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Un mois de lecture, Anne Besson - Septembre 2015
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Un mois de lecture, Anne Besson - Septembre 2015

Véridienne (Récits du Demi-loup I) de Chloé Chevalier, Les Moutons électriques : prometteur et frustrant
 
Dans la veine introspective que je repère comme une tendance forte de la production française actuelle, axée sur la psychologie des personnages (féminins) autant et plus que sur les étapes de l’action, Chloé Chevalier livre un premier roman qui s’annonce comme le premier d’une belle saga. Sa construction sophistiquée et son style poli méritent amplement l’attention du lecteur curieux. 
 
Répartie entre quatre voix, repérées par autant de blasons, l’intrigue s’articule autour d’une coutume, racontée d’emblée. Elle consiste à élire un enfant du même sexe né le lendemain d’un membre des familles régnantes : Le « Suivant », dès lors constamment élevé avec le prince ou la princesse est à la fois son inséparable double amical, sa nécessaire conscience critique et, auprès de lui, un intouchable représentant du peuple duquel il est issu. La Princesse Calvina, du royaume des « Chats » des Eponas, est accompagnée de Lufthilde ; sa cousine Malvane, du royaume principal du Demi-loup, a pour particularité d’avoir deux suivantes, également contestées, Cathelle et Nersès. Elles vont se retrouver à grandir toutes les cinq dans le château humide de Véridienne – bientôt cinq adolescentes et beaucoup de complications… Une des voix narratives est masculine, mais elle n’apparait qu’à la moitié du roman pour en relancer un temps la dynamique, et je n’en dis donc pas plus. Enfin, plusieurs récits insérés, extraits de journaux plus anciens, nous donnent quelques aperçus extérieurs (bienvenus) sur les événements politiques ou les stratégies militaires qui ont mené là.
 
Le tout promet beaucoup sans peut-être donner suffisamment encore : le récit progresse par à-coups, tel ou tel événement venant bouleverser la routine des jours, et se détachant donc sur fond d’une chronique du coming of age à la texture plus délicate mais aussi plus tenue. La menace croît (celle d’une terrible épidémie) et des questions sont ouvertes, parfois très tôt dans le roman (que s’est-il passé au juste aux Eponas et pendant la fuite des Princesses ? Que cache le passé du roi, puis celui du Prince ?). Mais elles restent sans réponse dans le volume de ce premier roman, dont les choix de narration, au prisme de plusieurs points de vue chaque fois réduits, touchent un peu à leurs limites. Ainsi les personnages des deux princesses, qui n’ont pas la parole, restent-elles trop opaques pour nous devenir suffisamment proches. Je reste curieuse de lire la suite.
 
La prophétie de la Reine des Neiges (Animale II) de Victor Dixen, Gallimard Jeunesse : au bonheur des conteurs
 
Après La Malédiction de Boucle d’Or, Victor Dixen reprend son héroïne, Blonde, là où il l’avait laissée, dans une île sans nom au Nord du monde, où elle espérait trouver l’apaisement de sa nature « animale » auprès de son grand amour, le sculpteur Gaspard, au bout de leur fuite dans l’Europe du XIXe siècle. Il reprend aussi l’excellent principe qui gouvernait ce premier volume : celui d’une « vérité des contes », si invraisemblables semblent-ils, appuyée sur un contexte spatio-temporel réaliste. Le pays des merveilles rencontre celui du roman historique, et il en naît de beaux paysages inédits. Après un premier texte qui, audacieusement, s’attaquait aux « trois ours » pour y voir des guerriers bersekers fuyant leur sanglante exploitation par les armées bonapartistes, ce second opus s’en prend à un autre conte particulièrement aimé des petites filles, en particulier après son adaptation Disney : « La Reine des Neiges » ! Ce choix, qui rejoint la veine nordique du roman princeps, s’avère excellent, car Victor Dixen, lui-même d’origine suédoise, en fait un hommage au grand conteur de son pays maternel, Hans Christian Andersen. Jeune écrivain en proie aux doutes les plus profonds sur sa vocation, c’est précisément sa rencontre avec Blonde, qu’il va aider tout au long de sa confrontation avec la terrible Reine des Neiges qui a enlevé Gaspard, qui va le mettre sur sa voie – celle du conte, et de sa vérité profonde… Plein d’allusions malignes à d’autres textes bien connus d’Andersen et d’autres « muses » de Dixen, constamment rythmé par les étapes du voyage (et de la grossesse) de Blonde, le roman se lit comme une ode aux récits merveilleux : au pouvoir qu’ils possèdent de nous faire nous souvenir, à préserver encore et toujours.
 
Nous sommes là de Michael Marshall, Bragelonne : esprit, es-tu là ?
 
A New York et dans ses environs, la vie de plusieurs personnages est soudain troublée par des incidents bizarres, ouvrant bientôt sur une prise de conscience plus large, celle de la présence d’étranges humains, à la présence évanescente et au comportement fantasque ou inquiétant. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? David, écrivain tout juste publié et bientôt père, est bousculé à la gare par un homme qu’il croit vaguement reconnaître et qui lui intime « Souviens-toi de moi ». John et Kristina, couple de barmen en quête de stabilité, viennent en aide à une amie de la jeune femme qui se sent suivie et ouvrent à leur tour la porte d’une réalité inconnue, dans les interstices de notre monde. 
 
La nature exacte de ceux qui « sont là, partout, dans l’ombre », comme le dit la couverture, est longtemps un des enjeux du livre, et cette part de l’enquête est très bien menée dans la manière dont le texte distille peu à peu ses informations – chapitres au « Je » de John, chapitres focalisés sur Kris, David ou ses proches, et encarts s’attachant à nous faire accéder à la conscience d’un des « Autres », chaque fois différent dans la manière d’appréhender son statut. Ce même aspect du roman, son « inquiétante étrangeté » (parfois accentuée par des couacs de traduction !) ouvre à des réflexions assez fines sur la vie urbaine, la sorte d’existence parallèle qu’y mènent les communautés en marge qu’on ne fait que croiser, et plus largement sur la façon dont survit ce qui est oublié, dont persiste malgré tout ce qui n’est plus visible, dont nos rêves non seulement nous font vivre mais vivent aussi d’une certaine façon. En revanche, la part du texte qui relève plus spécifiquement du thriller – filatures, complots criminels, repérages des objectifs des « bons » et des « méchants » - m’a semblé plus convenue, comme s’il fallait à tout prix ancrer les mystérieuses entités dans une réalité plus familière pour leur donner la consistance voulue. Mais au passage, on perd un peu de « l’effet fantastique » et de son trouble, délicat et persistant.
 
Anne Besson
 
 

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