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Les Aventures de Northwest Smith

Serge Lehman (Préface), C.L Moore ( Auteur), Georges H. Gallet (Traducteur), Sophie Collombet (Traducteur), Hervé Leblan (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2010  -  livre
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Les Aventures de Northwest Smith

Catherine Lucille Moore (1911-1987) fait partie des auteurs de SF de la première heure des pulps américains, qui ont permis de populariser le genre. Elle a  débuté sa carrière en écrivant des nouvelles pour ces magazines, principalement pour Weird Tales, qui publia sa première nouvelle, Shambleau, en 1933, qui met en scène Northwest Smith, l’aventurier de l’espace.

Les éditions Gallimard viennent de rééditer dans la collection Folio SF, sous forme de recueil, les nouvelles qui racontent Les Aventures de Northwest Smith (en même temps qu’un second volume regroupant celles consacrées à Jirel de Joiry, autre héroïne créée par C. L. Moore). Elles ont été publiées entre novembre 1933 et février 1940 dans Weird Tales, Fantasy Magazine, Leaves et Scienti-Snaps. Ces récits, présentés dans l’ordre chronologique de parution, sont précédés d’une intéressante préface de Serge Lehman, qui présente l’auteur et le contexte dans lequel ont été écrits ces textes.

L’aventurier de l’espace

Northwest Smith, Terrien hors-la-loi et baroudeur de l’espace, navigue de planète en planète, de l’astroport de Mars aux quais d’Ednes de Vénus, pour conclure des affaires quelque peu douteuses, parfois à l’aide de son coéquipier Yarol le Vénusien. Alors qu’il tente de mener à bien les dangereuses missions qui lui sont confiées, il se trouve confronté malgré lui à d’étranges créatures inhumaines des plus dangereuses et des plus puissantes, dont l’origine remonte à la nuit des temps…

Un schéma répétitif

Toutes les nouvelles du recueil – à l’exception de la dernière, Chanson sur le mode mineur, qui tient lieu de conclusion aux aventures de Northwest Smith – proposent un scénario plus ou moins identique. Cette répétition constante d’une même trame devient redondante, puisque l’on sait déjà comment va se dérouler l’histoire. Mais dans la mesure où ces nouvelles n’étaient destinées qu’à être publiées indépendamment les unes des autres dans des pulps, ce défaut est ici plus dérangeant que dans leur contexte d’origine.
Alors qu’il remplit une mission dont on ne sait rien, sinon qu’il s’agit d’affaires en dehors du circuit légal, notre aventurier se promène donc dans des lieux plutôt mal famés et dangereux. Il y rencontre une très belle femme aux formes girondes qui surgit de nulle part pour tomber dans ses bras (qu’elle soit « humaine » ou non) et lui demander de l’aide. Toujours galant et curieux, Northwest Smith, même s’il sent bien que ce n’est pas une bonne idée, accepte de lui porter secours, et se trouve alors en présence de forces ou entités supérieures qu’il doit combattre.
Par la suite, soit Smith est finalement secouru grâce à cette femme, qui connaît alors un destin funeste, soit c’est la femme qui se révèle la créature à combattre, et c’est alors le coéquipier de Northwest, Yarol le Vénusien, qui vient le sauver des griffes du monstre – à moins qu’il ne s’en tire tout seul. Cette trame un peu caricaturale, où le beau rebelle vient à l’aide de la jeune femme éplorée, qui correspond aux clichés de l’époque, est donc tout de même mise un peu à mal par Catherine Moore puisque,  finalement ce sont ces « faibles créatures » qui permettent très souvent à Northwest d’avoir la vie sauve, grâce à leur sacrifice ou leur hardiesse. Bien sûr, Smith, comme tout héros, parvient lui aussi à repousser les forces du mal. Mais contrairement aux apparences et à une première lecture rapide, où il conserve tous les honneurs et le beau rôle, on se rend compte que Moore apporte beaucoup plus de consistance qu’il n’y paraît à ses personnages féminins, qui, s’ils ne deviennent pas les sauveurs, sont donc les créatures puissantes qui donnent bien du fil à retordre à notre baroudeur.

Une écriture très expressive

Si le scénario, toujours similaire et finalement secondaire, n’est pas le point fort des textes de Catherine L. Moore, la grande force de l’auteur, c’est son aisance à décrire l’ambiance pesante que l’on retrouve dans chaque nouvelle. Ainsi, toute la terreur et l’horreur éprouvées par Smith devant l’inconnu et l’incompréhensible sont parfaitement bien retranscrites. Shambleau, la première et la meilleure nouvelle du recueil, en est un exemple frappant.
Ce n’est donc pas étonnant que Lovecraft ait grandement apprécié le travail de Moore, comme nous l’indique Serge Lehman dans sa préface. Les textes de Moore ressemblent à ses propres textes, même Lovecraft lui reprochait le peu de vraisemblance des univers qu’elle utilisait comme décors. Il est vrai qu’il n’y a presque aucune description des mondes dans lesquels Smith évolue, les Terriens, Vénusiens et Martiens sont tous des humains, l’air est partout respirable, et la seule technologie apparente est celle du pistolet thermique de notre héros. Yvala, nouvelle dans laquelle Northwest et Yarol sont engagés pour une expédition sur un satellite de Jupiter qui abrite une jungle dense et inquiétante, s’avère le texte où le monde traversé est le mieux décrit.
Au-delà de ces invraisemblances, les textes de C. L. Moore sont donc empreints d’une atmosphère particulière et  bien amenée, qui nous plonge dans l’horreur de cette « étrangeté » à laquelle Smith est confrontée. Ce qui à la fois facilite et complique l’écriture de ces nouvelles, puisque d’une part comme les perceptions de l’aventurier ne sont pas « racontables », on ne sait jamais réellement de quoi il s’agit, cela reste toujours mystérieux, mais d’autre part Moore se voit dans l’obligation d’utiliser toujours un peu le même vocabulaire pour décrire l’inconcevable, avec des termes comme « nébuleux », « intangible », « impondérable », « bizarre »… ce qui rajoute à l’impression de « déjà-vu » lorsque l’on lit toutes ses nouvelles à la suite. De plus, quand Smith lutte contre l’entité, on ne sait jamais vraiment comment il parvient à gagner, si ce n’est par l’effort de sa volonté : « Il ne sut pas comment cela se produisit, mais soudain il ne flotta plus, désincarné, dans le néant. Brusquement, il brisa les liens qui le séparaient de la réalité. ».
A chaque fois, horreur et beauté sont liées inextricablement, constituant l’essence même de ces créatures. Mais il s’agit d’une beauté insupportable pour l’homme. Dans La soif noire, le maître des lieux, l’Alendar, a créé des créatures tellement belles que l’homme qui les regarde devient fou. Dans Shambleau, la beauté est liée à la mort, car celui qui se trouve confronté à cette extase physique et psychique trop forte devient dépendant jusqu’à la destruction, dans un mélange de plaisir et d’horreur. C’est un processus de fascination, comme dans Yvala, où les hommes ne peuvent résister à l’attirance de la créature.
Catherine L. Moore est experte dans l’art de décrire l’indescriptible, nous faisant entrevoir ce que l’aventurier de l’espace ressent, en maniant l’effet d’angoisse plutôt que l’horreur véritable et en laissant place à l’imagination plutôt qu’à des descriptions précises.

Au cœur de la mythologie

Les créatures qui revêtent une forme presque humaine, mais à chaque fois tout de même légèrement différente, sont inspirées par nos mythologies. A l’image du Mythe de Cthulhu – là encore on comprend l’attrait de Lovecraft pour les textes de Moore – ces entités très anciennes, venues de la nuit des temps, d’autres mondes et d’autres espaces-temps, se réveillent pour se nourrir des émotions, pensées et sensations des hommes.
Dans Shambleau, c’est le mythe de Méduse qui est revisité et associé au vampirisme physique et psychique. Presque toutes les créatures inventées par C. L. Moore présentent d’ailleurs une forme de vampirisme. Elles se nourrissent de l’esprit humain, en y puisant leur vitalité. Mais lors de ce phénomène, un échange se crée, et Smith partage en partie les pensées de la créature. Dans Juhli comme dans La Soif noire, il voit ainsi les univers dont sont issues ces entités, sans toutefois vraiment les comprendre. Il est le jouet de forces qui le dépassent. Dans Rêve écarlate, les monstres atteignent les hommes dans leur sommeil, à travers leurs rêves, par le biais d’un artefact. Northwest leur échappe de peu, mais avant cela devient lui-même un peu vampire puisqu’il est contraint de se nourrir de sang durant sa captivité.
Avec La soif noire, on pense au labyrinthe créé par Dédale, une suite de couloirs sans fin dont on ne ressort pas. Cette sensation de perdition et d’étouffement est très bien décrite par l’auteur. D’autre part le nom de ces déités est toujours d’une très grande importance. C’est la prononciation de leur nom qui leur donne vie. Mais ce terme est très souvent incompréhensible par les humains, inscrit avec des motifs obscurs (Le dieu gris et froid, Rêve écarlate). Ce fonctionnement fait référence à des mythes anciens, qui racontent que si l’on prononce le nom d’un quelconque dieu, on fait ainsi apparaître celui qu’on a appelé.
Tout comme dans les textes de Lovecraft, la créature a été réveillée par les hommes, un passage vers leur univers a été ouvert. Dans Juhli, c’est la jeune femme Apri qui l’a invoquée malgré elle ; dans Poussières des dieux, Northwest et Yarol ont pour mission de retrouver les restes d’un dieu pour tenter ensuite de lui redonner vie ; dans La nymphe des ténèbres, c’est la fille d’un dieu et d’une vénusienne qui sert de clé – nouvelle d’ailleurs la plus positive du recueil en quelque sorte, puisque les forces en question ne s’avèrent pas aussi maléfiques que dans les autres textes. Et les passages qui s’ouvrent amènent à ce que Lovecraft appelle des « espaces non euclidiens », incompréhensibles pour l’homme : « Il se rendit compte, sans en comprendre la raison profonde, que certains édifices aux angles bizarres, certaines rues tortueuses, qui ne pouvaient avoir de sens aux yeux d’un homme ordinaire, étaient dessinées à l’usage de ces êtres glissants. ».
Dans L’Arbre de vie, c’est bien sûr la légende du même nom qui est évoquée, mais comme force maléfique qui se nourrit de la vie des êtres humains. Le mythe de Circé, qui transforme les hommes en animaux et celui des sirènes servent de référence à Yvala, celui des loups-garous à La femme-garou bien sûr, et Paradis perdu, la nouvelle peut-être la plus poétique et triste de toutes, s’intéresse aux Sélénites, ces habitants de la Lune dont la légende a si souvent inspiré de nombreux écrivains.

La peur des ténèbres et de l’inconnu

Ce recueil permet de redécouvrir un auteur marquant de l’univers de l’imaginaire, et notamment la nouvelle Shambleau, devenue un classique. Il est cependant à consulter seulement en y piochant de temps en temps, car ces textes ne sont pas faits pour être lus d’un seul tenant. Chaque nouvelle des Aventures de Northwest Smith comprend bien des niveaux de significations, et des références à quantité d’éléments des mythes que nous connaissons. La grande qualité des textes de C. L. Moore est de nous faire ressentir cette terreur primaire qui existe depuis toujours, devant ce que l’Homme ne comprend pas, et lorsqu’il remplit les ténèbres de son imagination.

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