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ITW Angle Mort
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ITW Angle Mort

Actusf : Comment est née le projet Angle Mort et quel est son principe ?

David Queffélec : Au cours de discussions, entre autres à l’automne 2009 lors des Utopiales de Nantes, nous étions plusieurs passionnés de littérature de l’imaginaire à faire un même constat : il n’existe pas, en francophonie, de revue électronique de science-fiction, fantasy et fantastique publiant des auteurs reconnus. L’ami Lucas Moreno, connu entre autre pour diriger le podcast Utopod, a fait le lien entre plusieurs personnes intéressées pour faire bouger les choses. Une fois son méfait commis, il s’est bien entendu empressé de quitter le navire, ses tâches d’auteur et d’audio-producteur l’appelant ailleurs. Nous nous sommes donc retrouvés avec un petit groupe virtuel de 7-8 personnes, motivé pour travailler sur le sujet.

Le principe d’Angle Mort ? C’est de diffuser régulièrement des nouvelles du genre, dans un premier temps essentiellement par le net. En mode payant et gratuit. Ces nouvelles seront en français, mais d’auteurs francophones ou étrangers.

 

Laurent Queyssi : L’idée de réaliser une anthologie avec des auteurs français m’a longtemps titillé et j’ai même commencé à y travailler, en compagnie de Frédéric Jaccaud. Des contacts ont été pris, des textes commandés et même écrits. Puis l’anthologie Retour sur l’horizon a été annoncée et il nous a semblé que continuer notre projet deviendrait trop difficile. Nous n’avions pas le soutien d’un éditeur comme Denoël et rien d’aussi concret que ce que proposaient Dumay et Lehman. Bref, nous avons laissé tomber. Mais lorsque Lucas nous a fait judicieusement remarqué qu’il n’existait pas de revue en ligne comme il y en a plusieurs aux Etats-Unis, l’envie de bosser avec les auteurs français et étrangers que j’aime m’a de nouveau chatouillée. Et j’ai replongé. Je suis faible.

Sébastien Cevey : Comme mes camarades, c’est la pichenette virtuelle de Lucas qui a fait basculer dans le domaine de l’envisageable un projet qui me trottait dans la tête depuis un certain temps. La plus ancienne allusion dont je me souviens est une de ces fameuses discussion tardives lors des Utopiales 2006, avec un petit groupe dont Anthony Vallat, Lucas Moreno et Marc Tiefenauer, durant laquelle le phantasme de la création d’une revue nouvelle formule s’était manifesté. Quelques mois plus tard, Lucas et Marc bifurquaient pour fonder Utopod. Ce n’est donc que plus récemment, avec l’ubiquité grandissante d’Internet et des media numériques, que l’idée d’une revue électronique est devenue de plus en plus évidente.

 

Actusf : Comment vous-êtes vous structurés et qui fait quoi dans l'équipe ?

David Queffélec : Comme dans toute équipe qui fonctionne, une personne travaille (pas moi, bien entendu), les autres regardent et critiquent.

La structuration est venue naturellement. Après un petit brainstorming virtuel, entre autre autour de la structure à adopter, le mode association loi 1901 nous est apparu le plus adapté. Le but n’étant pas de gagner de l’argent pour faire des bénéfices, mais pour simplement faire vivre notre projet et le faire grossir. Nous avons donc élu pseudo-démocratiquement notre bureau et l’association est née officiellement.

Le « qui fait quoi » s’est aussi imposé de fait, en fonction des compétences et des envies. Un des avantages de notre petit groupe est que nous avons à notre disposition une large palette de compétences. Chacun met la main à la pâte pour les lectures et avis, ensuite, le travail est distribué (traductions, corrections, relectures, générations de fichiers). Même si nous sommes une association, tous les pans de notre travail ont été effectués ou contrôlés par des pros du domaine. Même le design et la création du site.

 

Actusf : Pourquoi faire une revue en ligne ? Quel sera son rythme de parution ?

David Queffélec : Une revue en ligne parce que tous les membres de notre revue sont persuadés que l’édition numérique va fonctionner. Et comme on le précisait dans la première réponse, il n’existe pratiquement rien en numérique français autour du genre.

On tentera de garder un rythme d’une nouvelle gratuite par mois, avec un package complet payant mais enrichi (interviews etc) tous les 3 ou 4 mois.

Laurent Queyssi : Pourquoi une revue en ligne ? Tout simplement pour combler un vide. Il y a déjà des revues papiers qui remplissent parfaitement leur rôle et avec lesquelles je collabore volontiers lorsqu’on me sollicite. Elles jouent leur rôle de critique, publient des nouvelles d’auteurs étrangers et découvrent même de nouveaux auteurs français. Bref, elles font leur boulot. Mais le marché s’étend sur le net et il n’y avait jusqu’ici pas d’équivalent, en français, de ces nouveaux supports comme Lightspeed Magazine ou Flurb. Face à ce constat et en réunissant nous compétences, nous nous sommes dit que nous pourrions peut-être remédier à ce manque. Le marché des nouvelles est assez grand pour tout le monde, je pense.

 

Actusf : Comment choisissez-vous vos textes ? Quelle est votre ligne éditoriale ?

Laurent Queyssi : On fonctionne à peu près comme le fait tout comité de lecture de plus de deux personnes. Deux ou trois personnes lisent des textes et refusent ou approuvent. Les autres lisent alors les textes approuvés pour la décision finale. Tout se fait assez naturellement. Les coups de cœur sont propulsés avec enthousiasme et les textes qui ne passent pas font en général l’unanimité contre eux.

Les choses vont sans doute changer avec la publication du premier numéro de la revue et l’avalanche de textes qui ne va pas manquer de nous tomber dessus.

La ligne éditoriale est assez ouverte : SF, fantasy, fantastique et tout ce qui borderline, inclassable, étrange. On ne publiera pas de pur polar, par exemple, mais nous voulons avant tout être surpris, remués, retournés par les textes que nous recevons. A titre personnel, j’aimerais publier certains des auteurs qui devaient travailler sur le projet d’anthologie dont j’ai déjà parlé. Mon rêve serait d’arriver à faire sortir des auteurs que j’aime de leurs prés carrés et de les pousser à plonger vers des choses auxquels ils sont moins enclins a priori, mais dans lesquels ils pourraient faire mal. Publier des auteurs débutants fait aussi partie de nos projets.

 

Sébastien Cevey : Comme l’écrivain qui écrit ce qu’il aimerait lire, nous sommes bien entendu poussés à publier ce que nous souhaiterions trouver dans une revue de genre moderne. Les goûts varient au sein de la rédaction mais en ce qui me concerne, j’espère qu’Angle Mort permettra d’explorer et de faire découvrir certains courants sous-représentés en francophonie. Je pense, par exemple, et pour emprunter une délicieuse expression de Laurent, à un certain “refus de se frotter au mur du futur”, phénomène apparemment assez récent de cécité science-fictive relevé par différents auteurs du milieu francophone.

Le vertige cognitif ambiant du monde actuel et de ses changements effrénés n’intègre que rarement les thèmes traités par nos auteurs de SF. Les textes qui approchent la barrière de la singularité ou mettent en scène des technologies strictement contemporaines se sont pas légion ; il manque tout un pan de la SF qui désamorce notre monde quotidien au travers de hard SF construite autour des limites actuelles de la science, ou du sense of wonder des spéculations technogeeky de la SF “near future” (e.g. Charles Stross). Voire, a contrario, par le biais de la “spéculation sur le présent”, une dissection minutieuse de l’étrangeté qui caractérise notre présent, comme le fait William Gibson dans son dernier cycle.

 

Hors de la province SF pure, ou peut-être à ses limites, on trouve d’intéressants genres hybrides, parfois ficelés sous le label un peu flou de “New Weird” (China Miéville, Hal Duncan), voire carrément sous celui de la Littérature, lorsque l’héritage du genre est habilement travaillé (Michael Chabon, Cormac McCarthy).

Autant de directions à adopter pour explorer ce qui se fait tant au sein qu’aux frontières de nos genres de prédilection, en important des textes ou en encourageant leur éclosion chez nous.

 

Actusf : Quelles sont les premières nouvelles que l'on pourra lire ?

Sébastien Cevey : Des quatres textes inclus dans le premier numéro (disponible en entier à la vente dès l’ouverture), seuls les deux premiers seront initialement publiés gratuitement sur le site : une fiction courte mi-poétique, mi-prophétique de Laurent Kloetzer, et une nouvelle de fantasy aztèque d’Aliette de Bodard, une jeune auteur française qui publie en anglais, injustement inconnue dans son propre pays. Les deux autres textes du numéro 1 apparaîtront sur le site en décembre et janvier respectivement : un hommage potache déguisé en comédie galactique de Xavier Mauméjan, et un texte de hard SF de Daryl Gregory, vertigineux bijou gravitant autour des neurosciences.

Cette sélection donnera on l’espère un aperçu de ce que le lecteur peut attendre d’Angle Mort : des auteurs francophones et étrangers, déjà connus ou en voie de l’être, avec des textes originaux couvrant un large spectre de genres.

 

Actusf : Quels sont vos projets par la suite ? Quelles sont vos envies pour le futur pour Angle Mort ?

David Queffélec : La première évolution envisagée va être la recherche de fonds pour pouvoir acheter plus de textes et rémunérer les auteurs et traducteurs.

Après, on va essayer d’agrandir, bien entendu, le cercle des auteurs publiés, français ou étrangers. Nous allons essayer également de ne pas nous cantonner aux auteurs francophones ou anglophones, et lorgner du côté des Allemands ou des Espagnols, par exemple. Du coup, embarquer avec nous d’autres traducteurs.

Dans un premier temps, nous diffusons les nouvelles dans des formats “basiques” (HTML, ePub, PDF). Après, nous pourrions pourquoi pas évoluer vers des formats plus sophistiqués, pour diffuser des nouvelles enrichies. Ça dépendra d’une part de l’évolution des technologies (et ça nous n’avons pas à nous en soucier, ça va aller très vite) et d’autre part des envies des auteurs de penser le texte autrement. La lecture numérique n’en est qu’au tout début de son existence. Il suffit de regarder les possibilités sommes toutes réduites des liseuses dédiées et des formats de fichiers. Quand une liseuse à base d’encre électronique pourra afficher en couleur images et vidéos, jouer facilement du son, quand elle communiquera facilement avec le web pour aller chercher du contenu mis à disposition, alors les nouvelles pourront peut-être être pensées différemment. Déjà, l’iPad et ses possibilités amènent à réfléchir.

Laurent Queyssi : Le futur, c’est sans doute des gens qui lisent des nouvelles sur leur téléphone ou leur tablette dans le métro. Les textes courts ont une carte à jouer, un moyen probable d’être plus reconnus lorsque les habitudes de lectures des gens vont changer (si elles changent vraiment). Il fallait se positionner sur ce créneau, nous l’avons fait. D’autres suivront.

Une chose réjouissante est que les éditeurs de SF/fantastique français ne sont pas les plus à la traîne et les initiatives des Moutons Électriques et du Bélial’ en matière de publication électronique vont dans le bon sens. Le public de la niche qu’est devenue la SF est ouvert, technophile, intelligent et les éditeurs l’ont bien compris. Les auteurs sont aussi complètement réceptifs à ce nouveau mode de publication (nous n’avons eu qu’un seul exemple de refus étrange « parce que s’il n’y a pas de publication papier derrière, ça ne m’intéresse pas ») et tous ceux que nous avons contacté ont été enthousiastes. Tu penses, c’est leur boulot, d’inventer le futur…

 Sébastien Cevey : Au delà des améliorations purement techniques d’Angle Mort pour fonctionner optimalement sur tous les lecteurs disponibles dans la nature (téléphones mobiles, liseuses, tablettes, etc), nous allons travailler pour faire mûrir et évoluer la formule au niveau du contenu et ainsi encourager les lecteurs à apporter leur contribution financière, qui ira aux auteurs et traducteurs. Analyser la viabilité d’une plateforme électronique sans DRM et avec du contenu gratuit fait partie d’un de nos objectifs ; nous espérons tout faire pour ne pas être déçus.

 D’autre part, nous sommes ouverts aux expérimentations sur des textes profitant de la nature électronique du support. Des projets comme le Mongoliad de Neal Stephenson, Greg Bear & co montre que nous ne sommes qu’au commencement dans ce domaine.

 Le reste des idées continuera à se construire et évoluer avec les réactions de nos lecteurs. Nous espérerons avant tout rester dynamiques dans un domaine où tout change très vite. Les années à venir promettent d’être fascinante pour la littérature, et nous nous réjouissons d’en faire partie !

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