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Un mois de lecture, Anne Besson - Avril 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson - Avril 2014

Joann Sfar, Grand Clapier, un roman de l’ancien temps, Gallimard jeunesse
Alors qu’il vient de clore l’aventure collaborative de Donjon¸ métasérie de bandes dessinées, le prolifique Joann Sfar revient à la fantasy, par le roman cette fois. Il est déjà l’auteur, en 2013, d’une belle variation sur le vampire publié dans une collection pour adultes, L’Éternel, et prouve ici à nouveau une formidable maîtrise des codes de l’écriture de genre en même temps qu’une immense liberté dans sa création. De la carte d’ouverture, enchevêtrement illisible de collines et de cours d’eau, au mini-musée final des créatures, façon Galerie de l’Évolution, tout retient l’œil et l’attention. Ce qui domine, c’est une jubilation de l’art de conter, rendu sensible pour le lecteur : on part sans cesse là on ne s’attendait pas à aller, sur des chemins de traverse, pour finir un peu lâchés en plein milieu de la route, certes, mais c’était sans doute inévitable vu le parcours pour le moins tortueux qu’on avait accepté de suivre jusque-là ! Pour l’essentiel, deux aventures se succèdent, où l’on retrouve l’humour de Sfar, et ses haines aussi, contre les monothéismes, les absolutismes, les différentes excuses qu’on se donne pour faire le mal : Brasque, excellente variante sur le stéréotype du Barbare (le récit de son enfance est tout particulièrement conseillé), cède, après une centaine de pages, sa place de héros à son compagnon mercenaire, l’ogre Grandclapier et son amour impossible pour la Reine Mathilde, qui lui-même croise l’apprenti « sourcier » Caspian, amoureux d’une femme-renard qui elle-même… Il y a largement assez de pistes ouvertes pour des développements ultérieurs, qu’on espère vivement.    
 
 
Anne Rossi, Barthélémy Styx I. La Mer aux esprits (Scrinéo)
Les pirates reviennent en force en littérature jeunesse (avec aussi entre autres la série canadienne des Ian Flix, également chez Scrinéo), et c’est une nouvelle plutôt réjouissante tant les récits d’aventures maritimes constituent un vivier de héros et de motifs appréciés des enfants et adolescents, et dont il serait dommage, à bonne distance maintenant des Pirates des Caraïbes, que les livres s’en privent. Le roman d’Anne Rossi, son premier pour ce public des plus de douze ans, remplit fort bien le contrat. Depuis Nantes, il nous emmène avec Barthélémy dans les Caraïbes, d’un navire négrier à un sympathique équipage pirate, destination : la dangereuse Terre des Légendes et son peuple de magiciens. Cette magie, Barthélémy la découvre également en lui, à l’aide de l’élue de son cœur, la belle Oluchi embarquée sur les côtes africaines et qui se révèle une sorcière accomplie. Si les premières pages font craindre chez le personnage une psychologie un peu sommaire, la suite du roman vient justifier ces « embrasements » au départ étonnants : Barthélémy, en effet, est lié au feu, comme lui imprévisible et incontrôlable, et cela en fait un personnage intéressant, évidemment tenté par la violence et la destruction. Le fait que l’esprit de sa mère, enfermé dans un médaillon, communique par télépathie avec l’adolescent permet également d’aménager bon nombre de scènes assez savoureuses. Les personnages secondaires enfin sont bien campés, et l’ensemble emporte l’adhésion.
 
 
Nnedi Okorafor, Qui a peur de la mort ?, Éclipse (Panini Books)
Couvert de prix et notamment lauréat du World Fantasy Award en 2011, Qui a peur de la mort ? est un grand roman-choc, puissant et dérangeant, donnant le sentiment de découvrir en arrière-plan une nouvelle cosmologie, africaine et contemporaine, éternelle et cependant nouvelle, ce qui n’arrive pas franchement tous les jours en fantasy. Dans un monde peut-être futur, peut-être alternatif, en tout cas directement ancré dans les mythes et la magie sacrée, une petite fille naît de l’horreur : dans un monde presque entièrement désertifié, les Nurus, décrits de façon à évoquer des Indiens ou des Arabes, persécutent les Okekes, Africains noirs, se livrant à des massacres et à des viols collectifs pour affaiblir toujours plus le peuple esclave. Onyewonsu naît donc métis, réprouvée, porteuse de haine, mais sa mère a fait le souhait qu’elle soit aussi investie de très puissants pouvoirs magiques. Quand elle comprend qu’elle est appelée à réécrire le Grand Livre, fût-ce au prix de sa vie, en combattant son propre père, la jeune femme quitte le village où on l’a vu grandir, et part avec ses amis et son grand amour, Mwita, à la rencontre de son terrible destin. Les haines ethniques, l’excision, la sorcellerie africaine, la complexité des liens humains, tels sont quelques-uns des thèmes, vastes et profonds, qu’embrasse le livre : parfois un peu long, en particulier dans sa première partie, celle qui précède l’initiation magique, il laisse cependant, avec sa fin magnifique, un souvenir marquant.
 
 
Brian McClellan, Les Poudremages livre I, La Promesse de Sang (Éclipse) 
Décidément, les productions du label Éclipse, dont on sait qu’il avait cessé quelques années toute publication, me frappent par leur qualité : peut-être n’ont-ils gardé que le meilleur ! La Promesse de Sang, gros roman en format poche aux lignes serrées, est le premier volume des Poudremages - un titre qui renvoie aux détenteurs d’une magie nouvelle, les héros du récit, tireurs d’élite absorbant la poudre noire des fusils et canons pour y puiser une « transe » (concentration et énergie, non sans risque d’addiction !). Ils s’opposent aux plus classiques mages « Privilégiés », réunis en aristocratiques Cabbales, manipulant les forces élémentaires à travers leurs gants. Le contexte technologique évoque les fin 18e-début 19e siècle, l’intrigue débutant d’ailleurs comme le décalque d’une situation historique bien reconnaissable pour nous Français : la nuit d’une Révolution, celle où le Maréchal Tamas a décidé, au nom du peuple et à la tête d’un groupe de conspirateurs, de renverser le Roi – il sera guillotiné, ainsi que la grande majorité de l’aristocratie, déclenchant une série d’événements aux conséquences en bonne partie imprévues. Le parallèle historique est en effet bien vite abandonné, au profit d’une enquête sur une mystérieuse prophétie, du retour de puissants sorciers et peut-être même, qui sait ?, d’anciens dieux. Tamas et le fils qu’il traite avec distance, Taniel, vont affronter moult trahisons et tentatives de meurtre tandis qu’ils s’efforcent d’éviter l’invasion de leur pays par ses voisins ennemis. L’influence de Brandon Sanderson (le cycle Fils des Brumes) est revendiquée et d’ailleurs tout à fait évidente – peut-être un peu trop envahissante, d’ailleurs, dans la description des systèmes de magie ou la dynamique politique : cela n’altère cependant en rien une expérience de lecture tout à fait stimulante.
 
Anne Besson

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