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Sayonara baby

Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/2004  -  livre
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Sayonara baby

En 1997, Fabrice Colin voyait son premier livre publié aux Editions Mnémos : Les Cantiques de Mercure. Cette évocation du messager de Zeus, de celui " qui vole aussi léger que la pensée pour remplir sa mission " augurait d'une carrière inspirée et trépidante. Depuis, ces heureux auspices ne font que se confirmer. Fabrice Colin explore tous les genres de l'imaginaire, les mélange à sa fantaisie et adapte sa plume aux enfants avec une aisance déconcertante. Les prix s'amoncellent sur son parcours : Prix des Incorruptibles 2004 pour Projet Oxatan, doublet du Grand Prix de l'imaginaire pour CyberPan et Dreamericana, Prix de la PEEP pour Les enfants de la lune, et bien d'autres encore... Il pousse toujours plus loin l'expérimentation puisqu'il se lance à présent dans le scénario de BD (deux parutions annoncées pour 2005 chez Denoël Graphic et les Humanoïdes associés et d'autres projets en cours).

Starsway to hell

A l'ouest de la vallée de la mort, un samouraï amnésique passe des mains de l'armée américaine à celle d'un groupuscule hétéroclite qui affirme ne reconnaître aucune autorité. Qui aidera cet homme à sectionner les câbles qui l'entravent et à démêler l'écheveau confus de quelques vagues flash-backs : la séduisante Estel qui au beau milieu de leur cavale laisse libre cours à leurs pulsions ? Lazare, écrivain repenti, chaman, assassin et docteur ? Et dans la guerre qui fait rage entre les Etats Unis et le Japon, quel rôle lui est assigné ?

Ailleurs au même moment ou pas loin de là à un autre moment (pour ce que les circonstances contiennent de vérité…), Kenneth, un jeune asiatico-américain cumule les ennuis : son père alcoolique ne s'est jamais remis du décès de sa femme, lui, est agressé et menacé à plusieurs reprises par des jeunes racistes et il ne parvient pas à résoudre le mystère de sa naissance. De qui viendra son salut ? De Stella, sa fiancée serveuse, elle aussi visée par les menaces, ou de Maddie sa sœur top-model qui fait fantasmer tous les garçons à commencer par lui ? D'Allan son conseiller pédagogique à l'université ou de l'énigmatique M. Fujita qui l'embauche pour qu'il nourrisse les requins de son aquarium et s'imprègne de l'Hagakure. Se pourrait-il que les révélations de sa grand-mère mourante mais qui a fréquenté les Navajos donnent un début d'explications à ce cauchemar ?

Il y a des maux sous les mots

Interzone, le titre de la première partie se réfère directement à William Burroughs et son Festin Nu. Kenneth semble régulièrement souffrir d'hallucinations : il est par exemple le seul à voir à la télé un soldat japonais engagé dans les combats. Il est victime de délires mais semble aussi avoir accès à d'autres réalités, comme sous l'emprise d'une drogue. Ses sensations extralucides lui causent de grandes souffrances. Kenneth a peut être atteint d'autres niveaux de conscience comme le suggère la mère supérieure : " L'interzone, la plupart d'entre nous la traversent sans même s'en rendre compte. "

L'insoutenable mobilité de la matière

On ressort de ce livre comme d'un film de David Lynch ; le rapprochement avec Lost Highway est d'ailleurs introduit par Fabrice Colin à plusieurs reprises. Deux réalités, chacune très changeante sont présentées et la tentation de les superposer, de les recouper est toujours frustrante. On se raccroche à quelques indices (la parenté Estel/Stella, l'impuissance de Kenneth et la toute-puissance du samouraï, etc.), on croit voir dans une partie la réécriture fantasmagorique comme une compensation de l'autre mais il reste des zones inexplicables, des sables mouvants qui engloutissent toute tentative de rationalisation. On s'est fourvoyé, on était pourtant prévenu dès la page 43 par l'explication donnée par le docteur Lazare : " Le travail du romancier […] consiste à fixer sur papier une matière toujours en mouvement. Certains donnent à cette matière le nom quelque peu galvaudé de réalité. " On assiste à un questionnement paranoïaque et à ce titre dickien, le conflit sino-américain évoquant aussi le présupposé de départ du Maître du Haut-château, sur la notion de réalité.

Bannière stellaire contre tradition solaire

Cette guerre qui oppose un bloc asiatique aux Etats-Unis et qui dévaste vraiment les fausses ruines d'une étrange reconstitution semble aussi opposer le patriotisme américain et l'attachement du Japon à ses croyances millénaires.

On peut en effet décrypter comme un credo en la mère patrie ce rappel de Maddie à son frère " c'est notre mère qui nous réunit et il ne faut pas l'oublier jamais. " Par la suite, elle s'inquiète de savoir s'il est prêt à mourir pour ses convictions.

Du côté américain, on envoie les jeunes au front (le copain de Maddie, le mari de la mère supérieure) alors que dans le camp asiatique des morts se relèvent. S'instaure un combat entre sacrifiés et kamikazes, combat qui s'enlise et ne se termine jamais parce qu'il se livre à l'intérieur de chaque être, de l'insémination à la mor(t).

Fabrice Colin s'amuse avec les clichés des films d'aventure américain (la réplique Sayonara Baby est tirée de Terminator) et rend avec une acuité exceptionnelle l'expérience vertigineuse et douloureuse de vie et de mort, aux antipodes d'un prédictible scénario hollywoodien. Il défie son lecteur de lâcher ses repères et de le suivre dans un flash éblouissant dont le prix peut être l'overdose. Congratulations Colin-san.

 

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