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Le Pays de non-vie

Ange (Scénariste), Stéphane Paitreau (Coloriste), Sylvain Guinebaud (Dessinateur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/10/2004  -  bd
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Le Pays de non-vie

C'est en train de devenir une nouvelle tradition de la bande dessinée: les séries dont la continuité n'est assurée que par le scénariste, tandis que le dessinateur change à chaque épisode. Largement diffusée par la série des Donjons et plus récemment par Monster Allergy, ce mode de conception revêt un intérêt évident pour les éditeurs : voici un moyen de produire beaucoup, en peu de temps. Or, on le sait, les dessinateurs sont d'un naturel flemmard, et les lecteurs des gens boulimiques et versatiles... De quoi assouvir l'appétit de la nouvelle faune qui achète de la bande dessinée donc. Soit, pourvu qu'il y ait du répondant du côté du dessin. Or succéder à Alberto Varanda (qui a dessiné le premier tome de La Geste des chevaliers-dragons) n'est pas chose facile. Philippe Briones, avec les dons d'animateur que l'on sait, s'en est tiré plus qu'honorablement pour Akanah (La Geste des chevaliers-dragons -2). Cette fois, c'est à Sylvain Guinebaud qu'a été offerte la charge du dessin pour Le Pays de non-vie. Une succession difficile à assumer, mais au vu du carnet de croquis disponible à la fin du deuxième tome et de la splendide couverture de ce troisième opus -qui donne bigrement envie de voir ce qu'il y a à l'intérieur- on pouvait a priori se frotter les mains... Remarqué pour ses dessins dans Harkhanges (scénarisé par Froideval), Sylvain Guinebaud s'offre enfin pour sa deuxième BD une série avec un scénario -un vrai- et l'inamovible Ange aux manettes. Alors, parez pour une visite guidée ?

"On dit que rien ne repousse après les soeurs de la vengeance"

Par leur simple présence, les dragons corrompent tout : les plantes, les animaux, les corps et les esprits. Aucun n'élément n'échappe aux effets dévastateurs du veill, et la proximité des dragons agit aussi bien sur la nature de vulgaires caillloux qu'elle a tôt fait de transformer en précieux cristaux. Une manne pour les "chasseurs de veill" qui s'enrichissent en récoltant ces joyaux. Pas de danger quand il s'agit de venir se partager les restes d'un saurien tombé sous les coups d'un chevalier-dragon, ou pire: des soeurs de la vengance. Mais la profession peut aussi se révéler des plus dangereuses quand on agit avec précipitation : la concurrence aidant, les chasseurs de veill sont forcés de prospecter au plus près des aires de dragons, au risque de tomber sous leurs griffes.

Malgré son jeune âge, la petite Eléanor se révèle une apprentie très douée dans le métier. Rejetée par ses parents, c'est auprès de son oncle Haïrin qu'elle apprend le plus. Mais ce qui la fascine vraiment, c'est la venue d'un chevalier-dragon dans la région. Une venue qui laisse présager les pires ennuis, car les membres de leur caste ne se déplacent que lorsque des signes d'un dragon ont été repérés. Sauf que dans le cas présent, il s'agit d'une erreur : une forme de peste prise pour une manifestation du veill. Mais lorsque Mara, le chevalier-dragon s'apprête à repartir, elle découvre que d'autres signes inquiétants proviennent de la région des Crocs d'ébène. Une région dans laquelle vient justement de s'échouer la famille de la petite Eléanor...

"Le veill [...] je peux t'assurer que nous sommes en plein dedans"

En nous présentant dans ce troisième volet la jeunesse de Mara et l'enfance d'Eléanor, Ange a décidé de tracer un pont avec l'épisode précédent. Pour autant, la valeur de cet épisode en tant de tome indépendant n'est nullement sacrifiée. Ange manie toujours avec brio le découpage scénaristique : si chaque tome peut se lire indépendamment, la série s'enrichit page après page, dans une espèce de continuité émancipée de tout ancrage chronologique. Après l'ordre des chevaliers-dragons et les caprices du veill, l'auteur nous dévoile cette fois une autre facette d'un monde perverti par la présence des dragons avec son impact sur le monde minéral. La solution ultime face aux dragons : la stérilisation des terres par les soeurs de la vengeance, vient également s'ajouter aux background qui s'épanouit progressivement. L'originalité du monde décliné ici ne faiblit donc pas, bien au contraire, mais rebondit à la faveur d'une éminence jusque là insignifiante, à la façon typiqement rôlistique d'Ange.

Du point de vue du dessin, mon sentiment est mitigé. Le Pays du non-vie s'ouvre sur trois planches magnifiques qui, sans le moindre phylactère, nous révèlent beaucoup. Réciproquement, Guinebaud peine à trouver une régularité dans les traits des personnages féminins principaux de son récit: Mara et Eléanor qui sont sans doute les personnages les moins réussis du volume. Cà et là, le dessin de Guinebaud tire aussi franchement sur ses influence comics avec des clichés dignes de Jones ou de Frazetta. Mais en fin de compte, ce ne sont pas les qualités et défauts du dessin qui marquent le plus à la lecture de ce troisième tome, c'est plutôt l'insupportable velouté des couleurs et des encrages qui procure une sorte d'effet de flou et de douceur à un propos qui ne mérite que le tranchant d'une palette sans compromis. On a l'impression de regarder Apocalypse now recolorisé version La Vache et le prisonnier. C'est extrêmement déplaisant et réussit à pervertir le dessin, aussi bien que le veill pervertit le monde imaginé par Ange. Une fausse note qui gâche une partie du réel plaisir de la lecture de ce Pays de non-vie heureusement sauvé par un scénario comme toujours à la hauteur (même s'il va falloir trouver rapidement une alternative à la fin en "massacre de dragon").

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