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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - novembre 2015
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - novembre 2015

Sherlock Le guide de la série de Steve Tribe (Bragelonne)
 
Vous l'avez sans doute remarqué mais mes mauvais goûts en matière de littératures de l'imaginaire sont très éclectiques donc je suis aussi un holmésien, plutôt du côté classique mais cela me permet aussi d'apprécier les pasticheurs de talent comme Kim Newman. En matière de série télévisée, j'ai détesté une série américaine récente qui était tellement "élémentaire" qu'elle ne ressemblait plus à rien (en particulier Watson...) mais j'ai été conquis par "Sherlock", cette série de la BBC transposant avec beaucoup de finesse Sherlock Holmes à notre époque tout en respectant les bases posées par le Canon. J'ai donc lu avec beaucoup d'intérêt "Sherlock, le guide de la série" de Steve Tribe qui vient de sortir chez Bragelonne, sous la forme d'un beau volume cartonné. L'auteur aborde tous les aspects de la série, des personnages principaux et des acteurs les incarnant aux effets spéciaux ou aux costumes en passant par les fans ou la musique. Tout est très détaillé, il y a en bonus le texte des scènes coupées, et, dans "Le palais mental", tous les renseignements possibles sur chaque épisode produit. Comme de bien entendu, l'iconographie est magnifique : beaucoup de photos des épisodes mais aussi des crayonnés, des planches des story-boards, des décors etc... J'ai appris beaucoup en lisant cet ouvrage qui vous donnera, je pense, comme à moi, envie ensuite de revoir la série avec un oeil neuf.
 
Nos années Temps X de Jérôme Wybon & Jean-Marc Lainé (Huginn & Muninn)
 
Dans le paysage de la télévision française il y a un programme qui est devenu mythique, je veux parler, bien entendu, de "Temps X" avec les frères Bogdanoff revêtus de leurs inénarrables combinaisons : enfin la SF avait son émission ! Jérôme Wybon et Jean-Marc Lainé ont eu l'excellente idée de se pencher sur l'histoire de cette émission (avec une petite introduction sur l'histoire de la SF à la télé auparavant) : "Nos années Temps X" (Huginn & Muninn) nous permet de rentrer dans le détail des émissions et la petite histoire derrière la réalisation de celles-ci. C'est souvent amusant - en particulier les anecdotes sur la production -, c'est surtout une analyse très complète du contenu des neuf saisons de "Temps X" (1979-1987) et de leur richesse, d'autant plus que les frères Bogdanoff ont laissé libre accès à leurs archives et qu'Alain Carrazé, collaborateur de la première heure, apporte sa vision des choses. Il y a, en outre, des présentations et des analyses des films, des auteurs, des séries de l'époque qui nous permettent de nous remémorer nombre de bons souvenirs. Inutile de dire que l'iconographie est extrêmement riche : beaucoup de clichés des décors et des intervenants ainsi que des images tirées de films ou d'émissions nous font revivre une décennie formidable. Ce livre s'adresse aussi bien aux spectateurs de l'époque qui se souviendront avec émotion des émissions qu'aux générations plus récentes qui pourront ainsi comprendre pourquoi leurs parents leur rebattaient les oreilles avec "Temps X" ; quant aux autres, ceux qui, comme moi, n'ont pas eu la chance de voir l'émission lors de sa diffusion (je n'habitais pas en France et les magnétoscopes étaient balbutiants et chers), ce bel ouvrage nous donne le regret de ne pas les avoir vu et le plaisir de les découvrir avec retard. Voilà un bien beau - et bien bon - livre, à un prix plus que raisonnable, alors que Noël se rapproche...
 
Au grenier des sortilèges de Jacques Baudou (Rivière blanche)
 
Jacques Baudou fait partie des meilleurs connaisseurs français de la littérature policière et de SF mais ce que l'on sait sans doute moins est qu'il s'intéresse aussi aux phénomènes étranges dits fortéens, en particulier parapsychologiques, qu'il examine au travers de sa formation scientifique. Lorsqu'il applique tout cela à l'écriture d'un roman, cela nous donne "Au grenier des sortilèges" (Rivière Blanche) qui voit la naissance d'un nouveau détective de l'étrange et du fantastique, genre que j'adore - et je ne suis pas le seul - et que Jacques Baudou connaît fort bien. Jonathan est un jeune homme cultivé, enquêteur, plutôt du genre difficile à tromper, pour le compte de la SEREM (Société d'Etudes et de Recherches Esotériques et Métapsychiques) qui évoque irrésistiblement un organisme célèbre longtemps sis place Wagram à Paris. Son patron l'envoie à Reims pour élucider le mystère d'événements sidérants au sens propre du terme. A peine arrivé à Reims, Jonathan bénéficie d'une vision aussi sympathique qu'étonnante avant d'avoir une "hallucination" auditive. Et son enquête, d'une apparition sortie tout droit du Londres du XIXème siècle victorien à des visions célestes dont il découvrira les clés, va le mener, accompagné d'Aristide Forcier, rédacteur en chef de "L'Intermédiariste", bulletin ronéoté à l'ancienne, et de M. Barbançon, historien local, sur les traces d'un mystère local datant de la Révolution. C'est l'occasion pour Jacques Baudou de mettre en valeur un certain nombre d'aspects plus ou moins connus de l'histoire de la ville et une curiosité énigmatique de la botanique locale, à savoir les faux - je vous laisse le soin de découvrir de quoi il s'agit. Racontée avec une petite pointe d'humour (ah, les vols de ptérodactyles champenois...) et un certain nombre de clins d'oeil et d'allusions aux littératures de genre (par exemple le prénom de la secrétaire de la SEREM, Yolanda, serait-elle une référence amusée et amusante à l'héroïne des romans de SF "leste" de Jimmy Guieu, grand auteur de SF populaire, fortéen et ufologue engagé ?), l'enquête se joue sur une foultitude de détails que seule la grande culture de Jonathan, Forcier, Barbançon et Baudou pouvait remarquer et comprendre. Détective légérement sceptique de l'étrange, Jonathan se trouve confronté dans cette première enquête passionnante à lire, à un mystère de l'histoire secrète de notre pays ; espérons que Jacques Baudou lui permettra de se livrer à de nombreuses autres enquêtes pour notre plus grand plaisir de lecteur.
 
Lasser dans les arènes du temps de Sylvie Miller et Philippe Ward (Editions Critic
 
Depuis ses débuts comme enquêteur attitré d'Isis en 2012,je suis devenu un fan de Lasser, le détective des dieux (vous avez d'ailleurs pu partager mon enthousiasme en décembre 2012, mars 2013 et avril 2014...). Sylvie Miller et Philippe Ward ont pris leur temps, jouant avec les nerfs de nous autres pauvres lecteurs impatients, et viennent seulement de nous donner le Lasser 2015 : "Lasser dans les arènes du temps" (toujours aux Editions Critic), pour lequel nous leur pardonnerons l'attente car il s'agit d'un roman nettement plus épais (481 pages quand même) mais tout aussi réussi, disons-le de suite, que les précédents. Comme dans "Mystère en Atlantide" , malgré l'humour toujours présent, le ton général est plus sérieux car l'heure est grave : Osiris a conclu un accord bilatéral avec Jupiter pour ériger des temples dans les deux pays. Isis, malgré l'opposition farouche de Vénus et d'autres dieux romains, a obtenu l'autorisation de construire un temple à Pompéi, or, injure suprême faite à la déesse, sa statue a été volée ! Lasser doit aller enquêter dans l'Empire Romain, accompagné de son assistante, Fazimel. Inutile de dire qu'entre les dieux romains hostiles, Mars et Vénus en tête, le général des carabinieri Totti, la Mafia et son Parrain, Don Provenzano, qui s'est pris d'affection pour Fazimel et les répétitions du théâtre voisin du temple, la tâche va être difficile pour Lasser. Mais, bien entendu, il réussira, une réussite qui lui laisse un goût amer car il a pu voir, une fois de plus, l'égoïsme infantile des dieux. Et la coupe de son amertume va déborder lorsque, trois mois plus tard, Don Provenzano va venir au Caire, sur ordre de Jupiter, pour demander à Fazimel de venir mener une enquête délicate, avec Lasser comme garde du corps, manière délicate de s'assurer de ses services sans perdre la face. Isis étant d'accord, Lasser ne peut que s'incliner et repartir pour Pompéi où tous deux vont trouver une situation bien plus difficile et compliquée que prévue puisque même les dieux sont angoissés par la menace qu'ils vont devoir identifier, au point de les laisser assister à leur assemblée. Je vous laisse la surprise de découvrir la nature de la menace en question mais elle est parfaitement logique (et ironique) dans la chronologie de la terre de Lasser, depuis le Jour de la Cohésion (spoiler pour les amateurs de clins d'oeil...) où le panthéon mondial s'est uni et permet à nos deux auteurs de se lâcher complètement : le roman est foisonnant, vu en alternance par les yeux de Lasser et de Fazimel, ce qui nous permet de mieux les comprendre tous deux. Celle-ci est d'ailleurs le personnage central de ce volume et nous irons ainsi de surprise en surprise sur ce qu'elle est véritablement... Le roman est aussi un bel hommage à Manse Everard et à Bob Morane, sur les traces desquels va marcher - mais à sa manière unique - Lasser qui découvrira ainsi des secrets qu'il vaut mieux garder cachés et rencontrera des personnages que nous croyions connaître, à tort, comme Herbert George Wells. Une fois de plus, installez-vous avec un verre de nectar picte (16 ans d'âge), inspirez l'odeur de Kyphi qui se répand et laissez opérer la magie d'Isis et des auteurs pour vous rendre dans le monde fabuleux de Lasser.
 
Steampunk Visions d'un autre futur Antoni Gadafalgh (Le Pré aux Clercs)
 
Comme certains d'entre vous s'en sont peut-être aperçus, j'appartiens à l'espèce des amateurs de steampunk,sous-genre de la SF qui a donné non seulement d'excellents romans mais qui a aussi permis à nombre d'artistes de donner libre cours à leurs talents créatifs et imaginatifs. Avec le bel ouvrage d'Antoni Gadafalgh, "Steampunk Visions d'un autre futur" (Le Pré aux Clercs), nous découvrons "31 portraits d'artistes à travers le monde". Et, en le lisant, nous réalisons que le "virus" steampunk a effectivement contaminé le monde entier : de l'Ukraine à la Chine, en passant par la Roumanie, Singapour, les USA ou la France, l'auteur nous livre des oeuvres et des visions très différentes les unes des autres, en particulier au niveau du graphisme, une richesse dans la diversité qui m'a laissé émerveillé. Certes, chacun jugera selon son goût personnel et appréciera diversement certaines illustrations mais l'ensemble forme un livre magnifique, aux reproductions soignées. Personnellement j'avoue avoir un faible en particulier pour Dysharmonia (p. 56) aux chats steampunk irrésistibles de drôlerie ainsi que pour Industrial-Forest (p. 72) dont les compositions allient la beauté des engin à une pointe d'humour. J'ai aussi particulièrement aimé "The Great Race" (p. 119) de Tom McGrath, le "steampunk chinois" beau et étonnant de James Ng (p. 156) ou les visions assez sombres de Remton (p. 188) ou celles au contraire très claires de Voitv (p. 208). Vous le voyez, le livre est très divers, c'est sa grande force et tout son intérêt, près de 240 pages d'images avec de courts textes de présentation. Encore un beau livre à faire mettre dans la hotte du Père Noël (ou à lire de suite...) !
 
Membrane de Chi Ta-Wei (L'Asiathèque).
 
La SF est une littérature universelle, qui a sa place dans toutes les cultures : en voici une fois de plus la preuve avec "Membrane",  un roman remarquable de Chi Ta-Wei (L'Asiathèque). Son auteur est profondément taïwanais mais imprégné des cultures française et américaine, qu'elles soient littéraires ou cinématographiques, ce qui donne un livre qui pose nombre de questions et développe des idées qui étaient visionnaires à l'époque où il fut écrit (1996). Dans ce monde futur où la couche d'ozone a disparu, les continents sont brûlés par le soleil et ne servent plus qu'aux industries polluantes et aux conflits entre les nations qui ont survécu en bâtissant des cités sous-marines. Nous sommes en 2100 dans l'une d'entre elles, T-ville (T pour Taipei sans doute), où Momo va fêter ses trente ans : elle est l'une des esthéticiennes les plus réputées dans une culture où protéger sa peau de toute atteinte ou de tout dommage est devenu fondamental. Momo est une solitaire qui se complaît dans sa solitude et ses souvenirs : très malade enfant - atteinte par un virus elle a passé des années en isolement dans un hôpital -, une fois sauvée par une opération très grave, elle a rompu avec sa mère, directrice d'une grande compagnie, une femme froide et distante, et s'est organisée une vie où ses seules relations sociales sont avec ses clients. L'auteur va, par petites touches, nous faire découvrir la vie présente et passée de Momo, et poser ainsi un certain nombre de questions sur ce qu'est l'identité d'une personne : l'identité sexuelle bien sûr - l'auteur est un pionnier de la littérature "queer" à Taïwan et, outre l'homosexualité qui est là parfaitement acceptée et normale, il parle déjà de ces développements récents que sont la pansexualité et l'asexualité - mais aussi l'identité humaine - qu'est-ce qui fait que l'on est humain, où commence ou où se termine l'humain, préfigurant ainsi les questionnements là aussi très actuels du transhumanisme - dans cet univers où l'on fabrique des androïdes/clones qui n'ont aucune reconnaissance légale et servent, entre autres, de banques d'organes pour leurs maîtres... Chi Ta-Wei pose aussi le problème des relations, qu'elles soient entre l'homme et son environnement - nous sommes entourés de membranes d'où le titre du livre, membranes protectrices mais aussi séparatrices, dès le début de la vie avec le sac amniotique, puis celle de la peau, celle qui forme le dôme des cités sous-marines, celle de l'océan, celle de l'atmosphère et celle des M-Skin, ces peaux artificielles qui jouent un rôle fondamental dans la vie de Momo -, ou entre personnes, et celles entre Maman et Momo ainsi que celles entre Momo et Andy, sa petite camarade à l'hôpital, (ou leur absence, et le ressenti de Momo qui conditionnera toute sa vie future) sont particulièrement poignantes. "Membrane" est à la fois un superbe roman de SF, très "dickien" dans son esprit et son intrigue, et une très belle histoire d'amour, à la chute brillante. La postface de Gwennaël Gaffric, qui a assuré la traduction impeccable du roman, apporte un éclairage bienvenu sur l'environnement social et culturel de Taïwan dans lequel l'auteur a écrit son oeuvre. Voilà un livre à découvrir rapidement !
 
Jean-Luc Rivera 
 
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