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The Shadow one

Olivier Ledroit (Dessinateur), Jacques Collin (Traducteur), Pat Mills (Scénariste), Anne Drano (Lettrage)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/10/1996  -  bd
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The Shadow one

Avec Xoco (scénario de Mosdi), Olivier Ledroit a démontré que l’étendue de son talent dépassait très largement le cadre épique des Chroniques de la lune noire (scénario de Froideval). Avec ce polar fantastique haletant, il a assis sa notoriété par delà le public d’heroic fantasy. En 1996, c’est avec une histoire de science-fiction qu’il reparaît: Sha. L’auteur polymorphe se projette cette fois dans un futur proche, produit d’un monde présent décadent dont les travers sont ici gonflés aux stéroïdes. Pour ce nouvel univers, Ledroit s’adjoint un nouveau scénariste qu’il n’a pas quitté depuis: le britannique Pat Mills, à qui l’on doit notamment Judge Dredd et Slaine. Un cocktail détonant qui n’a pas fini de faire parler de lui et qui dix ans après, a conservé toute son énergie. Une lecture sinon une relecture de Sha s’imposait donc: par ici je vous prie.

Cinq bourreaux, cinq démons

La jeune Lara a été trahie. Trahie par sa meilleur amie Dominique, sorcière comme elle, mais qui s’est assurée sa propre survie en la vendant à l’inquisition. Depuis le bûcher de bois vert qui lui consume la chair, Lara contemple le visage du mal: l’inquisiteur qui l’a condamnée, le seigneur qui l’a attrapée, le moine qui l’a violée et abandonnée à son sort, celle qui se prétendait son amie, et puis, surtout, le bourreau. Une chose est sûre, sa foi païenne lui permettra de se venger un jour, de ces cinq là, ces cinq démons qui l’ont regardée mourir en souriant.

Vengeance à travers le temps

New Eden, vingt-et-unième siècle. Une mégapole de métal et de fumée où règne la pensée religieuse et la télévision qui camouflent autant de vices. Dans cette cité, Duffy est une simple inspecteur. Chargée d’enquêter sur la mort d’un vendeur d’armes vénal et cynique, Duffy ne sait pas encore que rien n’est innocent. Que le vendeur d’arme n’est autre que la réincarnation du seigneur qui a conduit Lara au bûcher, cinq cents ans plus tôt. Que le hasard n’a pas de place dans la vengeance que Sha, l’ombre, est venue chercher pour Lara à travers les siècles.

"Je suis là pour rendre les coups."

L’enquête de Duffy va l’amener à rencontrer tous les protagonistes de ce sinistre drame du passé. Un magnat de l’industrie agro-alimentaire et des OGM fasciste à souhait (le moine), un révérend évangéliste fanatique (l’inquisiteur), madame Messone, chanteuse de Seraphim (Dominique) et jusque l’inspecteur-chef Offale (le bourreau) est impliqué.

Mais Duffy va surtout rencontrer son destin. Ses hallucinations lui font voir les démons qui se cachent derrière le visage des humains. Mais ce ne sont pas vraiment des hallucinations, plutôt un éveil à la réalité, l’éveil de son âme ancestrale, celle qui fait d’elle l’instrument de la vengeance, le bras de Sha. Celle qui, à travers le temps a été et demeure Lara la sorcière.

"Les porcs sont des humains horizontaux"

Il y a des séries qui vous rappellent pourquoi vous aimez la bande dessinée. Sha me procure ce sentiment. L’univers tire vers Bladerunner, la tendance steampunk en plus. Les décors sont tout bonnement sensationnels, et sans un gramme de numérique, Ledroit produit l’univers urbain futuriste le plus convaincant qui soit. Le découpage de la série montre certaines analogies avec le précédent Xoco de Ledroit et Mosdi: superposition de vignettes étirées notamment.

Sha, c’est aussi l’opportunité pour Mills et Ledroit de fustiger les travers bien actuels de notre société: l’omniprésence de la publicité, la beauté érigée en religion, l’intronisation de la malbouffe, les bienfaits de la génétique, le culte de l’argent, le spectacle de la violence fait sport national, la folie du sexe, et le règne débilitant de la télévision etc. Autant de positions fermement affirmées et dont les dérives présagées font, comme de juste, froid dans le dos.

On a souvent reproché à cette série son manque de suspens, la succession des meurtres pour venger Lara se faisant de façon implacable. Personnellement, je ne m’attendais nullement à ce qu’une série, s’ouvrant sur 10 planches magnifiques du seizième siècle où tout le mystère est dévoilé, se transforme par la suite en un haletant suspense. Au contraire, gérer sur trois tomes (ils auraient dû être quatre sans la brouille entre les auteurs et leur éditeur), sans perdre le rythme est plutôt une gageure. Une gageure relevée par le dessin de Ledroit au mieux de sa forme.

Les trois tomes de Sha sont chacun un petit bijou. L’ouverture de The Shadow One sur la chasse au sorcière au seizième siècle et la transition à travers le temps jusqu’à la New Eden du vingt-et-unième siècle se font par des planches d’une beauté indicible. Et l’on se dit que, décidément, ce monsieur Ledroit sait tout faire. Le scénario nous mène sans broncher de démon en démon, tous plus pourris les uns que les autres. Les deux de ce premier opus sont singulièrement répugnants: le vendeur d’armes et celui de burgers.

Dans Sould Wound, c’est surtout la conquête de l’espace, l’évangélisation des races extra-terrestres, et le dwarf ball qui méritent le détour. La vengeance se poursuit, implacable, et le sort réservé à la chanteuse de Seraphim est loin d’être enviable. Moins grandiose dans les décors, moins urbain, ce tome vaut surtout graphiquement par la présence de Sha et l’éveil de Duffy à ses pouvoirs de sorcière pour le moins... explosifs. Le vert et le orange prennent une place de plus en plus importante dans la série.

Jusqu’à devenir omniprésents dans Soul Vengeance. Un troisième tome en forme d’apothéose graphique, où la surenchère est totale, et où les planches médiévales et celtisantes côtoient les planches futuristes les plus kitsch. Le grain plus fin de ce troisième tome ajoute encore à la magnificence du dessin. Perspectives jamais vues, planches improbables: Ledroit compose. De son côté Mills fait avec les conditions imposées par Soleil : "non vous n’aurez pas de quatrième tome finalement..." La fin de la série est donc un peu expéditive et manque de relief scénaristique. Un petit regret dont la responsabilité n’incombe guère aux auteurs qui ont produit là, une fois de plus, un bien joli bébé. En bref, une série de science-fiction à posséder absolument.

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