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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2013
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Un mois de lecture, Anne Besson - Janvier 2013

Terry Pratchett, Coup de tabac, L’Atalante 
La lecture idéale pour les fêtes et leur « trêve des confiseurs », c’était bien sûr le dernier Terry Pratchett, Coup de tabac, pour le plaisir intact de retrouver le Disque-monde. Cet opus est intégralement consacré à une enquête de Sam Vimaire, qui présente la particularité de l’emmener loin de son environnement habituel, le Guet d’Ankh-Morpork. Le commissaire se retrouve en effet en vacances familiales à la campagne, contraint et forcé par sa délicieuse épouse, et ça n’est pas sans le déboussoler. Il va retrouver ses marques en se lançant sur la piste de crimes longtemps passés sous silence. Une inoffensive contrebande de tabac dissimule en effet des déportations et meurtres de gobelins, couverts par une justice locale dévoyée. Au fil de cette intrigue policière, on sourit souvent – à telle apparition d’une jeune Jane Austen alternative, à telles notations sur la vie de couple, sur l’angoisse de l’homme des villes face à la vie exotique des provinces, sur les mœurs méconnues des gobelins. Savoureux également, le personnage de la romancière pour enfants, auteur du Monde de Caca et  à l’origine d’une vocation précoce chez Sam Junior, 6 ans. Mais c’est là le plus subversif du roman, que j’ai trouvé assez peu corrosif, et à vrai dire plutôt bien-pensant. Le Pratchett satiriste des débuts, à la parodie piquante, s’est peu à peu effacé, et disparaît ici derrière une défense, en soi très légitime, des droits des peuples les plus marginalisés (les gobelins, voleurs pouilleux mais sublimes artistes, sont les Roms du Disque-monde !), et surtout, derrière un héroïsme plein et entier – Sam Vimaire est vraiment un type formidable, auquel on ne peut guère trouver le moindre défaut. Il suscite donc à juste titre les plus profondes loyautés chez les personnages secondaires, et la plus grande sympathie chez le lecteur : du coup, on est loin de la déconstruction des figures héroïques typique de la light fantasy.  
 
 
Paul Béorn, Les Derniers Parfaits, Mnémos
Paul Béorn, auteur en 2010-2011 de deux volumes décalant le mythe de Jeanne d’Arc, poursuit son exploration des richesses de notre histoire nationale, susceptible de nourrir une fantasy française. Il s’attaque cette fois aux cathares, en modifiant, dans un univers décalé vers le surnaturel, le destin des fameux hérétiques occitans si prisés des ésotérismes.  Dans ce gros roman (saluons la démarche de ne pas l’avoir scindé en deux volumes !), les cathares, au bord de l’anéantissement, ont fait appel aux Démons de l’enfer et,  quand s’ouvre l’intrigue, leur roi-tyran Lobroge est en passe de conquérir la France entière. Parmi les esclaves au service de leur armée, quatre personnages parviennent à s’enfuir, unis par une chaîne longtemps impossible à briser : deux sont dotés de la magie animale des croyants orthodoxes, fidèles du Dieu-Compagnon, Haveron l’homme-ours et le beau Luquet, barde et chat ; les deux autres possèdent des pouvoirs plus exceptionnels et vont connaître un destin qui ne l’est pas moins. Mousse, une mystérieuse jeune femme au caractère farouche, sait éveiller les malefica, les objets magiques légués par l’Empire Premier disparu, et Christo, leader charismatique à la grande noblesse de cœur, dont l’enchantement consiste dans le partage, fait communier à travers lui les pouvoirs des autres. Devenus prisonniers des cathares, ils découvrent l’horreur de la vie imposée à leur peuple, auquel il est notamment interdit toute activité sexuelle et donc tout enfant ! Les trois hommes sont libérés par les Parfaits, qui préservent dans la clandestinité la véritable religion cathare, tolérante et harmonieuse, face au règne des Démons, tandis que Mousse est amenée dans une casa de juventud, là où est organisée la « reproduction » cathare. Leur lutte va les amener à soulever la résistance dans la ville de Tarba, puis en Hispania auprès du Grand Vizir, et jusqu’à une mystérieuse cité perdue…
L’univers très riche et original, qui permet de revisiter une époque peu traitée de cette façon, constitue le point fort de ce roman vraiment réussi. L’intrigue est palpitante, multipliant les temps forts – toute la deuxième moitié du roman, à partir de la grande scène de l’évasion de la casa, ressemble dans sa structure à un film d’action : nos héros passent d’un danger mortel à un autre, pratiquement sans interruption, ce qui n’est pas sans susciter un certain effet de surenchère, comme dans un blockbuster ou un jeu vidéo (on sort d’un combat épique ? mais ce n’est pas fini ! ce superboss ? non, ça n’était pas encore le dernier du niveau !). Il faut toutefois nuancer, car Paul Béorn est doté d’un beau style, qui transcende les scènes d’action. Certaines afféteries que j’avais trouvées agaçantes dans La Perle et l'Enfant ont ici disparu, donnant un signe fort de maturation d’un nouvel auteur français dont le grand talent est désormais évident.
 
 
Régis Antoine Jaulin, Le Dit de SargasMnémos
Avec sa superbe couverture (un dessin à l’encre de Lionel Richerand), cet élégant petit volume sur épais papier couleur crème tranche fortement, dès l’abord, avec le tout venant de la production de fantasy. Cette apparence est à l’image du contenu de l’ouvrage, sous-titré Mythes et légendes des Mille-Plateaux : une suite de récits (de la Création du monde à la mort des Dieux), nous font découvrir les origines de la civilisation de cette terre dévastée, contées par une créature-éléphant, dernier de son espèce, le dit « Sargas », à un homme voué à transmettre cette mémoire. La démarche, érudite, de « mythographie imaginaire », présente un évident caractère fascinant, et s’inscrit dans une tendance actuelle remarquable, l’intérêt accru pour le world building, anthropologique et encyclopédique, indépendamment ici de tout développement proprement romanesque. Si « Mille Plateaux » rappelle le titre d’un essai fameux de Deleuze et Guattari, l’onomastique et les mythes mêmes convoquent essentiellement des racines hindoues (le Mahasutra, le Mandalayana,, les chakras), qui se mêlent, comme dans les illustrations d’ailleurs, à quelques références africaines ou aborigènes, dans un mélange tout à fait convaincant. Convaincant, fascinant… mais pas franchement passionnant ! Le texte a beau être court, la progression reste difficile, faute de tension narrative, d’enjeu tout simplement. Si le texte de présentation convoque la référence qui s’impose, Le Silmarillion de Tolkien, la différence saute aux yeux : Le Silmarillion, conçu largement avant, n’est paru qu’après les romans de Tolkien, et son intérêt vient alors des aperçus qu’il autorise sur l’histoire immémoriale d’un monde qu’on connaît déjà dans ses développements, dans les histoires qui s’y déroulent. Dans l’ouvrage de Jaulin, le problème est que les mythes ne reposent sur rien et ne débouchent sur rien (du moins pour l’instant ?). Ils semblent donc flotter en quelque sorte dans le vide, comme une planète en soi, qui a sa beauté. À réserver aux amateurs donc…   
 
 
Et pour terminer, une BD, Saga Valta de Dufaux et Aouamri chez Le Lombard. Pour partir encore de la couverture, elle n’est cette fois pas tout à fait représentative du contenu, et heureusement de mon point de vue ! Montrant un viril guerrier enlaçant une pulpeuse jeune femme largement dénudée (et de dos, tant qu’à faire !), on la sent calibrée pour attirer une certaine population (disons, une part plutôt masculine du lectorat…) qui constitue sans doute l’essentiel du public pour une BD de fantasy sur les vikings, mais dont il se trouve que je ne fais pas partie. C’était la minute féministe de cette chronique !, et cela dit, l’ouvrage est d’une lecture très plaisante, et constitue le point de départ d’une nouvelle série dont on attend la suite avec intérêt. L’intrigue se donne comme la relation d’une saga, rapportant le destin de Valgar de Valta face aux hommes et aux Dieux. Privé à l’ouverture de sa bien-aimée et de son fils nouveau-né par un beau-père maléfique, sa vengeance passe par des manœuvres politiques et des combats mortels, au milieu de clans en conflits. Femme fatale, complots tortueux, mystérieuses entités surnaturelles sont à l’affiche de cette aventure nordique mais brûlante !
 
 
Anne Besson

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