Actusf : Comment as-tu choisi les nouvelles de ce recueil ?
Thierry Di Rollo : Eh bien, tu m'as demandé une première sélection, puis une deuxième. Je t'ai proposé les textes les moins mauvais. Encore une fois, je n'aime pas trop mes nouvelles.
Ceci dit, je tenais à ce que "Seconde mort" - anciennement intitulé "La mort lasse" - et "Hippo!" soient enfin proposés dans leur version originale et donc définitive, celles-ci étant les seules dignes de foi.
Actusf : La première met en scène Norb et Rank. Comment te sont venus ces personnages ?
Thierry Di Rollo : C'était la seule façon pour moi, à l'époque, d'écrire des nouvelles autorisant un traitement scientifique de l'intrigue. Je rappelle que, dans les années 90, la tendance était à la 'science dure'. Galaxies, sans cela, ne m'aurait jamais publié; je n'avais pas de nom qui me permettait d'imposer mes propres histoires. J'avais acquis malgré tout assez d'expérience pour triturer un sujet à mon aune. Ça a donné ce duo improbable. Honteusement copié sur Asimov, d'ailleurs.
J'aime bien le décor de cette nouvelle.
Actusf : Te souviens-tu de l'idée d'Hippo avec ces hippopotames brassant la vase ?
Thierry Di Rollo : J'avais vu un documentaire sur les hippopotames, et l'image de ces grosses masses de graisse courant en apnée sur le fond des rivières m'avait fasciné. Le reste est venu assez facilement.
Actusf : L'univers de ces deux premières nouvelles semble le même. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Il semble s'agir d'un futur où les grandes entreprises sont reines à des niveaux planétaires...
Thierry Di Rollo : Bah! je dirais qu'il s'agit d'une donnée très humaine. S'unir à quelques uns, grossir au détriment de ceux qui travaillent pour vous. C'est comme ça depuis le début. A moins, bien sûr, que j'aie manqué quelque chose: une utopie enfin viable et réalisée quelque part, par exemple. Où? Moi, je ne peux pas écrire, concevoir des histoires qui ne collent pas a minima à une réalité "objective" ou du moins toujours incontournable.
Actusf : Penses-tu que tu reviendras dans ce genre d'univers plus tard ?
Thierry Di Rollo : Ca, je ne peux pas le savoir. Mais la science-fiction sur la longueur d'un roman ne m'attire plus. J'ai maintenant le roman noir pour jeter dans ce genre toutes mes peurs, et puis je pense que le présent est bien plus percutant pour parler des travers humains. Ca me va mieux.
De plus, et surtout, je pense que Dumay a raison quand il dit que la SF ne peut plus être un genre à part entière. Parce que nous vivons d'ores et déjà dans un monde de science-fiction. Nous sommes tous reliés par un réseau planétaire et c'est le téléphone portable qui a tout révolutionné; en tant qu'informaticien j'en sais quelque chose. On est désormais connecté n'importe où. Le monde est devenu exclusivement technologique, l'humain n'y a plus sa place, c'est pour cela que la SF a été intégrée dans les genres littéraires plus "classiques". Elle est devenue une composante. Une simple composante.
Ensuite, la SF en tant que telle n'autorise pas l'émotion. Le vertige oui, l'émotion non. Et à force, en ce qui me concerne, je me suis senti à l'étroit. Cette évidence - à mes yeux, je le précise - m'est tombée dessus en discutant avec un lecteur. Tous les gamins jouent au gendarme et au voleur, à se faire peur, imaginent qu'ils volent, qu'ils combattent des monstres. Moi, enfant, je n'ai jamais joué au futur.
Enfin, l'exigence dialectique imposée par le milieu a fini par me fatiguer. Qu'est-ce que la SF? Quand est-elle née? Où va-t-elle? A-t-elle ses vapeurs? Le cadavre bouge-t-il encore? Je me rappelle une remarque de Dumay sur un texte: "Dans ton vaisseau, il faut que tu nous expliques comment fonctionne la climatisation et pourquoi elle tombe en panne." Une autre de Dunyach: "Pourquoi mets-tu en scène deux soleils? Quelle est la raison astrophysique de ce phénomène?" Oui, évidemment. Moi, je n'ai pas envie de perdre du temps à expliquer pourquoi tel personnage a des ailes et vole. Ces explications n'ont rien de "sexy" dans le cours d'un roman; elles ne font que l'alourdir. La suspension de l'incrédulité? Depuis le début, la SF viole allègrement le principe en croyant l'appliquer à la lettre plus que tous les genres littéraires réunis.
Pour résumer, la Fantasy ou le noir (je cite ceux-ci parce qu'ils me concernent) autorisent, encouragent l'émotion, la vie. On peut tout y mettre sans aucune retenue. La SF est trop cérébrale à mon goût. D'ailleurs, avec le recul, je ne suis pas sûr d'en avoir réellement écrit un jour.
Euh! tout ce qui précède n'est que mon avis, bien sûr. Ma propre vérité et rien qu'elle. Point barre.
Actusf : Seconde mort a été publié dans Territoires de l'inquiétude. Peux-tu nous raconter comment ça s'était fait à l'époque ?
Thierry Di Rollo : J'avais rencontré J. Chambon à Thionville en 1990. Je l'inondais de manuscrits tout aussi mauvais les uns que les autres. On a discuté - grâce à Stéphanie Nicot, d'ailleurs, de moi-même je n'aurais jamais osé l'aborder. "Tu seras publié tôt ou tard en Présences du Futur." Dorémieux, lui, ne me voulait pas dans son anthologie, mais je suis sûr que c'est Jacques qui a insisté. Résultat: un texte déformé par les exigences incessantes de Dorémieux et son côté un brin condescendant quand même; avec le recul, ses appels téléphoniques étaient... éprouvants.
Bref, sans Jacques, je n'aurais pas été publié.
Actusf : Le texte date de 1991, quel regard portes-tu dessus, aujourd'hui ?
Thierry Di Rollo : Sur le texte initialement publié lui-même, aucun regard précis. Dorémieux m'avait poussé à en faire un récit percutant à l'excès et très très court. Le texte original, plus long, il n'avait aucune envie de le caser dans son anthologie et c'était légitime, tout à fait compréhensible de sa part; je n'étais qu'un petit, très petit nom au milieu des autres. Cependant, je préfère la version qui est présentée dans le recueil parce que c'est celle que je souhaitais voir publiée. Et aussi parce qu'elle me correspond davantage en tant qu'écrivain.
Actusf : La Ville où la mort n’existait pas parle de zombies à l'envers... Te souviens-tu ce qui t'a inspiré cette nouvelle ?
Thierry Di Rollo : Au début, j'écrivais beaucoup, tout simplement pour essayer de devenir meilleur à l'ouvrage ("Cent fois sur le métier...") L'idée m'est venue comme ça, par simple défi (le fameux "Et si...?"), et je l'ai trouvée amusante. J'aime surtout l'ambiance du récit.
Actusf : C'est à ma connaissance la seule fois où tu as écrit sur des morts vivants (mais peut-être que je me trompe). Est-ce que cela signifie que le thème ne t'a plus intéressé par la suite ?
Thierry Di Rollo : Non, pas vraiment. Parler de la mort ainsi une fois, oui, plusieurs fois, non. J'ai la faiblesse, l'insigne prétention de croire que mon imagination est plus riche que cela et que je peux m'essayer à autre chose de temps à autre.
Actusf : Parle-nous du Crépuscule des Dieux. Qu'est-ce qui t'a inspiré pour cette nouvelle ?
Thierry Di Rollo : Ma détresse d'être humain, le manque de l'autre, l'inanité de l'existence au bout du compte. Rien de nouveau sous le soleil pour ceux qui me suivent fidèlement et aiment mon travail.
Thierry Di Rollo : Eh bien, tu m'as demandé une première sélection, puis une deuxième. Je t'ai proposé les textes les moins mauvais. Encore une fois, je n'aime pas trop mes nouvelles.
Ceci dit, je tenais à ce que "Seconde mort" - anciennement intitulé "La mort lasse" - et "Hippo!" soient enfin proposés dans leur version originale et donc définitive, celles-ci étant les seules dignes de foi.
Actusf : La première met en scène Norb et Rank. Comment te sont venus ces personnages ?
Thierry Di Rollo : C'était la seule façon pour moi, à l'époque, d'écrire des nouvelles autorisant un traitement scientifique de l'intrigue. Je rappelle que, dans les années 90, la tendance était à la 'science dure'. Galaxies, sans cela, ne m'aurait jamais publié; je n'avais pas de nom qui me permettait d'imposer mes propres histoires. J'avais acquis malgré tout assez d'expérience pour triturer un sujet à mon aune. Ça a donné ce duo improbable. Honteusement copié sur Asimov, d'ailleurs.
J'aime bien le décor de cette nouvelle.
Actusf : Te souviens-tu de l'idée d'Hippo avec ces hippopotames brassant la vase ?
Thierry Di Rollo : J'avais vu un documentaire sur les hippopotames, et l'image de ces grosses masses de graisse courant en apnée sur le fond des rivières m'avait fasciné. Le reste est venu assez facilement.
Actusf : L'univers de ces deux premières nouvelles semble le même. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Il semble s'agir d'un futur où les grandes entreprises sont reines à des niveaux planétaires...
Thierry Di Rollo : Bah! je dirais qu'il s'agit d'une donnée très humaine. S'unir à quelques uns, grossir au détriment de ceux qui travaillent pour vous. C'est comme ça depuis le début. A moins, bien sûr, que j'aie manqué quelque chose: une utopie enfin viable et réalisée quelque part, par exemple. Où? Moi, je ne peux pas écrire, concevoir des histoires qui ne collent pas a minima à une réalité "objective" ou du moins toujours incontournable.
Actusf : Penses-tu que tu reviendras dans ce genre d'univers plus tard ?
Thierry Di Rollo : Ca, je ne peux pas le savoir. Mais la science-fiction sur la longueur d'un roman ne m'attire plus. J'ai maintenant le roman noir pour jeter dans ce genre toutes mes peurs, et puis je pense que le présent est bien plus percutant pour parler des travers humains. Ca me va mieux.
De plus, et surtout, je pense que Dumay a raison quand il dit que la SF ne peut plus être un genre à part entière. Parce que nous vivons d'ores et déjà dans un monde de science-fiction. Nous sommes tous reliés par un réseau planétaire et c'est le téléphone portable qui a tout révolutionné; en tant qu'informaticien j'en sais quelque chose. On est désormais connecté n'importe où. Le monde est devenu exclusivement technologique, l'humain n'y a plus sa place, c'est pour cela que la SF a été intégrée dans les genres littéraires plus "classiques". Elle est devenue une composante. Une simple composante.
Ensuite, la SF en tant que telle n'autorise pas l'émotion. Le vertige oui, l'émotion non. Et à force, en ce qui me concerne, je me suis senti à l'étroit. Cette évidence - à mes yeux, je le précise - m'est tombée dessus en discutant avec un lecteur. Tous les gamins jouent au gendarme et au voleur, à se faire peur, imaginent qu'ils volent, qu'ils combattent des monstres. Moi, enfant, je n'ai jamais joué au futur.
Enfin, l'exigence dialectique imposée par le milieu a fini par me fatiguer. Qu'est-ce que la SF? Quand est-elle née? Où va-t-elle? A-t-elle ses vapeurs? Le cadavre bouge-t-il encore? Je me rappelle une remarque de Dumay sur un texte: "Dans ton vaisseau, il faut que tu nous expliques comment fonctionne la climatisation et pourquoi elle tombe en panne." Une autre de Dunyach: "Pourquoi mets-tu en scène deux soleils? Quelle est la raison astrophysique de ce phénomène?" Oui, évidemment. Moi, je n'ai pas envie de perdre du temps à expliquer pourquoi tel personnage a des ailes et vole. Ces explications n'ont rien de "sexy" dans le cours d'un roman; elles ne font que l'alourdir. La suspension de l'incrédulité? Depuis le début, la SF viole allègrement le principe en croyant l'appliquer à la lettre plus que tous les genres littéraires réunis.
Pour résumer, la Fantasy ou le noir (je cite ceux-ci parce qu'ils me concernent) autorisent, encouragent l'émotion, la vie. On peut tout y mettre sans aucune retenue. La SF est trop cérébrale à mon goût. D'ailleurs, avec le recul, je ne suis pas sûr d'en avoir réellement écrit un jour.
Euh! tout ce qui précède n'est que mon avis, bien sûr. Ma propre vérité et rien qu'elle. Point barre.
Actusf : Seconde mort a été publié dans Territoires de l'inquiétude. Peux-tu nous raconter comment ça s'était fait à l'époque ?
Thierry Di Rollo : J'avais rencontré J. Chambon à Thionville en 1990. Je l'inondais de manuscrits tout aussi mauvais les uns que les autres. On a discuté - grâce à Stéphanie Nicot, d'ailleurs, de moi-même je n'aurais jamais osé l'aborder. "Tu seras publié tôt ou tard en Présences du Futur." Dorémieux, lui, ne me voulait pas dans son anthologie, mais je suis sûr que c'est Jacques qui a insisté. Résultat: un texte déformé par les exigences incessantes de Dorémieux et son côté un brin condescendant quand même; avec le recul, ses appels téléphoniques étaient... éprouvants.
Bref, sans Jacques, je n'aurais pas été publié.
Actusf : Le texte date de 1991, quel regard portes-tu dessus, aujourd'hui ?
Thierry Di Rollo : Sur le texte initialement publié lui-même, aucun regard précis. Dorémieux m'avait poussé à en faire un récit percutant à l'excès et très très court. Le texte original, plus long, il n'avait aucune envie de le caser dans son anthologie et c'était légitime, tout à fait compréhensible de sa part; je n'étais qu'un petit, très petit nom au milieu des autres. Cependant, je préfère la version qui est présentée dans le recueil parce que c'est celle que je souhaitais voir publiée. Et aussi parce qu'elle me correspond davantage en tant qu'écrivain.
Actusf : La Ville où la mort n’existait pas parle de zombies à l'envers... Te souviens-tu ce qui t'a inspiré cette nouvelle ?
Thierry Di Rollo : Au début, j'écrivais beaucoup, tout simplement pour essayer de devenir meilleur à l'ouvrage ("Cent fois sur le métier...") L'idée m'est venue comme ça, par simple défi (le fameux "Et si...?"), et je l'ai trouvée amusante. J'aime surtout l'ambiance du récit.
Actusf : C'est à ma connaissance la seule fois où tu as écrit sur des morts vivants (mais peut-être que je me trompe). Est-ce que cela signifie que le thème ne t'a plus intéressé par la suite ?
Thierry Di Rollo : Non, pas vraiment. Parler de la mort ainsi une fois, oui, plusieurs fois, non. J'ai la faiblesse, l'insigne prétention de croire que mon imagination est plus riche que cela et que je peux m'essayer à autre chose de temps à autre.
Actusf : Parle-nous du Crépuscule des Dieux. Qu'est-ce qui t'a inspiré pour cette nouvelle ?
Thierry Di Rollo : Ma détresse d'être humain, le manque de l'autre, l'inanité de l'existence au bout du compte. Rien de nouveau sous le soleil pour ceux qui me suivent fidèlement et aiment mon travail.
Actusf : Tu as deux sorties prévues dans les prochains mois, Bankgreen au Bélial’ et Préparer l’enfer à la Série Noire, que peux-tu nous dire sur ces deux livres ? Que va-t-on pouvoir y lire ?
Thierry Di Rollo : Pour Bankgreen, une approche différente, beaucoup moins noire. J'ai pris un plaisir incroyable à créer cet univers de A à Z. C'est le mien, mon gosse à moi en quelque sorte, celui que je n'ai jamais eu. Et personne ne me l'enlèvera. J'ai voulu au moins le faire partager à mes lecteurs. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'Olivier et moi avons fait un beau bébé. Sans lui, de toute façon, ça n'aurait pas été possible.
A la relecture des épreuves, j'ai cru entrevoir que le roman possédait sa petite force d'évocation, tout de même. Ca m'a fait plaisir.
Pour le Série Noire, du sombre tel que ceux qui me suivent en ont déjà eu le goût, mais au présent. Du noir qui vibre de vie tout de même. Plus proche. Moins oppressant.
Thierry Di Rollo : Pour Bankgreen, une approche différente, beaucoup moins noire. J'ai pris un plaisir incroyable à créer cet univers de A à Z. C'est le mien, mon gosse à moi en quelque sorte, celui que je n'ai jamais eu. Et personne ne me l'enlèvera. J'ai voulu au moins le faire partager à mes lecteurs. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'Olivier et moi avons fait un beau bébé. Sans lui, de toute façon, ça n'aurait pas été possible.
A la relecture des épreuves, j'ai cru entrevoir que le roman possédait sa petite force d'évocation, tout de même. Ca m'a fait plaisir.
Pour le Série Noire, du sombre tel que ceux qui me suivent en ont déjà eu le goût, mais au présent. Du noir qui vibre de vie tout de même. Plus proche. Moins oppressant.
Actusf : Sur quoi travailles-tu actuellement ? Quels sont tes projets ?
Thierry Di Rollo : Je n'aime pas parler du futur, tout simplement parce qu'il n'existe pas encore. D'ailleurs, demain matin, où serai-je? Qui serai-je encore? Je n'en ai aucune idée. Donc, en ce qui concerne mes projets, tu le sauras toujours bien assez tôt. Pour moi, il est bien présomptueux de se croire plus fort que le temps en essayant de le devancer. Mes 51 ans et la disparition de ma mère m'ont au moins appris cela.