- le  

Stalker, pique-nique au bord du chemin

Ursula K. Le Guin (Préface), Arkadi Strougatski ( Auteur), Boris Strougatski ( Auteur), Viktoriya Lajoye (Traducteur), Patrice Lajoye (Traducteur), Bastien Lecouffe-Deharme (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Russe
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 26/09/2013  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

Stalker, pique-nique au bord du chemin

Arkadi (1925-1991) et Boris (1933-2012) Strougatski comptent parmi les auteurs russes de SF les plus renommés. Arkadi était traducteur de japonais pour l’armée russe durant la guerre, et a continué à exercer ce métier dans différentes langues par la suite. Son petit frère Boris était astrophysicien.
 
Ils sont les auteurs d’une vingtaine de romans de science-fiction : Le lundi commence le samedi, Les Revenants des étoiles, Il est difficile d'être un dieu, L’île habitée, Un milliard d’années avant la fin du monde
 
Mais leur roman le plus célèbre reste Stalker, pique-nique au bord du chemin. Son adaptation au cinéma par Andreï Tarkovski en 1979 a bien évidemment contribué au succès mondial de cet ouvrage. À noter pour cette édition chez Folio SF, une très belle illustration de Bastien Lecouffe Deharme.
 
Des fourmis en quête de nourriture
 
Des extraterrestres sont venus sur Terre mais sont aussitôt repartis sans que personne n’ait pu les voir, laissant des « zones » empreintes de leur présence, pleines d’artefacts aux propriétés étranges ou très utiles. Mais ces zones sont aussi des espaces extrêmement dangereux, où la mort attend à chaque détour ceux qui osent s’y aventurer, que ce soit les scientifiques habilités ou les « stalkers », ces hors-la-loi qui défient le destin pour ramener quelque objet qui pourra leur rapporter un peu d’argent.
 
À Harmont, Redrick Shouhart, dit le « Rouquin », fait partie des meilleurs stalkers. Le lecteur va le suivre à différents moments de sa vie, compris entre l’âge de 23 ans et 31 ans, où il va être amené à des choix difficiles. Le temps d’un chapitre, nous faisons également la connaissance de Richard Herbert Nounane, 51 ans, fournisseur en équipement électronique pour l’Institut international des cultures extraterrestres.
 
Un texte qui aurait fait une très bonne nouvelle
 
On ne sait pas vraiment où se déroule Stalker, pique-nique au bord du chemin : on sait que ce n’est pas en Russie, et probablement aux États-Unis. Mais cela importe peu pour l’histoire. Le concept prime, qui nous est présenté dans un chapitre introductif : une « Visite » a eu lieu, dans cinq lieux différents sur Terre. Les visiteurs ont laissé derrière eux des objets bien mystérieux, dans des zones délimitées qui sont gérées par l’Institut international des cultures extraterrestres.
 
C’est justement au sein de cet institut que travaille Redrick Shouart, dit Red, alors âgé de 23 ans, quand débute le premier chapitre. Il assiste Krill, un savant russe passionné par les « creuses », ces étonnants artefacts que l’on trouve en nombre dans les zones, mais dont on ignore la finalité. Le lecteur découvre donc via les expériences de Red ces zones où les objets merveilleux côtoient les substances les plus toxiques. L’idée d’artefacts appartenant à un univers extraterrestre est très bien rendue par l’utilisation constante de l’argot des stalkers. On découvre donc la « calvitie de moustique », les « creuses », la « gratte », le « duvet brûlant », le « chou du diable », la « gelée de sorcière »… qui tous désignent des phénomènes physiques qui ne sont pas expliqués tout de suite au lecteur, contribuant à cette sensation étrange de ne pas comprendre de quoi il est question. Dommage que nous n’en sachions pas beaucoup plus à la fin du roman. Même si l’on peut comprendre que les auteurs aient tenté de nous faire ressentir l’incompréhension des personnages devant l’inconnu, on n’a finalement pas assez d’informations sur ces phénomènes, ce qui génère une certaine insatisfaction. Le flou dans lequel est plongé le lecteur à propos de ces zones fait un peu penser à la méthode de narration du Monde inverti de Christopher Priest, mais alors que l’on découvre une révélation finale surprenante dans le livre de Priest, on reste plutôt sur notre faim à la fin de Stalker. Dans le même acabit, on peut penser au Souffle du temps, de Robert Holdstock, où, sur un monde extraterrestre, des objets mystérieux apparaissent en même temps que les « vagues de temps », reliques des temps passés ou à venir que les hommes ne parviennent pas à comprendre. Là encore la conclusion de l’ouvrage nous apporte bien plus de surprises que dans le roman des frères Strougatski.
 
De plus, la lecture de Stalker se révèle assez laborieuse, car il est difficile d’adhérer au style : est-ce parce que le livre date des années 1970 (pourtant de nombreux romans datant de cette époque sont encore tout à fait d’actualité aujourd’hui), est-ce dû à l’usage constant d’un argot particulier à la zone, à une traduction peut-être trop absconse, ou à un mélange de toutes ces raisons ? En tout cas la lecture est fastidieuse, bien que le roman soit assez court, environ 260 pages dans cette version poche aux caractères relativement gros. Mais les différents passages de progression dans la zone sont répétitifs et même si l’on découvre au fur et à mesure les conséquences de cette « Visite », il n’y a pas assez de matière pour un roman : on en attend plus et on est frustré par le manque de développement, alors que paradoxalement certains passages sont trop longs.
 
Le concept de Stalker aurait très bien fonctionné sous forme de nouvelle, il aurait été beaucoup plus percutant. En effet l’idée de « pique-nique au bord du chemin » des extraterrestres est passionnante. Des humains à l’image de fourmis à qui la science extraterrestre restera à jamais mystérieuse séduit et génère une réflexion intéressante, concrétisée en partie lors de la discussion dans le bar entre Richard H. Nounane et un philosophe, qui constitue finalement la partie la plus prenante du roman, qui se serait d’ailleurs pratiquement suffit à elle-même.
 
Un concept central remarquable mais qui ne suffit pas à sauver l’ensemble du roman, trop daté
 
Globalement, le roman est trop daté pour une lecture contemporaine du texte, même si bien sûr il faut l’aborder en ayant en tête le contexte social, politique et littéraire de cette période. Pour ce faire, la préface d’Ursula K. Le Guin est bienvenue, car tirée en partie d’une critique datant de 1977. Elle resitue le contexte de réception du roman et pourquoi il a marqué les esprits à l’époque. Attention cependant aux spoilers, à ne lire qu’une fois le roman terminé, en même temps que la postface.
 
Postface écrite par Boris Strougatski en 1997, mais qui s’avère moins intéressante que l’on pouvait penser, même si l’auteur nous prévient dès la première phrase : « L’histoire de la rédaction de ce roman – contrairement d’ailleurs à l’histoire de sa publication –  n’a rien d’intéressant ou, disons, rien d’instructif. ». On aurait aimé qu’il s’épanche un peu plus sur ce qui a poussé les deux frères à écrire ce roman, mais il raconte surtout les démêlés avec les éditeurs de l’époque, les comités centraux du Parti communiste, la censure. Si cela a le mérite de mieux rendre compte du climat de l’époque en URSS, on trouve peu de choses sur la réflexion littéraire en tant que telle. À noter tout de même un focus sur la genèse du terme de « stalker », qui a plus ou moins été inspiré d’un roman de Rudyard Kipling intitulé Stalky & Co, comme nous l’explique Boris Strougatski.
 
Ce terme de « stalker » est donc passé à la postérité grâce au film de Tarkovski et parce qu’il a été utilisé pour décrire les héros de Tchernobyl, qui ont risqué leur vie pour éteindre le réacteur. La similitude se comprend, de par la combinaison portée par les scientifiques qui étudient la zone dans le roman, par les risques de brûlures et de mutations que la zone induit chez les humains, qui ne sont pas sans rappeler la réalité. De là vient l’emprunt, mais cela ne signifie pas pour autant que ce texte est un chef-d’œuvre, comme le précise la 4e de couverture. 
 
Il faut avoir lu Stalker, puisqu’il fait partie du patrimoine de la SF russe, et qu’il vaut toujours mieux se faire un avis par soi-même sur les livres qui ont marqué le genre. Mais au-delà de sa valeur en tant que témoignage historique, ce roman ne fait pas partie des chefs-d’œuvre de la science-fiction. Il s’agit simplement d’un souvenir laissé au bord du chemin de la littérature mondiale de science-fiction, sans vraiment plus de signification aujourd’hui qu’un témoignage d’une époque révolue.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?