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Une interview de Christophe Thill pour le Roi en Jaune
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Une interview de Christophe Thill pour le Roi en Jaune

Le Livre de poche : Qu’est-ce que Le Roi en jaune?
Christophe Thill :
ll s’agit d’un recueil de nouvelles fantastique, paru à l’origine en 1895, de Robert W. Chambers. Il y est question d’un livre interdit, une pièce de théâtre symboliste qui est également intitulée Le Roi en jaune (vraisemblablement inspirée par les pièces de Maurice Maeterlinck), qui entraîne ses lecteurs vers la folie voire la mort, à travers la survenue inexplicable d’événements cauchemardesques. Il est dit que cette pièce est le summum de l’art, qu’elle atteint un niveau esthétique auquel l’esprit humain ne peut résister. Cette idée de la parenté entre la beauté et la mort est typique du mouvement artistique dit décadent, particulièrement influent dans les années 1890. Les différentes nouvelles composant le recueil mettent en scène des personnages confrontés à la pièce maudite. Certains s’en retrouvent plongés dans une mortelle dépression, d’autres agités par des idées délirantes de grandeur. A leur grande horreur, ils découvrent que des choses et des événements fantasmatiques possèdent une existence bien réelle. Dans tous les cas, l’histoire se termine mal...

Le Livre de poche : Qui était l’auteur ?
Christophe Thill : Robert Williams Chambers (1865-1933) était un écrivain originaire de l’Etat de New York. Il s’était d’abord dirigé vers une carrière artistique, partant passer plusieurs années à Paris pour étudier la peinture. A son retour aux Etats-Unis, il ne fera qu’une brève carrière d’illustrateur de presse avant de devenir rapidement un auteur à succès. Cependant, ses années parisiennes l’ont durablement influencé, et il exploitera longtemps ses souvenirs des milieux d’artistes, bohémiens ou officiels. Au moment de sa mort, il est une des célébrités de la littérature américaine de l’époque, et la grande presse lui rend hommage.

Le Livre de poche : Quel rapport avec « True Detective » ?
Christophe Thill : Nic Pizzolato, l’auteur de «True Detective», n’est pas un amateur de surnaturel, et il le dit sans ambages. Pour lui, la véritable horreur est celle qu’inspirent, non d’imaginaires fantômes ou autres monstres, mais des humains bien réels, généralement motivés par des croyances irrationnelles. Cependant, la forme particulière d’horreur que manie Robert Chambers l’a séduit au point d’intégrer dans la série de nombreuses références à la mythologie développée dans Le Roi en jaune. C’est pourquoi on y retrouve, dans la bouche de témoins ou sur les cahiers d’une victime, des noms de personnages et de lieux qui semblent relever du délire. Le but de leur présence est atmosphérique : elle contribue à tisser une ambiance étrange et inquiétante. Car il n’est jamais certain que ces références à un autre monde ne soient que purement imaginaires. Il serait donc vain de chercher dans Le Roi en jaune des indices sur l’identité du meurtrier de « True Detective » ou les raisons de ses actes. Le lire, en revanche, apporte un éclairage particulier au visionnage de la série: les nombreuses allusions au texte deviennent alors identifiables, enrichissent les épisodes de leurs images et de leurs fragments de cauchemars, sans pour autant participer directement au développement de l’intrigue.

Le Livre de poche : Quel intérêt a ce livre en lui-même, en particulier du point de vue du style de fantastique qui y est développé ?
Christophe Thill : Ce fantastique « cosmique » est en quelque sorte une préfiguration du style développé 30 ans plus tard (et indépendamment) par H. P. Lovecraft. Ce dernier ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et, quand il a découvert sur le tard Le Roi en jaune, n’a eu de cesse de lui rendre hommage. L’essentiel de son charme et de sa fascination provient du développement d’une mythologie originale et poétique, dont les personnages et les événements prennent place dans une autre réalité, une autre dimension qui ne rencontre la nôtre qu’à de rares occasions. Ce qui n’est d’ailleurs pas un mal, puisque chacune de ces rencontres donne lieu à des catastrophes et bouleverse des vies. De plus, toutes les évocations de cette mythologie se font de manière incomplète : allusions, mention de bribes et de fragments, suppositions, et bien sûr, citations de la fameuse pièce de théâtre Le Roi en jaune. Citations nécessairement partielles, puisque le texte a été interdit et que, de plus, ceux qui l’ont lu entièrement ont tous mal fini ! En tous cas, à aucun moment une exposition complète des personnages, de leur nature et de leurs actions n’est donnée de façon systématique, ce qui (comme Lovecraft l’a découvert de son côté) renforce le pouvoir de la suggestion.
 
 
 

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