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Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Mai 2014
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Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Mai 2014

Jack Glass. L'histoire d'un meurtrier d'Adam Roberts
 
Avec "Jack Glass. L'histoire d'un meurtrier" (Panini/Éclipse), Adam Roberts nous propose une variation virtuose de roman policier de SF avec des énigmes à résoudre partant d'un postulat de base simple : Jack Glass est le coupable ! Nous le savons, les autorités du système solaire (la famille Oulanov assistée de cinq autres grandes familles) le savent, toute la population – quelques centaines de milliards de pauvres, survivant entassés, dans des conditions précaires, dans des bulles de plastique flottant dans l'espace en grappes  – le sait. Mais qui est Jack Glass ? Comment réussit-il à commettre ses forfaits ? Et, surtout, pourquoi ? Les réponses à ces questions vont nous tenir en haleine pendant près de 500 pages remarquables et méritent bien les deux prix prestigieux décernés à son auteur (le British SF Award et le John W.Campbell Jr. Memorial Award). Le roman se divise en trois histoires interconnectées car elles nous font découvrir à la fois Jack Glass, ses meurtres et ce système solaire surpeuplé, où une plèbe exploitée – un humain coûte beaucoup moins cher qu'un robot et se remplace plus facilement – et méprisée survit aux marges de la "Lex Oulanova", cette loi qui régit sans pitié tous les habitants du système et qui ne tolère aucune infraction – en théorie du moins... Nous commencerons par nous rendre sur un astéroïde pénitentiaire : sept prisonniers abandonnés à leur sort pendant onze ans, le temps pour eux d'aménager Lamy306 qui sera revendu ensuite avec profit par la société chargée de l'exploitation de prisonniers. Jack Glass aurait été l'un de ces prisonniers, arrêté sous une fausse identité pour d'autres délits moins graves que ceux pour lesquels il est recherché par toutes les polices et milices du système. Comment Jack s'est-il évadé alors que tous les cadavres ont disparu mais que les traces ADN prouvent indiscutablement sa présence ? Puis "Les meurtres supraluminiques" nous mettront sur la piste du Graal que constituerait la propulsion supraluminique : elle serait possible, elle aurait été découverte. Pourquoi Diana et Eva Argent, les deux sœurs héritières, génétiquement améliorées, de la grande famille Argent, descendues sur Terre pour fêter le seizième anniversaire de Diana et accessoirement pour subir un examen destiné à déterminer laquelle des deux est la plus à même de prendre la suite de leurs deux MOHmans, ont-elles un de leurs domestiques assassiné peu après leur arrivée sur Terre ? Et quel rôle joue dans cette affaire leur impassible et dévoué précepteur, Iago, alors que Diana, grande spécialiste de la résolution des énigmes en rêvant (cela fait partie de sa programmation génétique des circuits neuronaux), va s'atteler à trouver la solution au meurtre dans des conditions impossibles du serviteur. Enfin, pourquoi les Oulanov s'intéressent-ils aux deux sœurs et ce au point de dépêcher l'une de leurs plus proches assistantes, Mlle Joad, pour les questionner sur ce meurtre ? Sans oublier, bien entendu, l'énigme astronomique posée par les "Champagne supernovae" (une vingtaine peut-être), ces étoiles se transformant en supernovae alors que leur taille l'interdit, sujet de thèse d'Eva... L'auteur et Jack Glass nous apportent, là aussi, des réponses surprenantes, logiques et cyniques, qui constituent l'un des atouts majeurs de ce roman. Enfin, avec "L'arme impossible", nous sommes confrontés à un crime impossible car réalisé dans une chambre close parfaite : la bulle-habitation de Jack lui-même, au milieu de nulle part dans l'espace, avec le crime filmé en direct par un droïde scribe-archiviste inaltérable et inaltéré, prouvant que Jack n'a pas tiré ni d'ailleurs aucune des autres personnes présentes. Or le meurtrier se trouvait à l'intérieur de la bulle – la balistique le démontre –, bulle dans laquelle il ne pouvait pas pénétrer et de laquelle il n'a pu s'échapper. Jack va se retrouver dans la position étrange d'enquêter, avec l'aide de Diana Argent, sur un meurtre commis chez lui mais pas par lui alors qu'il était le seul à pouvoir l'accomplir. Là encore, Adam Roberts va réussir à nous surprendre par sa solution à cette énigme qui résout en même temps élégamment cette autre énigme que constitue la réalité ou non de la propulsion supraluminique inventée par McAuley, ce physicien de génie trop tôt disparu (clin d'oeil amusant pour tous les lecteurs de SF), ce mobile en filigrane de toutes les actions décrites dans le roman. L'auteur a créé un univers fascinant, un futur possible de notre société peu enthousiasmant mais plausible, qu'il décrit sans mâcher ses mots : bien que le livre soit écrit avec une certaine distanciation non dépourvue d'un humour très anglais, certaines scènes sont parfois assez crues, et l'auteur ne recule pas devant des détails habituellement absents (la sexualité, l'excrétion ou le découpage des cadavres par exemple) mais cruciaux dans des environnements clos à l'espace réduit. Les personnages qui gravitent autour de Jack Glass sont tous bien décrits et évoluent au fur et à mesure de l'intrigue, avec une mention spéciale à Diana Argent et à Mlle Joad. Mais bien évidemment c'est la personalité complexe et indéchiffrable de Jack Glass, un homme à la psychologie tourmentée, qui constitue le pivot central et l'intérêt majeur du livre, un individu qui devrait entrer au panthéon des personnages inoubliables de notre genre favori. Si vous aimez le polar et la SF de très haute qualité, découvrez les forfaits de Jack Glass, meurtrier génial et cul-de-jatte, aux armes de verre, vous ne le regretterez pas car c'est un roman que l'on ne peut reposer une fois commencé. 
 
 
 
Însângerat, Chroniques des stryges II de Li-Cam
 
Li-Cam fait partie de ces auteurs qui produisent peu de textes mais toujours d'une qualité extraordinaire. Je l'avais découverte en lisant "Lemashtu", le premier volume des "Chroniques des stryges" (aux Éditions Griffe d'encre), dont l'univers et les personnages m'avaient séduit par leur originalité et leur complexité psychologique. Après cinq ans d'attente vient de sortir "Însângerat, Chroniques des stryges II" (toujours chez Griffe d'encre). Et l'attente en valait la peine ! Nous retrouvons cette Terre où les stryges (autrement dit les vampires) ont perdu petit à petit, au cours des siècles, les guerres menées contre eux par les humains, dont les croisades à l'instigation du Vatican, et ces créatures fières et dominatrices sont devenues de pathétiques assistés, reléguées dans des réserves où elles attendent la distribution des poches de sang qui leur permettent de survivre au jour le jour, sous le contrôle du Vatican et du gouvernement roumain. Cette déchéance s'accompagne d'une disparition de leurs élites car les vampires ont du mal à se reproduire et leurs chefs, les voïvodes, se sont éteints à l'exception de l'enfant du miracle, Lemashtu, qui, dans le volume éponyme, découvrait le monde depuis un collège londonien où il avait été envoyé pour sa protection et son éducation. Ayant échappé à des fanatiques dévoyés religieux, nous le retrouvons maintenant, alors qu'il n'est guère prêt, obligé de se rendre en Roumanie pour assumer son rôle de roi des stryges et essayer ainsi d'enrayer les guerres internes – entre clans stryges qui se méprisent et castes de stryges qui se haïssent par peur des pouvoirs de chacun, plus les tribus tziganes opprimées qui veulent rejoindre les stryges afin de rétablir l'ordre ancien du monde – et externes – rivalités gouvernementales ou internes au Vatican et en Roumanie, pressions internationales, mouvement de révolte de certaines stryges –, sans compter les buts inconnus que poursuivent son tuteur, le père catholique Fehik Alamédù, nosferat redoutable et chevalier Dragon âgé de deux cents ans, et son protecteur, le chevalier Dragon et nékurat puissant Aratar Déochetor. Face à la révolte qui gronde, ce sera à Lemashtu de faire son apprentissage de roi très vite, aidé et soutenu par ses amis humains, Arthur et Maria, et par Liegam, le jeune vampire qui ignore tout de son ascendance. C'est là que réside le talent de Li-Cam, dans le récit sans faille et superbement écrit d'une histoire où chaque personnage a un comportement dicté par son passé, accomplit sa destinée et son devoir sans faiblesse quoi qu'il lui en coûte – comme le père Alamédù avec sa nièce Kinùrat ou le chevalier Ganagobi –, où les adolescents grandissent et réalisent la complexité des rapports humains, perdent de leur idéalisme tout en faisant ce qu'ils pensent être le mieux pour eux, pour leurs amis et pour l'humanité face à la puissance séductrice des arguments d'Insângerat, celui qui veut rétablir les rapports traditionnels d'interdépendance entre stryges et humains, celui qui semble être amour tout en ne reculant pas devant les horreurs d'une guerre civile fratricide. Quant à Lemashtu, sera-t-il capable de résister à l'attrait et à l'enivrement du pouvoir absolu ? Voilà un très beau roman, très complexe, qui se lit lentement car chaque phrase et chaque mot comptent, qui se déguste comme un grand cru littéraire. Je conseille de lire les deux volumes dans leur ordre de parution afin d'apprécier pleinement l'intrigue et les réactions psychologique des personnages. Et j'espère que Li-Cam nous donnera un troisième volume avant 2019, l'attente de la suite paraît déjà longue... 
 
 
Jean-Luc Rivera

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