Né en 1975 en Angleterre, Matt Haig s’est tourné vers l’écriture après s’être essayé à plusieurs métiers, dont le journalisme. Ses livres, pour la plupart encore inédits en France, traitent généralement de la famille sous des angles très originaux.
Son sixième roman, Les Radley, a reçu un accueil favorable de la critique et ses droits ont été vendus dans vingt pays. Il sera prochainement adapté au cinéma par le réalisateur Alfonso Cuarón.
Une famille de vampires bien sous tous rapports…
Dans la paisible petite ville anglaise de Bishopthorpe, les Radley semblent être des gens bien ordinaires, mais derrière les apparences, rien n'est plus faux… Car notre charmante famille moyenne et sans histoires, papa docteur, maman au foyer, flanqués de deux gentils enfants, tous affligés de problèmes de santé qui les obligent à se couvrir d'écran total et les laissent dans un état de faiblesse permanent, est en réalité un petit nid de vampires !
Or Monsieur et Madame Radley, vampires abstinents soucieux de normalité, cachent leur véritable nature envers et contre tout à tout le monde, y compris leurs propres enfants. Ceux-ci n'en peuvent d’ailleurs plus car leur santé déficiente fait de leur vie un enfer, à l'école comme en dehors. Et les brimades que leur font subir certains de leurs camarades finissent par déclencher un engrenage qui va bouleverser l’ordre si difficilement établi par leurs parents.
Sans compter que l’oncle Will, le frère de leur père et vampire pratiquant sans aucune inhibition, n’attend que l'occasion de venir briser leur petite bulle soigneusement entretenue…
Une famille frustrée et prête à imploser
Dans Les Radley, le vampirisme est l’occasion pour Matt Haig d’explorer avec subtilité le thème de l'abstinence et la frustration qui en découle. La soif de sang, qu'ils en soient ou non conscients, met tous les membres de la famille en porte-à-faux par rapport à eux-mêmes, et à leur véritable nature.
Pour les deux adultes, c’est leur couple que cette frustration met le plus fortement à l'épreuve. Leur désir désespéré de se couler dans le moule de la petite communauté de Bishopthorpe les a éloignés l'un de l'autre. En niant leur nature de vampires, ils se sont égarés eux-mêmes et ont perdu ce qui les rapprochait.
Quant aux deux enfants, Rowan et Clara, la soif de sang exacerbe leurs désirs d'adolescents, mais les maintient dans l’impossibilité de les exprimer. C'est un inconnu qui les taraude sans qu'ils en aient conscience, une métaphore des angoisses de cet âge bien ingrat, où l’on a conscience de vouloir autre chose sans comprendre exactement quoi.
Dans les deux cas, le manque de sang agit comme un révélateur des frustrations, des désirs, et des angoisses des membres de la famille Radley. L'inanité du choix des deux adultes leur éclate à la figure. Le secret, comme la soif de sang pourtant essentielle à leur vitalité, ronge de l'intérieur cette petite famille, jusqu'au point de rupture…
Le vampirisme, cette maladie…
L’un des aspects les plus passionnants des Radley est le traitement du vampirisme comme d’une pathologie. Non pas comme d’un fléau s'abattant sur le monde, mais comme d’une forme d'addiction. Prétendre une maladie pour dissimuler une nature différente n’est d’ailleurs pas nouveau dans les histoires de vampires, mais faire du sang une drogue puissante dont on peut, difficilement, se passer l’est beaucoup plus. Et ironiquement, le manque de sang fait naître chez les membres de la famille Radley des symptômes qui font penser à une maladie chronique.
Car les Radley sont des vampires abstinents, dont le mode de vie est proche de celui des anciens alcooliques. Ayant réussi à dépasser leur ancienne addiction, ils n'en ressentent pas moins la soif qui les taraude au quotidien. Le livre est d'ailleurs truffé de citations d'un imaginaire « Manuel de l’Abstinent », dont les extraits résonnent comme des mantras dans les moments critiques où l'envie de sauter sur autrui et de boire goulûment leur sang se fait la plus forte chez les Radley.
Les enfants, ignorants être des vampires, pensent d'ailleurs vraiment souffrir d'une étrange maladie. Leurs parents ayant tellement renié leur propre nature, ils ne soupçonnent absolument pas la vérité, malgré leurs symptômes pourtant évocateurs.
Une vision composite de la société vampire
Loin des clichés sur les vampires, qui apparaissent généralement soit extrêmement sexy et glamour, soit comme des créatures profondément maléfiques, Matt Haig les décrit comme des êtres ordinaires, ayant les mêmes désirs, outre celui du sang, que les humains. Bien sûr, les vampires pratiquants, comme Will, le frère de Peter, sont proches de leur image traditionnelle. Mais ils constituent une minorité bien cadrée, soumise également à certaines règles.
C'est dans cette pluralité des comportements que réside l'un des aspects originaux de ce livre, la société vampire étant décrite comme composite, avec plusieurs styles de vie possibles, et aussi ses déviants. On est donc loin de l'image uniforme que nous assènent la plupart des livres.
Et en résistant à la soif de sang, c’est en fait le mode de vie symbolisé par Will que les Radley cherchent à fuir. Voyant que cela les a menés à une impasse, ils devront faire le choix entre continuer à nier leur nature et vivre à moitié, ou devenir de redoutables prédateurs sans foi ni loi. Ou peut-être trouver une autre voie…
En résumé, dans Les Radley, Matt Haig se joue des clichés sur les vampires et crée une histoire captivante sur une famille pas comme les autres, mais pas si loin de nous. N’hésitez pas à partir à la rencontre de ces vampires si compliqués, et si attachants…!
La chronique de 16h16 !