder plus loin. Mais ne vous fiez pas à son angélisme écologique. Dubois milite pour le retour du merveilleux qui habite la nature. Dans la digne lignée de La Vieille femme qui habitait dans un soulier  (Comptines assassines – Hoëbeke, 2008), il glisse derrière chaque arbre et chaque rocher des valeurs ancestrales et les souvenirs du temps où les hommes et la nature ne faisaient qu’un.

Un dessin très inspiré

Fourquemin est un magicien du trait. Il travaille sur la nervosité et l’épaisseur des contours soulignés de noirs denses pour les ombres. On y trouve une approche artisanale qui laisse libre court à l’évocation et à la suggestion. La mise en couleur ne trahit pas cette démarche : pas d’effet technique ni de prouesse de graphiste amphétaminé. Simplement des dégradés savamment lavés et de multiples nuances de verts, des mauves lointains et discrets qui accompagnent les perspectives. Fourquemin privilégie les ambiances de quartier plutôt que l’hyperréalisme architectural, et préfère la rêverie d’une clairière à l’authenticité botanique. Il n’hésite pas à s’attarder sur un ciel étoilé ou une prairie du Dartmoor balayée par le vent.

Un parcours initiatique illustré

Guidé par un Pierre Dubois qui connaît le Londres victorien comme sa poche, Scrubby cherche dans chaque recoin de la ville inhumaine l’empreinte d’une nature confinée. Son innocence d’enfant n’est pas forcément synonyme de crédulité. À l’image de ce double insaisissable qui le suit lors de ses promenades, le mystère de ses origines lui confère une profondeur qui résonne en nous tous. L’intuition que les liens viscéraux qui nous unissent au monde naturel ne demandent qu’à ré-émerger de l’épaisse couche d’oubli qui les recouvre…

Et le chemin de Scrubby promet d’être long, rude et tout droit sorti d’un roman de Zola. Fourquemin affectionne le dessin des rues sordides et des bicoques de bois rongé des bas quartiers, des forêts énigmatiques aux arbres noueux et aux sous-bois bruissant de petits êtres vaporeux… Sous sa plume, visages espiègles, frimousses, gueules crochues, nez fins ou en trompette et sourires édentés côtoient les faunes voûtés et les mannikins tordus. Un véritable bestiaire d’écorchés, où chaque être et chaque plante recèle les traits dissimulés du « petit peuple ».

Un retour aux sources réussi

Véritable paysagiste des fées, Dubois synthétise les croyances et les folklores des peuples pour en exprimer la moelle : le lien intime mais souvent rompu qui unit les hommes à leur environnement et leur territoire.

Ce premier opus de La Légende du Changeling est une petite merveille du neuvième art, mais il n’échappe pas à la règle douloureuse du tome 1 : l’intrigue se campe lentement et laisse peu de place à la surprise : en bref, on aurait aimé un peu plus de magie. Toutefois, la malice et l’excellence scénaristique de Pierre Dubois confèrent au Mal-venu un rythme sans temps mort et surtout, la puissance d’un conte universel.

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