S.M. Stirling est soi-disant un spécialiste reconnu, « un maître » des univers parallèles pour reprendre la quatrième de couverture. « Parfaitement construits » ajoute celle-ci et même « provocants »… ça pour provoquer, ils provoquent : rarement lecteur n’en aura autant voulu à un bouquin…
En quelques mots : l’histoire
En 1878 s’abat sur la Terre une pluie de météorites qui plonge l’hémisphère nord dans un hiver de plusieurs années faisant exploser les empires en place et favorisant l’émergence de nouvelles puissances. La majorité de la population meure des conséquences de ce cataclysme : barbarie, régression, cannibalisme. Laissant une Grande-Bretagne ravagée aux mains d’anthropophages, l’aristocratie rejoint l’Inde ou l’Australie pour y créer un nouvel empire.
En 2025, le gros méchant, un russe anthropophage servant une déesse dont le seul but est d’annihiler toute trace de vie, va s’attaquer au super gentil ainsi qu’à sa sœur jumelle. Le premier est officier servant l’empire britannique, l’autre est astronome et désire observer le ciel afin de prévoir une potentielle prochaine giboulée de comètes…
Un parfum d’inédit : l’Inde
Ce roman possède quelques qualités indéniables : il est relativement court et est servi par l’originalité du décor et l’apparente tangibilité de l’uchronie. Malheureusement, tout cela se résume en quinze pages d’appendices qui sont au final les seules dignes d’intérêt.
Trés rapidement, ça se gâte...
De gros problèmes de traductions plombent le récit. D’ordre général, le lecteur s’englue dans un style lourd et poussif. On flirte avec l’illisibilité dans les scènes d’actions. Alors qu’elles devraient rythmer le roman, elles sont confuses voire carrément brouillonnes. Ce qui d’ailleurs ne peut pas être le seul fait du traducteur, Stirling est capable de s’appesantir sur quatre lignes pour décrire un homme qui tire quelques flèches alors qu’on laisse en plan certains protagonistes qui sont au cœur de l’action pendant plusieurs paragraphes…
Problèmes de traductions : florilège
Le vocabulaire technique n’est pas maîtrisé. Page 104 : « Elle tourna jusqu’à ce que la roche crisse, puis transféra dessus l’accroche de son harnais et se laissa pendre un peu en arrière le temps d’en poser deux autres et de passer la corde au travers des œillets.» Le terme «œillets» est impropre lorsque l’on pratique l’escalade, on utilise des mousquetons – question de solidité.
Page 208 : « Ibrahim se redressa, déroula la corde à nœuds solide et mince qu’il portait en cartouchière et fit osciller le petit grappin fixé à l’extrémité. Celui-ci possédait trois crochets, dont le fer était recouvert d’un caoutchouc décoré de chevrons, un raffinement qui lui avait valu des éloges admiratifs chez Elias tout en suscitant la convoitise non dissimulée de certains comparses. L’objet fendit l’air en tournoyant une douzaine de fois tandis que l’Afghan laissait filer la corde entre ses doigts. Puis il souffla bruyamment – Han ! – quand il le lança vers le haut. La ferraille s’envola comme une chauve-souris dans la nuit, suivie par la ficelle sombre, et disparut entre deux créneaux. Ibrahim se recula et tira dessus avec précaution, prêt, si les crochets n’avaient pas pris, à voir retomber l’instrument. Quand celui-ci s’agrippa, il accentua la tension pour planter solidement les crochets là où ils se trouvaient avant de tenter d’y accrocher son poids. ». Ici, pour ne pas répéter une fois le mot « corde » Edith Ochs utilise « ficelle », ce terme ne peut être non plus accepté : avec des ficelles on fait du bricolage ou des strings mais certainement pas risquer sa vie à plusieurs mètres du sol. Par contre elle laisse beaucoup plus de « crochets » ou « accrocher » qui écorche l’oreille.
Ensuite, petit problème de calcul : Page 234 : « - Combien de fois avons-nous eu cette discussion, Pratap ? - […] voyons… trente-sept ans… cela doit faire en moyenne au moins tous les trois jours… plus de cent mille fois. Personnellement j’arrive difficilement à plus de 4 500 fois, et vous ? »
Puis du contresens absolu : Page 237 : « Trente-sept deux, indiquait l’instrument qu’il secoua énergiquement pour faire redescendre le mercure avant de le remettre dans le verre au chevet du lit. […] Cette fois la poussée de fièvre était moins forte et elle se mit à transpirer plus vite. »
Des phrases qui ne veulent rien dire : Page 256 : « Son Empereur – de même que son Prince, d’ailleurs – est-il fou ? »
Enfin, des noms de personnages qui s’intervertissent en court de route : Page 322 : « Henri sentit que Charles allait se précipiter vers son père, et réussit, sans relâcher son attention, à reculer de quinze centimètres la crosse de son fusils pour la fourrer dans l’estomac du jeune homme, juste sous les côtes flottantes, ce qui stoppa l’élan d’Henri. » Vous avez tout suivi ? Alors on continue le dépeçage :
Mais le pire, c’est le fond !
Stirling nous garde une surprise de taille pour les dix dernières pages. Tout ce que le lecteur avait pu redouter comme pirouettes faciles, marivaudages de bas étage et coups de théâtres convenus, il les a osés, même des choses qu’on ne s’attendait plus à trouver dans un roman écrit en 2002.
En vrac : l’ambassadeur français est en réalité le prince que doit épouser la princesse britannique, ça tombe bien, ils s’aimaient tous les deux ! / la sœur du Lancier aime le fils l’empereur mais ne veut pas être une simple maîtresse parmi tant d’autres, rien à foutre des convention ! même si elle n’est pas de haute extraction, elle sera quand même impératrice / le héros, quant à lui, trouve l’amour et en même temps sauve de la folie sa dulcinée en la dépucelant / bien entendu le méchant cannibale russe est mort, les plans infâmes de son dieu réduits à néants / et l’afghan que les héros avait épargné s’avère être lui aussi un prince dans sa patrie et non pas le simple voleur que l’on croyait depuis le début…
Ça a l’air cucul la praline aligné ainsi hein ? A lire c’est bien pire !
Happy end globale => exaspération totale => chronique brutale
L’histoire se conclue sur une note supplémentaire de bonheur tout rose : l’attente d’un heureux événement, l’acceptation dans une nouvelle famille et d’une nouvelle patrie pour la jeune russe, bref amour et bonheur made in DisneyLand.
Il va quand même falloir que les auteurs et leurs éditeurs se demandent si ils ont vraiment quelque chose à raconter. A quoi bon – sauf être un ennemi juré de la sylve – abattre des arbres afin de noircir 370 pages dont la seule idée intéressante se résume à un synopsis tenant sur un coin de nappe en papier d’un resto chinois ? Le reste n’étant que stéréotypes, manichéisme et poudre aux yeux.
On ne peut que s’interroger : comment un texte aussi minable a pu être retenu par une éditrice qui a publié par ailleurs Perdido Street Station de China Miéville et L’ombre du Shrander de M.J. Harrison ? On aurait compris et pardonné d’office une grosse fantasy commerciale de 898 pages pour renflouer les pertes probables du Harrison mais là… ce n’est pas possible, Bénédicte Lombardo n’a pas du lire ça en entier. C’est d’autant plus rageant qu’avec les livres précédemment cités, elle était en train de donner certaines lettres de noblesses à une maison d’édition qui avait au mieux la réputation de faire du roman populaire.
Bref, ça sent bon le razzi !
Au final on ne peut même pas en vouloir à la traductrice d’avoir bâclé le travail, cette chose n’aurait jamais du voir le jour. Son géniteur - tout lecteur aura dorénavant du mal à le considérer comme un auteur mais plutôt comme une machine à pisser du cliché – devrait avoir honte de prendre son public potentiel pour un ramassis de dégénérés du bulbe.
Et histoire de gueuler un bon coup sur tout le monde, la prochaine fois que Marc Duveau propose un roman de Stirling, faites un Eddings à la place, au moins, ça rapportera quelque chose (même si les droits d’auteurs ne doivent pas évoluer dans les mêmes sphères).
Finissons quand même sur une note positive…
A tous ceux qui ont une certaine exigence et au lieu de prendre définitivement Rendez-vous ailleurs, allez plutôt faire chauffer vos neurones à L’ombre du Shrander.
La Chronique de 16h16